Le fonds de pension sud-africain PIC doit se racheter une conduite

Sans directeur général pendant dix-huit mois, le principal gestionnaire d’actifs du continent compte sur son nouveau patron, Abel Sithole, pour redorer son blason et définir une nouvelle stratégie.

Abel Moffat Sithole, nouveau DG de PIC (Public Investment Corporation) © THE PUBLIC INVESTMENT CORPORATION (PIC)

Abel Moffat Sithole, nouveau DG de PIC (Public Investment Corporation) © THE PUBLIC INVESTMENT CORPORATION (PIC)

Publié le 24 septembre 2020 Lecture : 5 minutes.

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Le 15 juillet 2019, l’homme à la barbe grise qui se présente devant une commission d’enquête parlementaire à Pretoria n’a pas l’allure d’un puissant financier. Il est pourtant à la tête du fonds de pension des fonctionnaires sud-africains (GEPF), le plus grand fonds d’Afrique. Abel Sithole doit s’exprimer sur une affaire qui fait grand bruit. La société publique PIC, seule gestionnaire des quelque 2 000 milliards de rands (100 milliards d’euros) d’actifs détenus par le GEPF, est accusée d’avoir investi dans des transactions impliquant des personnalités proches de son précédent directeur général, Dan Matjila, et de l’ancien président Jacob Zuma.

Au cours de l’audition, Abel Sithole se montre circonspect. Tout en dénonçant l’opacité de PIC, qui n’aurait pas consulté le GEPF avant de décider des investissements les plus controversés, il estime que le gestionnaire ne s’est rendu coupable d’aucune malversation. Un témoignage qui n’aura pas convaincu la commission d’enquête.

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Redresser la barre

En mars, dans un rapport remis au président, Cyril Ramaphosa, cette dernière dénonce de « graves malversations au sein de PIC, un piètre système de gouvernance, une surveillance inadéquate, une confusion quant au rôle du conseil d’administration et de ses différents sous-comités, un mauvais traitement des employés et un mépris des procédures établies ». Une longue liste de maux qui entachent cette institution, restée sans DG depuis la démission de Dan Matjila en novembre 2018.

Il y a ceux qui répondent présents, même s’il s’agit d’entrer dans la fosse aux lions

Une personnalité forte est alors attendue pour redresser le gestionnaire de fonds le plus important du pays. En mai 2020, le choix se porte finalement sur Abel Sithole. Cette figure encore peu connue du grand public s’étant montrée indulgente envers PIC pendant la commission d’enquête saura-t-elle réformer cet organisme en crise ?

Interrogé après la nomination du nouveau PDG, Reuel Khoza, président du conseil d’administration de PIC, annonce la couleur : « Quand le devoir vous appelle, il y a ceux qui répondent présents, même s’il s’agit d’entrer dans la fosse aux lions. » Pour Abel Sithole, les défis sont en effet de taille. « La méfiance et la peur sont fortes », disait l’an dernier Ramabu Motimele, un cadre supérieur des ressources humaines, au sujet de l’atmosphère régnant au sein de PIC. Qui plus est, la commission parlementaire admet n’avoir traité dans son rapport qu’une partie des investissements douteux de l’organisation, laissant ainsi planer le doute sur le reste de son portefeuille.

Fonds de pension ou fonds d’urgence ?

Enfin, le débat fait rage autour du rôle que PIC doit jouer en Afrique du Sud. La pandémie a aggravé une situation économique déjà inquiétante, faisant chuter le PIB du pays de 16,4 % au deuxième trimestre. En ces temps où l’argent se fait rare, les sommes mirobolantes gérées par PIC attisent toutes les convoitises. Or, ces dernières sont privées – quand bien même PIC appartient à l’État –, puisqu’elles sont détenues par les retraités de la fonction publique.

Vue d'une centrale thermique du groupe Eskom en Afrique du Sud (image d'illustration). © Denis Farrell/AP/SIPA

Vue d'une centrale thermique du groupe Eskom en Afrique du Sud (image d'illustration). © Denis Farrell/AP/SIPA

Nous traversons la pire crise économique depuis un siècle (…) PIC doit jouer un rôle dans la reprise

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L’intérêt public, désireux que l’argent du GEPF contribue à sauver Eskom, géant malade de l’électricité, et d’autres sociétés étatiques en crise, se heurte donc aux intérêts privés, lesquels voudraient que PIC fasse simplement fructifier les capitaux du fonds de pension.

« Nous traversons la pire crise économique depuis un siècle », nous résume Duma Gqubule, économiste et ancien collaborateur de Cyril Ramaphosa au sein de la commission sur le Black Economic Empowerment. « Il est indécent d’accumuler des avoirs aussi importants dans un pays qui compte autant de pauvres. PIC doit jouer un rôle dans la reprise. » Y compris en soutenant Eskom, qui croule sous une dette de 450 milliards de rands.

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Un avis que ne partage pas Morne Mostert, directeur d’un institut de recherche au sein de l’école de commerce de l’université de Stellenbosch. « Les sociétés publiques, dont PIC, ont servi de terrain de jeu aux politiques souhaitant se remplir les poches », soutient-il. Pour mettre un terme aux affaires de corruption, il faudrait donc que le gestionnaire de fonds s’affranchisse de toute influence politicienne et appuie sa stratégie exclusivement sur des indicateurs financiers. « Accepter de venir en aide à Eskom serait un aveu d’échec », selon Morne Mostert.

Des investissements vers l’étranger

Ce dernier connaît bien Abel Sithole, autrefois chercheur en politique publique, pour l’avoir côtoyé au sein de l’école de commerce où il enseigne. Il nous décrit le nouveau patron de PIC comme une personne réfléchie, ouverte d’esprit et déterminée. Il vante également le parcours d’Abel Sithole, qui a été commissaire au sein de l’Autorité de réglementation du secteur financier, et gestionnaire de fonds du groupe privé Metropolitan, après avoir suivi des études de mathématiques et d’anglais à l’Université Lawrence d’Appleton, dans le Wisconsin (États-Unis), puis d’administration des affaires à l’université du Witwatersrand.

Il aurait dû demander des comptes à PIC. C’est un affront que d’avoir nommé cette personne

« En entreprise il a acquis son sens des affaires, à l’université son discernement, et dans la fonction publique sa connaissance des objectifs du pays », souligne Morne Mostert. « Ces compétences lui seront extrêmement utiles dans son nouveau rôle. » D’autres sont moins élogieux à son égard. Le passé d’Abel Sithole au sein du GEPF l’associe aux erreurs de l’ère Matjila, selon Tahir Maepa, directeur général associé de PSA, l’influent syndicat de la fonction publique. « Il prétend n’avoir rien vu, rien entendu des malversations de l’époque », explique à JA le syndicaliste, « mais il aurait dû demander des comptes à PIC. C’est un affront que d’avoir nommé cette personne. »

On ignore tout ou presque des intentions d’Abel Sithole. Celui-ci ne s’est pas exprimé publiquement depuis sa prise de fonctions. Au cours de son audition devant la commission d’enquête parlementaire, il a néanmoins exprimé le souhait que PIC soit moins exposé aux aléas de l’économie nationale en investissant davantage à l’étranger. Une idée qui a fait bondir ceux qui voient dans l’organisation un recours face à la récession actuelle.

La composition hétérodoxe du conseil d’administration de PIC en fait également un mystère. Y siègent depuis quelques mois des grands noms du capitalisme sud-africain comme Maria Ramos, ancienne PDG d’Absa, et Reuel Khoza, ancien président du conseil d’administration de Nedbank, mais aussi des représentants de PSA et de Nehawu, un autre syndicat du pays. On imagine difficilement ces différents directeurs s’accorder sur la conduite à suivre. Une chose est certaine, selon Duma Gqubule : PIC est trop important pour que le gouvernement donne carte blanche à ses dirigeants.

Cyril Ramaphosa devrait bientôt promulguer une loi censée rendre PIC plus indépendant. Mais il a lui aussi évoqué l’idée que le gestionnaire de fonds vienne en aide à Eskom. Un mélange des genres qui maintient le doute sur l’avenir de l’organisation.

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