En Afrique, Orange a déposé les armes face à Google et Facebook

Les Gafam sont maintenant considérés comme des alliés par le groupe français, qui mise sur le développement de la data et de la fintech sur le continent.

Alioune Ndiaye, PDG d’Orange pour le Moyen-Orient et l’Afrique. © François Grivelet pour JA

Alioune Ndiaye, PDG d’Orange pour le Moyen-Orient et l’Afrique. © François Grivelet pour JA

Publié le 29 octobre 2020 Lecture : 5 minutes.

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« En Afrique, 95 % des téléphones tournent sous Android, le système d’exploitation de Google. » Dans les mots d’Alioune Ndiaye, patron d’Orange Afrique et Moyen-Orient (Omea), l’alliance avec la firme américaine pour commercialiser le nouveau smartphone Sanza Touch d’Orange sonne comme une évidence.

Depuis plusieurs mois, le groupe français multiplie les opérations avec les Gafam : outre le lancement de « l’un des téléphones les moins chers d’Afrique » à 25,50 euros, commercialisé depuis octobre en Guinée-Bissau, en Côte d’Ivoire et à Madagascar, Orange avait déjà rejoint Facebook, avec une multitude d’autres opérateurs opérant en Afrique autour du projet 2Africa, un futur câble sous-marin encerclant le continent.

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Changement de stratégie

Pourtant, lors de sa prise de fonctions, en 2018, le ton d’Alioune Ndiaye s’affichait volontiers offensif à l’encontre des deux géants américains les plus présents en Afrique, Google et Facebook.

« Orange a d’abord essayé de consolider son activité de “vache à lait” 2G, décrypte Steve Esselaar, expert dans le secteur des télécoms africaines au cabinet Research ICT Solutions. La société pensait que les autorités réglementaires l’aideraient à compenser ses investissements dans les réseaux haut débit. »

Lesquels sont considérables, d’après Alioune Ndiaye, qui assure qu’« Orange investit 1 milliard d’euros chaque année dans les infrastructures réseau en Afrique ».

« Cette stratégie a clairement échoué, il lui a fallu changer son fusil d’épaule », estime Steve Esselaar, pour qui l’avenir des revenus de télécoms se joue dans la donnée, WhatsApp et Facebook ayant remplacé le SMS et la voix. Un constat que partage Alioune Ndiaye : « La voix, qui représentait 80 % des revenus des opérateurs il y a quelques années, a plongé sous les 50 % », indique-t-il.

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Précieuses données

Selon Research ICT Solutions, elle représente 30 % des revenus mobiles en 2020 et pourrait bien avoir totalement disparu en 2025. « Nos chiffres d’affaires ont connu des baisses à deux chiffres en Afrique avec l’arrivée des acteurs over-the-top services [OTT ou service par contournement] », explique encore Alioune Ndiaye.

Pour les chercheurs du cabinet Research ICT Solutions, les OTT n’ont pas seulement pris des parts de revenus aux opérateurs. Ils se sont aussi approprié une denrée de valeur : le contrôle des données d’usage de leurs clients.

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« Pendant des années, les fournisseurs d’accès à internet (FAI) étaient ceux qui avaient le plus d’informations quant à leurs utilisateurs, sachant où ils se trouvaient, avec qui et quand ils communiquaient. Aujourd’hui, les médias sociaux et les achats en ligne constituent une source d’information plus puissante et plus détaillée. Les informations qu’Amazon et Facebook possèdent sur un client sont probablement plus précieuses que celles qu’un FAI possède sur le même client. »

Nouveaux relais de croissance

L’opérateur s’est alors tourné vers des relais de croissance. La data, tout d’abord : « Orange a dépensé plusieurs centaines de millions d’euros pour acquérir les licences 4G et déployer les réseaux dans plusieurs des 18 pays où nous sommes présents », affirme Alioune Ndiaye.

Mais aussi de nouvelles fonctions, qui, en plus de générer des revenus (5,65 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 6 % de croissance pour l’Afrique et le Moyen-Orient en 2019), lui permettraient de reprendre la main sur une bonne partie des activités de ses clients : le lancement d’une solution de transfert d’argent avec Orange Money en 2008 – qui compte aujourd’hui 50 millions de clients sur le continent – et le service bancaire Orange Bank Africa, inauguré en Côte d’Ivoire en juillet 2020 avec la banque ivoirienne NSIA.

« Orange Bank Africa a démarré ses activités à Abidjan et proposera des offres au Burkina Faso, au Mali et au Sénégal en 2021, dès que nous aurons l’autorisation des régulateurs bancaires nationaux », indique Alioune Ndiaye.

« Nous ne sommes pas en guerre contre les Gafam »

Dans cette nouvelle ère, où l’opérateur semble libéré de sa dépendance aux revenus liés à la voix, Orange est donc logiquement moins réticent à se tourner vers les géants du numérique. « Nous ne sommes pas en guerre contre les Gafam, insiste le dirigeant sénégalais. D’autant plus que les services qu’ils offrent apportent une vraie valeur à nos clients. »

Pour le Sanza Touch, Orange a troqué KaiOS – le système d’exploitation open source (OS) qui équipait le Sanza, le feature phone en 3G lancé par l’opérateur en février 2019 – pour Android Go, l’OS allégé de Google « qui permet d’optimiser la capacité mémoire et la consommation de données », précise Alioune Ndiaye.

On y trouve d’ailleurs aussi bien, par défaut, les applications Orange (Orange & Moi, Orange Money…) que celles de Google (Google Go, YouTube Go…) et même Facebook et WhatsApp.

Partage du fardeau fiscal

Reste que, si Orange ne livre plus bataille aux géants du numérique, Alioune Ndiaye entend toujours lutter contre la pression fiscale, qu’il juge trop forte.

« En 2019, le revenu global cumulé des cinq Gafam représentait 915 milliards de dollars. On ne peut pas imaginer qu’ils ne soutiennent pas financièrement une partie des infrastructures internet des pays dans lesquels ils opèrent. En Afrique, il n’y a rien de comparable à la taxe française de 3 % [votée en 2019]. »

Le directeur d’Omea préconise qu’une partie des taxes touchant les opérateurs soit supportée par les Gafam : « Dans les pays africains où nous sommes présents, nous sommes taxés à hauteur de 30 % à 40 % de nos chiffres d’affaires. Or, selon une étude commandée en 2018 au cabinet Goodwill Management, grâce aux investissements ainsi qu’aux emplois que nous générons, à nos activités de mécénat et à notre fondation, nous représentons jusqu’à plus de 10 % du PIB dans certains pays, comme au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Il n’est pas raisonnable que les Gafam ne paient pas une partie de ces 30 % à 40 % de taxes », fait-il encore valoir.

2Africa, un « excellent exemple de coopération »

Quant à l’investissement des Gafam dans les infrastructures réseaux, Alioune Ndiaye pointe tout de même une lueur d’espoir : les câbles sous-marins. « Sur ce point, ils ont changé de braquet », se réjouit-il, considérant que 2Africa est « un excellent exemple de coopération entre Gafam et opérateurs africains ».

Une initiative qui « augmente la résilience de nos réseaux, nous permet de faire face aux besoins grandissants de connectivité sur le continent, et baisse les coûts » ; initiative d’autant plus bienvenue qu’Orange doit faire face à un nouveau ralentissement de la croissance de ses revenus lié à la pandémie de Covid-19, qui pourrait bien contrecarrer son objectif de 5 % de croissance d’ici à 2023.

« Contrairement à ce que beaucoup disent, les volumes du trafic de données ont certes plus que doublé en 2020, mais cela ne s’est pas traduit en hausse de revenus car nous avons aussi dû multiplier les offres pour aider nos clients à conserver leur accès à internet », témoigne Alioune Ndiaye. Cette fois-ci, les relais de croissance sur lesquels compte le dirigeant d’Orange sont plutôt liés à de futurs services dans l’énergie, la santé et l’éducation.

Vers une taxation des géants du numérique

Plusieurs pays africains ont déjà instauré une taxe ciblant les Gafam, parmi lesquels le Nigeria, le Zimbabwe et le Kenya, même si ce dernier pourrait bien faire volte-face à cause d’un accord économique avec les États-Unis en cours de négociation.

Par ailleurs, l’African Tax Administration Forum (Ataf), groupement de 38 autorités fiscales africaines, piloté depuis Pretoria, a publié le 30 septembre un document de travail pour aider les gouvernements à taxer les entreprises du numérique qui font du profit sur leur territoire sans y être véritablement installées.

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