RDC – Fiston Mwanza Mujila : chanter, boire et danser à tout prix au Mambo de la fête
Avec son nouveau roman, le Congolais Fiston Mwanza Mujila donne la parole à ceux qui ne l’ont que trop rarement, dans l’ambiance surchauffée du psychédélique Mambo de la fête.
À quoi ressemblerait la vie si les bars n’existaient pas ? Sans doute à pas grand-chose, et encore moins à un roman de Fiston Mwanza Mujila. Avec La Danse du Vilain, son nouveau texte, paru aux éditions Métailié, l’écrivain nous propulse au cœur du Mambo de la fête, où se retrouve tout ce que le Congo compte de spécimens humains à la dérive, enfants des rues, agents des services de renseignements, prostituées prolixes, écrivains paumés, chefs d’entreprise véreux, chômeurs rêveurs, etc.
« C’était cela le Mambo de la fête, le Mambo de l’amour, le Mambo de la débauche, le Mambo de l’insomnie… Les clients – de sexe masculin –, le barman, les serveurs brûlaient d’inventivité. Ils trouvaient toujours une excuse pour faire la fiesta. Tout ce beau monde vivait dans l’illusion d’un monde meilleur. L’ascèse, l’abstinence sexuelle, le jeûne et la prière, toutes ces breloques n’étaient à leurs yeux que des histoires à dormir debout. »
Ce sont les plus belles pages de ma vie
Pour raconter le monde des laissés-pour-compte et de la nuit, Fiston Mwanza Mujila a été à bonne école. « Mon enfance ? C’est mes parents, mes trois sœurs, mes quatre frères, une vingtaine de cousins, toute ma grande famille qui se réunissait chaque dimanche dans le bar de mes grands-parents, Chez Mwamba Kabuya, dans le quartier populaire de la Katuba, à Lubumbashi. On jouait jusqu’à l’essoufflement. Ce sont les plus belles pages de ma vie. »
Cocktail d’humanité
Lire Fiston Mwanza Mujila aujourd’hui n’est pas une expérience commune. C’est boire jusqu’à la lie un cocktail d’humanité, en accepter tous les arômes, âcres, amers, doux, écœurants, suaves, acides, aigres, piquants, et les laisser faire leur effet sur le cerveau.
Né en 1981, remarqué pour son premier roman, Tram 83, celui qui vit aujourd’hui à Graz (Autriche) est sans doute plus poète que romancier. Ce qui nourrit sa verve aussi débordante que la mousse des bières lui vient à la fois des livres et de la débrouille. « Ma mère a dû faire des petits boulots de vendeuse, raconte-t-il. Mon père était comptable, au début des années nonante [1990], mais il a perdu son boulot et il a dû bosser comme commerçant. Il partait dans le Kasaï pour acheter du maïs qu’il venait revendre à Lubumbashi. Chez nous, il n’y a jamais eu d’assurance, dans le bon comme dans le mauvais sens. »
Ce qui n’empêche pas la famille de tout faire pour que les enfants aient accès à l’éducation, à la culture, à la littérature. « J’ai beaucoup lu, très tôt, se souvient Fiston Mwanza Mujila. Mes parents travaillaient beaucoup et rentraient tard. À 15 heures, après l’école, je n’avais rien à faire, et pour les attendre je lisais. Longtemps, mon rapport à la littérature a été une fuite : je fuyais l’absence de mes parents. Parfois, je ne comprenais rien. Ce n’est que plus tard que j’ai commencé à aimer la littérature. »
Sony Labou Tansi m’a ouvert les yeux
Nourri par Victor Hugo, bercé par Arthur Rimbaud, Paul Éluard, André Breton, retrouvant dans Émile Zola son environnement immédiat, le Katanga, « où tout tourne autour de la mine », le jeune homme sera réellement transformé par la découverte d’un auteur congolais, alors même qu’il n’est pas simple, sur place, de dénicher des livres d’auteurs africains. « Le choc pour moi a été de découvrir Sony Labou Tansi, qui m’a ouvert les yeux et montré un autre chemin. »
Peu à peu, une vocation
À l’école, on l’appelle poète. C’est peut-être une moquerie, cela devient peu à peu une vocation. Les résultats scolaires sont bons, les mots se fraient progressivement une voie dans le sang. Fiston Mwanza Mujila étudie les lettres et commence à écrire, d’abord des textes glorifiant la culture latine (« l’histoire de Romulus et Remus m’éblouissait »). « Tu veux écrire comme Mudimbe ? » lui demande-t-on parfois. « À l’époque de Mobutu, rappelle le jeune auteur, Lubumbashi était un peu comme un refuge pour les écrivains, c’était l’épicentre de la littérature congolaise. »
Les premières publications sont à chercher sur des toiles d’artistes plasticiens rencontrés aux Beaux-Arts !
Les mots de l’écrivain en formation ne s’enferment pas, ils se disent à la maison dans des lieux de sociabilisation, des bars, en français comme en swahili. Les premières publications sont à chercher non dans les journaux, non dans les revues, mais sur des toiles d’artistes plasticiens rencontrés aux Beaux-Arts !
« L’argent payé par un collectionneur pour une œuvre m’a permis d’acheter des caisses de bière, puis de les revendre en gros et au détail. Comme je voulais être indépendant, j’ai financé toutes mes études avec de la bière. Ainsi que je vous l’ai dit, mes grands-parents tenaient un bar, et mon grand-père était très heureux que je gagne de l’argent ainsi. Il me disait qu’un homme doit avoir un bar, parce que jusqu’à la fin du monde les gens viendront boire et danser. »
C’est sans doute cette proximité avec le quotidien des plus humbles qui donne sa vitalité à l’écriture de Fiston Mwanza Mujila. « J’essaie d’écrire le Congo en donnant la parole à ceux qui sont en marge, qui ont leur propre vision du pays et qui, parfois, ne s’identifient même pas à la nation congolaise. J’essaie d’écrire à partir de cette subjectivité-là, car ils sont oubliés par la grande histoire. »
Les enfants des rues ont une langue et une vision à eux
Si les enfants des rues occupent une place importante dans La Danse du Vilain, Fiston Mwanza n’entend pas parler à leur place : « Je connais bien l’histoire de la rue, les gens de la rue, soutient ce supporter du FC Lupopo. Certaines phrases entendues me reviennent en tête. La plupart des enfants des rues ont une langue et une vision à eux. Ils se donnent des noms extravagants, font preuve d’une créativité extraordinaire et de beaucoup d’humour. Cette dérision est une forme de réponse à une réalité souvent insoutenable. J’ai voulu garder cette vitalité. J’ai traduit ce que disaient ces enfants, j’ai fait un travail de traducteur. »
Écrivain d’après-guerre
Honoré lors du concours Entre les bras du fleuve Congo, Fiston Mwanza Mujila a bénéficié d’une résidence en Belgique, puis d’une autre en Allemagne, avant de s’installer à Graz, en Autriche, où il enseigne la littérature africaine francophone et le cinéma. Bien loin de la rumba psychédélique du Mambo de la fête ? Peut-être, mais l’écrivain s’inscrit dans la continuité des auteurs germanophones d’après-guerre, comme ceux du Groupe 47, qui s’interrogeaient sur la pertinence de l’écriture après la barbarie nazie.
« Je suis dans cette lignée des écrivains d’après-guerre, dit-il. Le Congo d’aujourd’hui est comme l’Europe d’alors. Cinq armées s’y sont battues, des groupes rebelles ont éventré le sol congolais, il y a une amnésie par rapport à la période Mobutu, une absence de remise en question du passé zaïrois. »
Je cherche dans quelle langue dire le Congo
Ce n’est pas un hasard si La Danse du Vilain se déroule à la fin des années 1990, quand Laurent-Désiré Kabila s’apprête à prendre le pouvoir. « Il était important que les personnages aient le même âge que moi pour être dans une certaine sincérité, affirme Fiston Mwanza. Je cherche dans quelle langue dire le Congo, tout en restant dans un certain universalisme. » Il a, en tout cas, trouvé sa propre musique.
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