Le marocain BMCE Bank of Africa sous pression au sud du Sahara
Alors que les besoins en fonds propres brident le développement de son portefeuille de crédits depuis des années, la banque va aussi être amputée de certains de ses revenus par la crise du Covid.
Une nouvelle ère pour la finance africaine
Fragilisé par la pandémie, le secteur financier accélère sa transition numérique. mais doit aussi composer avec la nouvelle concurrence des acteurs des TIC.
Comme en 2017 et en 2019, le groupe BMCE Bank of Africa (13,9 milliards de dirhams – 1,3 milliard d’euros – de PNB) a sollicité ses actionnaires pour renflouer ses fonds propres. Au début d’août, la banque a proposé aux porteurs d’actions de convertir les dividendes qu’ils ont perçus au titre de l’exercice achevé en décembre 2019 en nouvelles parts du capital, soit environ 1 milliard de dirhams.
Pour encourager l’ensemble du tour de table à participer, les actionnaires historiques, FinanceCom, RMA et SFCM ont annoncé leur contribution avant même l’entame de la collecte.
En plus du pressant besoin de financement pour son plan stratégique, le groupe implanté dans 31 pays – dont 20 situés en Afrique – doit répondre aux exigences des différents régulateurs. En 2018, la banque avait estimé son besoin en fonds propres à environ 6,5 milliards de dirhams pour ne pas entraver le développement de son portefeuille de prêts.
2 milliards de dirhams supplémentaires à trouver d’ici à 2022
En juin 2019, le groupe britannique CDC avait apporté 1,9 milliard de dirhams pour prendre 5 % du capital de la banque marocaine. « L’argent injecté par CDC n’aura servi qu’à combler l’impact de la réforme IFRS 9 » (entrée en vigueur en 2018, la norme modifie en profondeur les règles actuelles de classement et d’évaluation des actifs financiers), fait savoir un analyste financier.
Le groupe BMCE devra chercher 2 milliards de dirhams supplémentaires entre 2021 et 2022 si la situation économique ne s’arrange pas. Selon nos informations, le personnel aura, lui, la possibilité de prendre des parts du capital à hauteur de 1 milliard de dirhams.
« Les fonds propres de BMCE-BOA demeurent relativement modestes, malgré une légère amélioration consécutive aux injections de capitaux en 2019. Cette situation limite la capacité de la banque à absorber les pertes potentielles, ce qui pourrait créer un nouveau besoin d’injections de capitaux dans un environnement difficile », note Moody’s dans son analyse.
Des créances en souffrance déjà en hausse
« La banque doit poursuivre son développement, augmenter sa rentabilité opérationnelle, alors que dans le même temps elle est pénalisée par un niveau trop faible de fonds propres. C’est une équation compliquée liée aux contraintes réglementaires qui vont peser sur elle au moins jusqu’en 2022 dans les pays de la région Uemoa », explique Yoann Lhonneur, directeur associé du cabinet Devlhon Consulting, pour qui la BMCE-BOA demeure néanmoins un établissement robuste.
La période est d’autant plus délicate pour la banque qu’à la surveillance du niveau des ratios prudentiels s’ajoutent les terribles conséquences de la crise du Covid-19. Toutes les analyses prédisent un ralentissement économique important sur le continent, lequel se traduira notamment par une détérioration de la qualité des emprunteurs.
Cette perspective inquiète la banque, dont le portefeuille de crédits au sud du Sahara connaît déjà une hausse des créances en souffrance. Elles sont passées de 8,2 % en 2017 à 9,1 % l’année dernière.
Une banque réputée élitiste
Certes, ce niveau reste en deçà de la moyenne du secteur en Afrique subsaharienne (11,4 %) selon les statistiques de Moody’s, mais il est probable qu’en raison de la conjoncture économique globale, la dégradation se poursuive au cours des prochains exercices. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’agence américaine a changé les perspectives de sa notation, en les passant de « stables » à « négatives ».
« Conscients de cette tendance, les marchés subsahariens ont montré ces dernières années un moindre appétit pour le risque », a constaté Yoann Lhonneur. Avant de procéder à des augmentations de capital entre 2017 et 2019, la banque avait déjà en partie fermé le robinet des crédits en ne sélectionnant que les dossiers les plus sûrs. Connu pour être élitiste, BMCE-BOA finance en priorité les projets gouvernementaux et détient aussi de grandes parts sur le marché des fonctionnaires.
Cette sélectivité permet à la banque de générer en Afrique subsaharienne 33 % de ses revenus, alors qu’elle n’y distribue que 25 % de ses crédits. Cette année, en l’absence de garanties, les banques financent encore moins que d’habitude les petites et moyennes entreprises, en très grande difficulté.
Une concurrence toujours plus diversifiée
Traditionnellement, dans cette zone, BMCE-BOA investit fortement dans les bons du Trésor, peu rémunérateurs mais présentant un risque quasi nul. Son produit net bancaire provient davantage de commissions sur des opérations d’import-export que des intérêts obtenus grâce aux prêts qu’elle octroie.
La crise actuelle devrait ainsi se révéler particulièrement coûteuse pour la banque marocaine, au sein de laquelle l’optimisme habituel est néanmoins toujours de mise. Selon nos sources, les résultats enregistrés cette année reflètent déjà l’ensemble de ces difficultés.
« Parallèlement au contexte du Covid-19, la banque est confrontée à une concurrence de plus en plus diversifiée, venant des banques ou des sociétés technologiques qui fournissent des services financiers. Cette situation provoque une tension sur les prix et donc sur la rentabilité globale, alors que dans le même temps les coûts de la banque ne peuvent pas être réduits d’autant », conclut Yoann Lhonneur.
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