« Les priorités de Ceva Logistics sont les corridors de Dakar, Abidjan et Douala »
Le récent rachat d’AMI Worldwide par la filiale de l’armateur français CMA CGM lui permet de se positionner comme un acteur de premier plan sur le continent. Rencontre avec son directeur général, Mathieu Friedberg.
Logistique : une concurrence toujours plus intense
Dans ce secteur plus que jamais déterminant pour les économies africaines, acteurs historiques et nouveaux entrants se livrent une concurrence acharnée.
Ex-patron de l’armateur Delmas, Mathieu Friedberg dirige depuis janvier Ceva Logistics, la filiale de logistique du géant des mers marseillais CMA CGM, qui compte 70 000 salariés dans le monde. Rachetée en 2018 par le groupe de transport maritime, elle était jusqu’alors, contrairement à sa maison mère, peu présente sur le continent. Le rachat d’AMI Worldwide, présent dans 11 pays d’Afrique orientale, va lui permettre de changer la donne.
Jeune Afrique : Il y a deux mois, Ceva a annoncé qu’il rachetait AMI Worldwide. Pourquoi vous implantez-vous en Afrique de l’Est ?
Mathieu Friedberg : AMI Worldwide est une très belle entreprise qui travaille avec CMA CGM depuis longtemps. Une occasion unique s’est présentée, et nous l’avons saisie. Il n’existe pas d’autres opérateurs indépendants en Afrique de l’Est d’une taille et d’une présence comparables.
Il nous aurait fallu beaucoup de temps pour créer un tel réseau. Or AMI – qui n’a pas vocation à conserver ce nom et va devenir Ceva Logistics – est présent dans toute la partie orientale du continent, notamment au Mozambique, où nous voulons développer de la logistique de projets, autour des énormes investissements en cours dans le secteur du gaz.
Que représentait Ceva en Afrique avant le rachat d’AMI Worldwide ?
L’Afrique était un peu une terra incognita. Nous n’y avions des installations en propre qu’en Angola et en Afrique du Sud. Mais les clients du groupe, dans les télécoms, l’automobile, la tech et, demain, dans le secteur de la santé, nous encouragent à nous implanter sur le continent comme nous l’avons déjà fait ailleurs dans le monde. Se positionner comme acteur de référence dans toute l’Afrique subsaharienne est une décision stratégique de Rodolphe Saadé, le PDG du groupe.
Comment vous appuyez-vous sur CMA CGM, l’un des deux premiers armateurs en Afrique ?
CMA CGM est un soutien précieux. Acteur clé du secteur maritime en Afrique [où il est présent partout sauf en Centrafrique], le groupe connaît aussi parfaitement ses marchés internationaux : la Chine, le Moyen-Orient et l’Europe.
Il est le premier armateur d’envergure internationale à avoir desservi la Somalie et le Mozambique, ou à être revenu en Libye. Nous réfléchissons à utiliser Mayotte, où CMA CGM est très bien implanté, comme hub qui connecterait le Mozambique à l’Asie ou à Durban.
Comment Ceva, qui part quasiment de zéro en Afrique, entend-il se positionner face à des opérateurs déjà bien installés, tels que Bolloré ?
Nous sommes persuadés qu’il y a, sur le continent, une demande pour une offre alternative, et que celle-ci émane des acheteurs du transport et de logistique, qui souhaitent davantage de transparence et de traçabilité. Ceva veut s’inscrire dans ce mouvement et être capable d’expliquer en détail à ses clients les contraintes administratives et opérationnelles auxquelles ils doivent s’attendre, afin qu’ils investissent sur le long terme.
Confrontée à des barrières tarifaires et, surtout, non tarifaires, liées à la congestion aux passages de frontières, la logistique africaine nécessite néanmoins une très bonne connaissance du terrain…
Je vous l’accorde, mais regardez ce qui s’est passé au milieu des années 1990. Les États africains ont compris l’enjeu que représentait l’amélioration de leurs infrastructures portuaires. Les barrières purement maritimes se sont fortement atténuées. Certes, tout se complique quand un conteneur touche le sol portuaire africain, mais il y a de grosses différences selon les corridors.
Sur une liaison Djibouti-Éthiopie, les améliorations sont notoires, avec une possibilité de desserte par train-bloc. Sur un trajet Mombasa-Soudan du Sud, c’est toujours aussi compliqué. Sur un Dakar-Bamako, nous sommes même obligés de constater que la liaison ferroviaire s’est nettement détériorée en vingt-cinq ans.
Les corridors restent-ils des passages obligés ?
Le « paysage » reste rudimentaire. Autant on peut desservir Munich depuis de nombreux ports et façades [Hambourg, Anvers ou Koper, sur l’Adriatique], autant les choses sont différentes en Afrique. Nous avons donc choisi de nous organiser autour de ces corridors en nous appuyant sur la force de frappe de CMA CGM, qui nous garantit sa bonne connaissance du terrain.
Certes, mais Ceva n’a pas forcément les mêmes clients et les mêmes prestataires que CMA CGM…
Il est vrai que nous avons voulu maintenir Ceva logistics comme une entité séparée. Il y a, d’un côté, un armateur qui s’appuie sur des actifs et des lignes régulières, et, de l’autre, une organisation logistique plus légère, dont le business model est sans actifs. Celle-ci ne travaille pas forcément toujours avec CMA CGM.
Quels clients cherchez-vous à conquérir en Afrique ?
Nous en avons de plusieurs types. Il y a les clients du groupe, qui voient dans l’Afrique un marché de consommation en plein essor, dans les télécoms, l’agroalimentaire, les pièces automobiles. Il y a ensuite les clients spécialisés dans les matières premières exportées d’Afrique. Enfin, il y a ceux qui voient dans l’Afrique une zone de production potentielle pour le marché mondial, au-delà de la production locale surtout destinée aux marchés locaux ou sous-régionaux.
Dans le textile, le groupe américain The Children’s Place illustre bien cette tendance. Il a changé ses fournisseurs : de la Chine, il s’est tourné vers le Vietnam, puis vers le Bangladesh, et, aujourd’hui, il a choisi l’Éthiopie.
Avec 100 millions d’habitants et une bonne stabilité politique, ce pays a un gros potentiel, et l’on voit bien qu’autour du hub logistique de Modjo, où nous investissons, s’implantent des industriels indiens, sud-coréens et turcs. à partir de coton importé, ils vont livrer Zara ou H&M.
Quels sont les pays sur lesquels Ceva mise le plus en Afrique ?
Après l’Afrique de l’Est, nous ciblons d’autres pays. En Afrique de l’ouest, nous avons créé, le 1er avril, une agence en propre en Mauritanie, pays qui pourrait représenter une autre solution à la desserte du Mali. Cette année, nous visons en priorité les corridors Dakar-Bamako, Abidjan-Ouagadougou et Douala‑N’Djamena.
Nous avons ainsi repris les entités de CCIS, filiale de CMA CGM, à Bamako et à Abidjan, où nous créons, en coentreprise avec Proline, plusieurs milliers de mètres carrés logistiques, y compris en température contrôlée, près de l’aéroport Félix-Houphouët-Boigny. Ceva s’implante aussi en propre au Cameroun, et notre objectif est d’être très vite opérationnels au Burkina. En 2021, nous irons certainement ailleurs en Afrique de l’Ouest.
Qu’en est-il de l’Afrique du Nord ?
Nous investissons au Maroc, qui a une ambition africaine et une longueur d’avance dans la logistique, avec le hub de Tanger Med, où le groupe CMA CGM est très présent. L’offre de Royal Air Maroc constitue aussi un grand atout dans le secteur aérien. Dans l’automobile, les télécoms, la tech, plusieurs de nos clients sont déjà bien implantés dans le royaume.
En nous vendant sa filiale CC Log, CMA CGM nous permet de contrôler Acomar, rebaptisé Ceva Logistics. Simultanément, nous avons pris une participation majoritaire dans Asti [société de transit et de transport], notre agent actuel. Grâce à ces deux sociétés, nous devenons l’un des premiers logisticiens marocains.
Nous voulons renforcer notre présence en Algérie, pays très important pour CMA CGM. En Égypte, nous bouclons une prise de participation majoritaire dans notre agent actuel, IBA. L’objectif est d’acquérir rapidement une activité significative sur tous les grands marchés africains.
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