Abdul Samad Rabiu : « Avec une agriculture forte, nous n’aurions même plus besoin du pétrole »

Le fondateur et PDG de BUA Group ne jure que par l’immense potentiel de son pays, où il multiplie les projets et nourrit de grandes ambitions.

Abdul Samad Rabiu, à son bureau, à Lagos. © BUA

Abdul Samad Rabiu, à son bureau, à Lagos. © BUA

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Publié le 21 juillet 2020 Lecture : 8 minutes.

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Les 500 premières entreprises africaines face à la crise

Confrontées à une récession inédite liée à la crise sanitaire, les plus grandes entreprises africaines révisent leurs stratégies. Si certaines risquent la faillite, d’autres ont déjà identifié des opportunités de croissance. JA explore ces tendances dans le cadre de la publication de son classement annuel des 500 premières entreprises du continent.

Sommaire

Abdul Samad Rabiu, 59 ans, huitième fortune d’Afrique selon Forbes, est à la tête d’un groupe diversifié qui s’étend du ciment à l’agro-industrie, en passant par l’immobilier et la logistique portuaire. Le magnat nigérian, grand concurrent d’Aliko Dangote, revient pour Jeune Afrique sur l’actualité de ces derniers mois, marquée par la pandémie de coronavirus et la cotation de sa filiale BUA Cement.

Il prédit une reprise des activités de son groupe dans la seconde moitié de l’année et défend avec ferveur le potentiel économique du Nigeria, en particulier celui de la filière agricole, encore trop peu exploitée.

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Jeune Afrique : Quel a été l’impact de la pandémie sur vos opérations ?

Abdul Samad Rabiu : Le siège social a continué de fonctionner, en télétravail, mais nos usines ont dû réduire leur activité. Dans les premiers temps de la pandémie, certaines travaillaient à 40 % de leur capacité, d’autres à 50 %. La situation s’est améliorée depuis la mi-avril. En réalité, c’est déjà une chance d’avoir pu maintenir une telle cadence de travail, car d’autres ont dû cesser toute activité. Cela nuira évidemment à nos résultats.

les résultats 2019 après impôts de BUA Cement se sont élevés à environ 62 milliards de nairas (142 millions d’euros)

Ceux du deuxième trimestre ne seront pas conformes à nos attentes de début d’année. Mais je pense que les résultats des troisième et quatrième trimestres seront bons. Je constate que la demande repart déjà à la hausse. Et n’oubliez pas que la plupart de nos usines sont largement automatisées, si bien que de petites équipes suffisent à faire fonctionner nos installations.

C’est surtout l’acheminement des marchandises depuis nos usines vers nos marchés qui pose problème. Mais cette situation s’améliore également, à mesure que rouvrent les frontières. Nous venons de publier les résultats 2019 de BUA Cement. Après impôts, nos résultats se sont élevés à environ 62 milliards de nairas (142 millions d’euros). Au premier trimestre de cette année, nous avons engrangé quelque 20 milliards de nairas. Ainsi, même si le deuxième trimestre venait à décevoir, nos résultats sur l’année pourraient être meilleurs que ceux de 2019.

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Le prix des produits importés semble augmenter au Nigeria. Y voyez-vous une opportunité pour BUA, étant donné l’importante capacité de production nationale du groupe ?

Oui, le prix des produits augmente, et c’est particulièrement vrai des produits alimentaires. Le manque de devises et la dévaluation du naira en sont la cause, ainsi que la pandémie elle-même, qui a empêché un certain nombre de personnes de faire des affaires.

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D’un point de vue logistique, l’importation de marchandises a été particulièrement difficile. C’est donc bien sûr une opportunité pour les biens produits localement.

Par le passé, vous avez dit vouloir exploiter les gisements de minerai de fer du Nigeria. Pourquoi n’êtes-vous pas encore passé de la parole aux actes ?

Nous attendons d’obtenir toutes les licences requises, ce à quoi le gouvernement travaille actuellement. Le problème, c’est qu’il faut que l’usine sidérurgique soit située là où se trouvent les matières premières, c’est-à-dire dans l’État de Kogi. C’est là qu’est concentrée la majeure partie des réserves de minerai de fer du pays.

Nous essayons d’obtenir une concession sur le prix du gaz auprès du gouvernement, afin de pouvoir construire notre propre gazoduc

Mais il faut aussi du gaz pour alimenter les aciéries, qui consomment beaucoup d’énergie. Pour faire marcher le type d’installation que nous envisageons, il faudrait une centrale d’une capacité d’environ 250 mégawatts. Le réseau électrique ne peut pas subvenir à des besoins aussi élevés.

Nous essayons donc actuellement d’obtenir une concession sur le prix du gaz auprès du gouvernement, afin de pouvoir construire notre propre gazoduc. Il faudrait que celui-ci raccorde le delta du Niger à l’État de Kogi, soit une longueur d’environ 350 kilomètres. C’est difficile, mais pas impossible. Sans gazoduc nous ne pourrons pas réaliser ce projet.

Un tel gazoduc vous permettrait d’alimenter d’autres projets industriels, par exemple une usine d’engrais. Ce secteur vous intéresse-t-il ?

Avec du gaz, vous pouvez évidemment tout faire. Mais votre usine de production d’engrais alimentée au gaz n’a pas besoin d’être dans l’État de Kogi. Vous pouvez simplement la créer dans le delta du Niger, où les sociétés d’engrais Indorama et Notore sont déjà installées.

Parlons ciment. Vos revenus dans ce secteur ont augmenté de 50 % l’an dernier. Comment s’explique cette augmentation prodigieuse ?

Deux nouvelles lignes de production, démarrées ces deux dernières années, ont grandement contribué à ce succès. L’une des deux n’était pas encore fonctionnelle en début d’année dernière, de sorte que son plein potentiel ne se ressentira que cette année.

Malgré le Covid-19, nous pensons donc que cette année sera meilleure que l’année dernière, en raison de l’augmentation de notre capacité de production.

Un dôme de la cimenterie de Edo, de BUA Cement. © Geometrica / Flickr / CC

Un dôme de la cimenterie de Edo, de BUA Cement. © Geometrica / Flickr / CC

Pourquoi avoir décidé d’introduire BUA Cement, dont la cotation a démarré en janvier, à la Bourse de Lagos ?

Principalement par souci de transparence. Une entreprise cotée en Bourse est sujette à un examen constant, ce qui la rend plus efficace et plus susceptible de résister à l’épreuve du temps. Cela permet aussi aux investisseurs d’acheter des parts dans une entreprise nationale de qualité.

cette cotation nous permet de lever des fonds pour investir au Nigeria dans de nouveaux projets

Le pays a 95 % de tout ce dont un cimentier a besoin. Il peut nous arriver d’importer des pièces de rechange, et nous avons des experts que nous rémunérons en devises étrangères, mais c’est tout. Ensuite, cette cotation nous permet de lever des fonds pour investir au Nigeria dans de nouveaux projets.

D’autres entreprises souhaitent se développer dans le reste de l’Afrique. Mais je pense que le Nigeria a suffisamment de potentiel pour satisfaire nos ambitions. Je ne dis pas que les opportunités manquent ailleurs en Afrique, mais, pour ma part, je préfère saisir les opportunités nationales avant de m’engager à l’étranger.

Comment comptez-vous renforcer la gouvernance au sein de BUA ?

La Bourse a un certain nombre de règles gouvernant le fonctionnement des entreprises qui y sont cotées, ce qui a pour effet de rassurer les investisseurs. Je vais demander à plusieurs personnalités issues d’Europe, d’Asie ou d’ailleurs de rejoindre le conseil d’administration de BUA Cement en tant qu’administrateurs indépendants.

Cela nous aidera à être encore plus transparent, pour faire de l’entreprise un modèle de bonne gestion. Nous envisageons également une introduction à la Bourse de Londres.

Vous étiez parmi les 150 hommes d’affaires du monde entier conviés début 2019 par le président Emmanuel Macron au sommet Choose France, à Versailles. Quelles opportunités commerciales voyez-vous avec la France ?

Le Nigeria et la France peuvent travailler ensemble sur un certain nombre de choses. J’envisage actuellement de m’associer à l’une des meilleures sociétés françaises de l’industrie verrière pour exploiter la silice, une matière première que nous avons en abondance au Nigeria.

L’État d’Ogun regorge de silice. Or cette ressource n’est pas suffisamment exploitée. La filière ne compte qu’une ou deux entreprises au Nigeria. Je ne veux pas dire de quelle société française il s’agit, mais celle-ci souhaite travailler avec un partenaire sérieux au Nigeria. Nous en avons discuté et sommes plus ou moins parvenus à un accord.

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Vous attendez-vous à des investissements plus importants au Nigeria ces prochaines années ?

Aucun marché africain n’est comparable au marché nigérian. Il faut simplement prendre le temps de comprendre ses rouages. Le marché est là, les ressources sont là, les ports sont là, nous avons tout ce qu’il faut.

On parle souvent du risque de faire des affaires ici au Nigeria. Mais le jeu en vaut largement la chandelle

Le Nigeria a vocation à devenir la plaque tournante de l’Afrique, mais pour cela il nous faut réparer l’infrastructure du pays. Le gouvernement ne peut pas y parvenir seul, le secteur privé doit également contribuer à cet effort national.

Plus les gens viennent et investissent, mieux ce sera non seulement pour l’économie mais aussi pour les Nigérians. On parle souvent du risque de faire des affaires ici au Nigeria. Mais le jeu en vaut largement la chandelle. Vous pouvez produire ce que vous voulez dans le pays, le marché est là pour écouler vos produits.

Quel est le secteur le plus porteur de croissance malgré la pandémie de coronavirus ?

L’agriculture. Je ne sais pas pourquoi ce secteur est si rarement évoqué. J’ai commencé une plantation de canne à sucre dans l’État de Kwara il y a environ trois ans. Pendant longtemps, je ne me suis pas rendu compte de l’opportunité de tels investissements. J’ai visité la plantation Kakira, en Ouganda. C’était de loin la plus impressionnante plantation de canne à sucre que j’avais jamais vue.

Cela m’a beaucoup inspiré. Je me suis dit que nous pouvions produire nous-mêmes le sucre qu’importe actuellement le Nigeria. Avec cette plantation, que nous comptons boucler cette année, nous serons en mesure de produire près de 70 tonnes de sucre blanc à bas prix et d’employer plus de 10 000 personnes.

Si nous développons notre agriculture, le Nigeria n’aura même plus besoin du secteur pétrolier

Ce qui est vrai pour le sucre l’est tout autant pour d’autres produits alimentaires. Je pense qu’il est très important d’investir dans ce secteur. Si nous développons notre agriculture, le Nigeria n’aura même plus besoin du secteur pétrolier. Voilà ce qui devrait être notre objectif. Il n’y a pas de raison que le Nigeria importe sa nourriture, que l’Afrique importe sa nourriture.

Nous avons les capacités de faire pousser sur place ce dont nous avons besoin. Il y a encore quelques années, le Nigeria importait au prix fort environ 600 à 700 millions de tonnes de riz. Le gouvernement a interdit ces importations il y a cinq ans. Aujourd’hui, le Nigeria produit quasiment tout ce qu’il nous faut. Cela montre bien qu’il s’agit avant tout d’une question de volonté.

BUA, Dangote et Flour Mills sont toutes trois en train d’installer des plantations de canne à sucre. Si elles sont opérationnelles d’ici à fin 2021-début 2022, la production nationale de sucre devrait bientôt être en mesure de répondre à la demande nationale, soit une production d’environ 2 millions de tonnes par an.

Il y a suffisamment de terres arables pour porter ensuite cette production à 10 millions de tonnes de sucre par an et commencer à en exporter une partie. L’agriculture est la filière la plus prometteuse, selon moi.

Plus encore que les mines ?

Certes, la filière minière est également très prometteuse, mais je préfère l’agriculture parce qu’elle a un impact direct. Le Nigeria a une population énorme, dont de nombreuses personnes sans emploi. En investissant dans l’agriculture, il est possible de faire travailler un grand nombre de personnes, tout en restant profitable.

Quand je regarde les ressources dont nous disposons, je me rends compte que ma place est ici. Je veux rester en Afrique, je veux rester au Nigeria, je veux voir tout ce que je peux y accomplir. Je sais où sont les opportunités, où est l’argent. Il ne nous reste plus qu’à nous mettre au travail.

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