Opéra : l’Afrique en majesté dans « Le Vol du boli » de Abderrahmane Sissako

Spoliation, colonisation, migrations… Dans « Le Vol du boli », accessible gratuitement sur la plateforme de TV5 Monde Plus, le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako et le musicien britannique Damon Albarn abordent le temps d’un opéra flamboyant les sujets qui fâchent. Entretien.

Lors d’une répétition du « Vol du boli », de Damon Albarn et Abderrahmane Sissako, au théâtre du Châtelet, à Paris. © François Grivelet pour JA

Lors d’une répétition du « Vol du boli », de Damon Albarn et Abderrahmane Sissako, au théâtre du Châtelet, à Paris. © François Grivelet pour JA

leo_pajon

Publié le 4 octobre 2020 Lecture : 8 minutes.

Ils sont une cinquantaine de comédiens, de danseurs et de musiciens sur scène, sous les dorures baroques du théâtre du Châtelet. Malgré les masques portés par les artistes pendant les répétitions, on reconnaît le regard en amande de la chanteuse malienne Fatoumata Diawara et la silhouette filiforme du ténor congolais Jupiter, calée dans un fauteuil en osier. Pour les diriger, un duo a priori improbable : Abderrahmane Sissako, réalisateur mauritanien multirécompensé pour Timbuktu – un sage de 58 ans, aux paroles toujours mesurées… – et le turbulent Damon Albarn, rock star anglaise, leader de Blur et Gorillaz, un ado de 52 ans qui s’est pris de passion il y a longtemps pour les musiques africaines.

Ce casting international cinq étoiles sert un projet hors norme : brosser sous forme d’opéra une fresque s’étalant du XIIe siècle à l’époque contemporaine, s’ancrant en Europe et en Afrique, et évoquant les spoliations dont le continent a été victime, la colonisation, les migrations…

S’attaquer à autant de sujets en une dizaine de tableaux semble mission impossible. Mais le spectacle « Le Vol du boli », accessible gratuitement sur la plateforme de TV5 Monde Plus dès aujourd’hui, 23 décembre, y parvient pourtant.

Alors que les lumières s’éteignent, Jupiter déplie sa longue carcasse et s’adresse à la salle : « Le Nord doit absolument tout contrôler : les chefs, les matières premières, l’Histoire… C’est comme ça, vous le savez ! » Derrière lui, un lourd rideau de métal se soulève, laissant apparaître un empereur, peut-être Soundiata Keïta, et sa cour. Le guembri se mêle aux balafons, à la basse électrique, aux tambours. La voix puissante et rocailleuse de Fatoumata Diawara fait vibrer le théâtre tandis qu’une dizaine de danseuses célèbrent la grandeur de l’empereur. Le voilà qui descend de son trône et s’approche d’un fétiche, le boli, dont il sera dépossédé quelques minutes plus tard par un acteur blanc dans le rôle de l’écrivain et ethnologue Michel Leiris. La scène se termine sur l’image tragique de l’empereur déchu nettoyant le sol.

L’opéra Le Vol du boli ne s’appuie pas sur de grands discours pour évoquer les sujets toujours sensibles qui confrontent l’Afrique à ses colonisateurs d’hier. C’est par l’émotion que le binôme Sissako-Albarn vient ausculter les plaies toujours vives de l’Histoire.

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