Nigeria, Sénégal, Mali… Quelles stratégies pour atteindre l’autosuffisance alimentaire ?
Le Nigeria a pris des mesures drastiques pour développer sa production locale de riz, emboîtant le pas au Mali, au Sénégal et à la Côte d’Ivoire.
Quelque 300 milliards de F CFA pour la Côte d’Ivoire, environ 190 milliards pour le Sénégal et autour de 163 milliards pour le Cameroun. Ce sont les montants des factures annuelles acquittées par ces trois pays pour combler leur déficit en riz en recourant aux importations.
Ces dernières années, ils se sont pourtant engagés (comme l’ensemble des États de la région, à commencer par le géant nigérian) à atteindre l’autosuffisance au plus vite. À Dakar, on l’avait annoncée pour 2017, en vain. Abuja vise 2022, Niamey 2021, et Abidjan s’est fixé la date de 2025. Questions de sécurité alimentaire et de souveraineté nationale.
En Afrique de l’Ouest, le riz, plus que toute autre céréale, est stratégique. Sous l’effet conjugué de l’essor démographique, de l’urbanisation et de la hausse des besoins individuels, la consommation de riz a été multipliée par quatre en trente ans, selon le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad).
Le coronavirus renforce la pression en faveur de l’indépendance alimentaire
« Or, malgré les progrès observés dans la production locale, surtout grâce à l’extension des surfaces rizicoles, la région doit importer l’équivalent de 45 % de sa consommation totale, contre 40 % au début des années 2010, et 20 % seulement dans les années 1960 et 1970 », souligne Patricio Méndez del Villar, spécialiste de la céréale au Cirad.
Résultat, les importations de la région, majoritairement en provenance d’Asie, ont grimpé en flèche, triplant entre 1990 et 2018 pour représenter environ un quart des importations mondiales selon le Cirad.
Si les États ont bien tenté de contrer cette évolution à travers le soutien à la production et l’imposition de barrières à l’importation, la crise financière de 2008 a cassé leur élan : face à la flambée des cours du riz, ils ont abandonné les mesures protectionnistes afin d’éviter pénuries et émeutes.
Depuis, les initiatives, publiques et privées, se multiplient alors que l’épidémie de coronavirus fait à nouveau planer le risque de difficultés d’approvisionnement et renforce la pression en faveur de l’indépendance alimentaire.
Mesures drastiques au Nigeria
Dans cette course à l’autosuffisance, le Nigeria se distingue. Depuis 2015, sous l’impulsion du président Buhari, le pays a pris des décisions fortes pour réduire sa dépendance aux importations alimentaires, notamment de riz.
Après la hausse drastique des taxes sur les céréales venant de l’extérieur, il a coupé l’accès aux devises étrangères pour régler ces importations. Avant de fermer ses frontières, en août 2019, afin d’empêcher l’entrée de riz de contrebande, venant principalement du Bénin.
Controversée, cette politique semble porter ses fruits : le Nigeria est le seul des trois pays africains du top 20 mondial des importateurs de riz (avec la Côte d’Ivoire et le Sénégal) à avoir réduit ses importations entre 2013 et 2019, selon le trader genevois Alliance Commodities, même si cela se solde par une flambée des prix.
En parallèle, Abuja a soutenu le secteur privé via une série de mesures (prix minimum garanti, fourniture d’intrants, prêts agricoles, exonérations fiscales pour les rizeries…). Cela a permis d’améliorer la productivité des petits producteurs (qui représentent 80 % du secteur) et d’encourager les investissements de grands groupes (seulement 20 %), dont les nationaux Dangote, Coscharis, BUA, et les étrangers Olam et Stallion (conglomérat de l’Indien Sunil Vaswani, dont le siège est à Dubaï).
Le singapourien Olam entend ainsi produire 240 000 t lors de la prochaine saison, quand le groupe d’Aliko Dangote a lancé en 2017 un plan d’investissement de 1 milliard de dollars pour cultiver 150 000 hectares et installer dix usines avec l’ambition d’atteindre le million de tonnes par an à l’horizon 2022.
Le Mali quasi-autonome
Dans le monde francophone, même si les résultats sont modestes, trois acteurs sortent du lot. Le Mali, pays enclavé avec une longue tradition rizicole, constitue une exception historique puisqu’il est parvenu à maintenir sa quasi-autonomie (plus de 3 millions de t produites en 2018, selon la FAO). « Il pourrait même exporter chez ses voisins », avance Pierre Ricau, analyste de marché chez Nitidæ. Plus récemment, le Sénégal, en 2010, et la Côte d’Ivoire, en 2012, se sont dotés d’une stratégie nationale consacrée au riz.
Côté sénégalais, l’État a massivement subventionné les intrants pour booster la production (dans la vallée du fleuve Sénégal et en Casamance), bénéficiant aussi entre 2010 et 2015 du soutien de l’Agence française de développement (AFD) à hauteur de 13,3 millions d’euros. Une action payante : le ratio importations/production nationale, de 80 %-20 % par le passé, s’est rééquilibré à 55 %-45 % en 2018. Mais la crise liée au coronavirus pourrait mettre en péril le financement d’une telle politique.
Côté ivoirien, l’Agence pour le développement de la filière riz (Aderiz) a mis l’accent sur l’industrialisation, obtenant en 2018 un prêt de 30 millions de dollars auprès d’Eximbank of India pour la construction de trente unités de transformation dans les dix régions du pays au plus fort potentiel rizicole. Le projet, réalisé par la société indienne Lucky Exports, accuse toutefois un important retard (les usines auraient dû être livrées à la fin de 2018) alors que la production nationale n’augmente que lentement, obligeant le pays à maintenir un important volume d’importations (2,1 millions de t produites et 1,5 million importées en 2018).
L’impossible concurrence avec l’Asie
De fait, de nombreuses difficultés demeurent. Outre les aléas climatiques et la faiblesse de la recherche agronomique, frein à l’amélioration des variétés de riz, les États sont engagés dans une impossible fuite en avant. Ainsi en est-il du Nigeria : si sa production a augmenté de 41 % entre 2013 et 2018, selon la FAO, elle reste inférieure à la demande (6 millions de t produites, contre 7 millions consommées en 2018), et, surtout, elle croît moins vite que celle-ci. Un constat valable aussi pour tous ses voisins.
À cette donnée s’ajoute un autre écueil : l’absence de compétitivité du riz ouest-africain face à un riz asiatique qui, produit et transformé à grande échelle, arrive sur le continent à des prix défiant toute concurrence. « Alors que les prix sont bas sur le marché mondial depuis cinq ans, ce riz est vendu entre 350 et 400 dollars la tonne quand il devrait atteindre au moins 500 dollars pour laisser une chance aux productions africaines », résume Pierre Ricau.
Pour ce dernier, le développement de la filière pose aussi un problème plus politique : il impose aux États d’arbitrer entre les aspirations du monde rural, qui souhaite vendre sa production locale à un bon prix, et celles des consommateurs urbains, à la recherche du riz le moins cher possible. La deuxième catégorie est généralement favorisée, ce qui fait le jeu des importateurs.
Des solutions forcément régionales
Face à cette situation, plusieurs pistes sont mises en avant. « Il faut non seulement plus d’investissements, mais aussi mieux les coordonner sur l’ensemble de la chaîne de valeur pour réduire les coûts de production du riz ouest-africain », avance Kathiresan Arumugam, consultant pour l’Alliance pour une révolution verte en Afrique.
De son côté, Patricio Méndez del Villar plaide pour la mise en place de contrats plus flexibles entre vendeurs (les producteurs) et acheteurs (organismes publics ou investisseurs privés) de riz local afin d’éviter les ruptures d’approvisionnement ou les grandes variations de prix, point faible de la production nationale par rapport aux importations.
Quant à Pierre Ricau, il propose de maintenir le prix du riz importé à un niveau élevé par l’imposition de taxes, un moyen pour les États ouest-africains de récupérer des fonds destinés à financer la production locale. « Quoi qu’il en soit, conclut l’analyste de Nitidæ, le problème du riz en Afrique de l’Ouest ne pourra être résolu qu’à l’échelle régionale. »
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