Tunisie : la pépite industrielle One Tech Holding touchée mais pas coulée
Dépendant du marché de l’automobile, le spécialiste de l’électronique fondé par Moncef Sellami subit la crise du coronavirus. Mais il compte sur de nouveaux débouchés pour rebondir.
Jusqu’au bout, les analystes ont voulu croire que le groupe One Tech (OTH : mécatronique, câblerie, technologies de l’information et de la communication) serait épargné.
La pandémie a obligé le groupe à un arrêt quasi complet
Le 25 février, alors que le monde comptait un peu plus de 80 000 cas de Covid-19, dont près de 78 000 en Chine, et que le virus commençait à peine à se propager en Europe, l’intermédiaire en Bourse Tunisie Valeurs rédigeait une note optimiste sur le groupe dirigé par le fondateur Moncef Sellami et ses deux fils, Hédi (directeur général) et Slim (actionnaire) : « Ses ventes devraient rebondir de plus belle à partir de 2020, pour retrouver voire dépasser la performance des années 2017-2018. L’offensive mécatronique et l’innovation resteront les lignes de conduite du management, dans les prochaines années, pour accompagner les évolutions technologiques dans l’industrie, et en particulier dans le secteur automobile. »
Six mois plus tard, ce dernier affiche un bilan semestriel 2020 très mauvais : le résultat net consolidé s’est effondré de 91 %, et les revenus ont chuté d’un tiers à cause de la baisse des exportations, qui représentent 80 % du chiffre d’affaires. De 21,5 % en 2018, la rentabilité consolidée des fonds propres (ROE) est estimée pour 2020, dans le meilleur des cas, à 16,3 %. Entre-temps, la pandémie s’est propagée paralysant presque totalement les échanges mondiaux et obligeant le groupe à un arrêt quasi complet.
Double peine
One Tech Holding (OTH), dont le chiffre d’affaires (CA) a presque doublé entre 2015 et 2019 passant de 468 à 898 millions de dinars (de 231 à 288 millions d’euros), a subi une violente double peine avec le Covid-19. L’automobile, qui représente 85 % des revenus du groupe selon Tunisie Valeurs, est en effet le principal débouché de ses deux activités maîtresses : la câblerie (45 % du CA en 2018), véritable vache à lait du groupe avec son marché mature mais constant, et la mécatronique (48 % du CA en 2018), dont la marge brute est deux fois plus élevée que la câblerie.
L’intérêt de l’activité télécoms, toujours convalescente, est de moins en moins stratégique
Ses principaux donneurs d’ordre, les constructeurs du Vieux Continent, ont été les plus touchés économiquement par la crise. Or 73 % des ventes d’OTH se font de l’autre côté de la Méditerranée, contre seulement 21 % dans la région Mena (Moyen-Orient et Afrique du Nord) et 6 % dans le reste du monde.
Dans le même temps, sa troisième branche, les métiers de l’information et de la communication, ne cesse de régresser. Sa part dans le CA consolidé est passée de 13,1 % en 2016 à 6,1 % en 2018, selon le dernier rapport d’activité disponible, au point que, dans sa note de février, Tunisie Valeurs souligne : « L’activité télécoms est, quant à elle, encore convalescente, et son intérêt est de moins en moins stratégique pour le groupe. » Les indicateurs virent donc logiquement au rouge cramoisi.
Traverser la tempête jusqu’à la reprise
Et, pourtant, personne ne pense à enterrer OTH, au contraire. « À court terme, la situation s’est dégradée, mais, à moyen terme et à long terme, il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Le groupe a des fondamentaux très sains. Malgré la crise et la perte de 3,6 millions de dinars depuis le début de l’année, il peut encore compter sur une trésorerie confortable de 43,7 millions de dinars, ce qui est très rare et lui permet de mobiliser de la dette le cas échéant », précise Lilia Kamoun Turki, directrice des études et des recherches à Tunisie Valeurs. Un trésor de guerre d’autant plus remarquable que le groupe sortait d’une année 2019 difficile, avec un résultat net en baisse de près de 19 % à cause principalement de l’appréciation du dinar face à l’euro.
Avant la crise, le groupe était en discussion avec d’autres donneurs d’ordres pour diversifier ses clients
Les réserves financières du groupe doivent lui permettre de traverser la tempête jusqu’à la reprise, si celle-ci ne tarde pas trop. Les ventes de voitures ont progressé en France en juin et en juillet avant de replonger en août. En Allemagne et en Italie, le secteur demeure en berne.
Présent dans l’automobile depuis plus de quarante ans, OTH a tissé des liens étroits avec ses clients européens, son carnet de commandes devrait donc se remplir aussitôt que le marché redémarrera. Et de manière plus forte : « Avant la crise, le groupe était en discussion avec d’autres donneurs d’ordres pour diversifier ses clients », avance l’experte de Tunisie Valeurs. Il s’est également renforcé l’an dernier dans le domaine des infrastructures IP en acquérant Sofia Technologies, afin de mieux exploiter les synergies opérationnelles et commerciales avec les activités déjà existantes.
Exploration active du marché africain
Les investisseurs continuent ainsi de croire à la pérennité industrielle de la famille Sellami, qui détient 44 % du groupe – les autres actionnaires sont le capital-investisseur AfricInvest (17 % via deux fonds), la société financière tuniso-koweïtienne Ekuity Capital (5 %), IFC (4 %), et il y a 30 % de capital flottant. Le titre boursier n’a dévissé que de 15 % depuis janvier, une chute assez faible en comparaison des résultats. IFC a d’ailleurs réinvesti, en juillet, 23 millions d’euros sous forme d’un prêt sur huit ans (le taux d’intérêt demeure confidentiel) dans le holding pour qu’il continue son développement à l’international, et plus particulièrement au Maroc, où OTH possède une filiale, One Tech Molding and Assembling (injections de pièces plastiques et assemblages électroniques).
Le holding amorce sa diversification pour se concentrer sur des secteurs tels que l’aéronautique, l’énergie et la médecine
Cet apport était prévu avant l’arrivée de la pandémie. Mais à aucun moment il n’a été remis en question, car, pour IFC, OTH est amené à jouer un rôle majeur sur le continent : « OTH est en train de se diversifier au-delà du secteur automobile pour se concentrer de plus en plus sur des secteurs tels que l’aéronautique, l’énergie et la médecine. La société est aussi en train d’explorer activement le marché africain pour ses activités de câblodistribution et aspire à s’imposer comme “solution unique” pour les câbles électriques et les câbles d’infrastructures dans de nombreux pays africains », justifie Georges Joseph Ghorra, représentant résident d’IFC en Tunisie.
Plus proche, plus flexible
Du côté des Berges du lac, où siège OTH, on se veut en effet « solution unique » via le concept de one-stop shop (guichet unique), qui permet au client de s’approvisionner – en câbles, en circuits électriques, en pièces plastiques, en solution IP, etc. – dans un seul endroit.
La plus grande force de One Tech, c’est sa direction très dynamique
De quoi séduire les multinationales européennes, qui envisagent, pour faire face à la crise sanitaire, de « relocaliser leurs sources d’approvisionnement et de considérer d’autres options de production qui soient plus proches et plus flexibles », comme l’affirme le groupe dans un communiqué accompagnant les résultats semestriels. Ce pourrait n’être qu’un mantra pour convaincre les potentiels actionnaires de lendemains meilleurs s’il n’émanait des Sellami.
« La plus grande force d’OTH, c’est sa direction très dynamique. Elle ose prendre des décisions rapidement, même dans des conditions difficiles, pour s’adapter. Elle le fera à nouveau », prédit Kais Kriaa, dirigeant de la société financière Alpha Mena.
Moncef Sellami, businessman éclectique
Politique, foot et médias. Moncef Sellami ne déroge pas à la trinité des passe-temps favoris des entrepreneurs tunisiens. Comme son empire, fondé en 1978 avec la création de Tunisie Câbles, le Sfaxien de bientôt 79 ans s’est lui aussi diversifié pour asseoir son image d’homme qui compte. En 2008, il prend pendant deux ans la présidence du Club sportif sfaxien, qui remporte un trophée continental. En 2012, au lendemain de la révolution, il dirige la société éditrice du quotidien Le Maghreb, où il défend une ligne anti-islamiste. C’est donc naturellement qu’il est élu député (2014-2019) sous l’étiquette Nidaa Tounes, parti de l’ancien président Béji Caïd Essebsi, avant de finir son mandat au sein de la Coalition nationale du Premier ministre d’alors, Youssef Chahed.
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