Le renouveau attendu des banques agricoles en Afrique

Portée par la digitalisation et le soutien des bailleurs de fonds, l’empreinte de ces établissements publics dévolus au financement d’un secteur clé pourrait s’étendre partout sur le continent.

Crédit Agricole du Maroc à Marrakech en 2016. © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

Crédit Agricole du Maroc à Marrakech en 2016. © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

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Publié le 23 septembre 2020 Lecture : 5 minutes.

Le spécialiste américain du paiement tente de convaincre les banques africaines de se tourner vers le numérique. © Getty Images
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On les pensait mortes mais elles n’ont pas encore dit leur dernier mot. Ces derniers temps, des signaux témoignent d’un réveil des banques agricoles sur le continent. En mars 2019, le gouvernement burkinabè a lancé à Ouagadougou la Banque agricole du Faso (BADF), dotée d’un capital de 14,8 milliards de F CFA (21,8 millions d’euros), avec l’ambition d’ouvrir des bureaux à Bobo-Dioulasso et à Dédougou.

À Dakar, la Caisse nationale de crédit agricole du Sénégal (CNCAS), devenue la Banque agricole (BA), a mis en service en février une application de services financiers pour les paysans (AgriCash) avant d’octroyer en juillet 7 millions d’euros aux riziculteurs de la vallée du fleuve Sénégal.

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En Afrique de l’Est, la Tanzania Agricultural Development Bank (TADB) a soutenu, en août, à hauteur de 17 millions de dollars, des coopératives productrices de café quand l’Agricultural Finance Corporation (AFC), au Kenya, doit voir ses moyens augmenter de 14 millions de dollars au cours des trois prochaines années pour renforcer son soutien au secteur agricole.

Haut risque et dur équilibre financier

Ce frémissement tranche avec la disgrâce dans laquelle sont tombées ces banques, dédiées au financement de l’agriculture, ces dernières décennies. Créés pour beaucoup au sortir des indépendances, ces établissements publics, conçus comme les bras armés des États, ont été abandonnés à partir des années 1980, critiqués pour leur inefficacité, déficit à répétition et manque de transparence. Plus récemment, la liquidation, en 2014, dix ans après sa création, de la Banque pour le financement de l’agriculture (BFA) en Côte d’Ivoire a confirmé les difficultés de ce type d’institution.

Exploitation agricole de manguiers à Gorom (Sénégal). le 22/10/2016. © Youri Lenquette pour JA

Exploitation agricole de manguiers à Gorom (Sénégal). le 22/10/2016. © Youri Lenquette pour JA

Après avoir annoncé la création d’une banque agricole en 2011, le Cameroun y a finalement renoncé en 2018. Au Bénin, si le projet reste d’actualité, le gouvernement souhaite au préalable restructurer les filières de production. En Afrique de l’Ouest, seules résistent la BA sénégalaise, la Banque nationale de développement agricole (BNDA) du Mali, soutenue par l’Agence française de développement (AFD), et la Banque agricole du Niger (Bagri). Quant à la Land and Agricultural Development Bank d’Afrique du Sud, elle a lancé en juin une restructuration de sa dette – impliquant rééchelonnement des échéances et obtention d’un crédit de 174 millions de dollars – pour éviter la faillite.

Les activités qu’elles financent ne parviennent pas à être amortissables mensuellement toute l’année

La fragilité des banques agricoles est connue. S’adressant à une population rurale aux faibles revenus et présentant souvent peu ou pas de garanties, elles s’exposent à des niveaux de risques et de défauts élevés, impossibles à concilier avec les contraintes prudentielles imposées par les autorités bancaires. Elles se concentrent alors souvent sur les productions d’exportation, en sécurisant les opérations à travers la « tierce détention » des stocks, délaissant les cultures céréalières, fruitières et vivrières, pourtant en demande de fonds.

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Sans le soutien de l’État et l’apport régulier de « capital patient » via les bailleurs continentaux ou internationaux, elles ne peuvent tenir l’équilibre financier. « Elles devraient bénéficier d’un statut d’institutions financières spécialisées, comme les organismes de leasing, et être soumises à des règles spécifiques de provisionnement, car les activités qu’elles financent ne parviennent pas à être amortissables mensuellement toute l’année », avance Cédrick Montetcho, responsable des investissements en Afrique de l’Ouest pour le néerlandais Oikocredit.

Un bon élève : le Crédit agricole du Maroc

« Malgré leurs limites, elles restent un modèle sur lequel il faut compter, car elles disposent d’une force de frappe et sont alignées sur la stratégie de long terme des États », souligne Pierre Casal Ribeiro, manager chez CIDR Pamiga, qui promeut la microfinance dans l’ouest et l’est du continent. Depuis l’adoption en 2014 de la déclaration de Malabo par l’Union africaine, les États se sont engagés à consacrer au moins 10 % de leur budget au secteur agricole. Les banques spécialisées dans ce domaine apparaissent comme l’une des solutions politiques à l’urgence de développer un secteur qui assure moyens de subsistance et emplois à une part importante de la population.

Le siège de la BAD à Abidjan, en 2016. © Jacques Torregano pour JA

Le siège de la BAD à Abidjan, en 2016. © Jacques Torregano pour JA

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En parallèle, elles demeurent l’interlocuteur privilégié des grands bailleurs du continent. La BAD, qui a fait de l’agriculture l’une de ses priorités, et la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (Badea) ont multiplié les mécanismes de financement des campagnes agricoles et les instruments de couverture de risques, majoritairement déployés par l’intermédiaire des banques agricoles.

Dans ce contexte, un acteur, le Crédit agricole du Maroc (CAM, 10,5 milliards d’euros de total de bilan et 8 milliards d’euros de crédits distribués en 2019), s’est imposé comme un modèle de réussite. Bénéficiant du soutien de l’État (actionnaire à 75 %) et s’appuyant sur un portefeuille d’activités diversifié, le groupe a développé une offre globale (assurance, affacturage, prêts, microcrédits, garanties) et adaptée aux particularités du secteur.

Ainsi, s’il propose des services bancaires classiques aux grosses exploitations (20 % du monde agricole du royaume en 2017), il a lancé en 2006 une filiale de microcrédit, la Fondation Ardi, pour les petits exploitants (40 % du monde agricole), puis, en 2010, une autre de mésofinance pour les exploitants de taille moyenne (40 % du secteur), Tamwil el Fellah, associée à un fonds de garantie avec une couverture partielle du risque par l’État.

Période charnière

Le CAM a aussi mis en place des systèmes d’évaluation pour assurer un suivi régulier et une connaissance fine du client, gage d’une meilleure gestion du risque. À la fin de 2019, Tamwil el Fellah comptait plus de 90 000 clients pour un encours de financement de 851 millions de dirhams (77,6 millions d’euros), respectivement + 19 % et + 13 % par rapport à la fin de 2017. La Fondation Ardi rapportait, elle, un encours de financement de 295 millions de dirhams. En juin, le groupe marocain a annoncé prendre une participation de 40 % dans Atlantic Micro Finance For Africa Sénégal (Amifa), de son compatriote BCP, pour développer le monde rural au Pays de la teranga.

Ne constituant aujourd’hui qu’un acteur parmi d’autres du financement de l’agriculture, les banques agricoles sont appelées demain à occuper une place plus importante. Cela en raison de plusieurs facteurs. D’une part, les besoins de financement sont croissants et loin d’être satisfaits, malgré l’essor des institutions de microfinance et des fintechs.

D’autre part, l’amélioration des instruments de financement et de garanties couplée à la digitalisation facilitent le travail des banques tout en réduisant leurs coûts. Enfin, la pression croissante pour développer le potentiel agricole africain, renforcée par la crise liée au coronavirus, plaide pour davantage d’action publique, notamment à travers les banques agricoles, et une meilleure coordination de l’ensemble des acteurs, un rôle tout indiqué pour ces dernières.

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