Sahara : l’Algérie enfonce le clou
Si le président algérien a opéré une véritable rupture avec son prédécesseur sur la forme, rien n’a vraiment changé sur le fond, notamment s’agissant du soutien au Polisario, qu’il a réaffirmé à l’envi.
Depuis 1994, les frontières entre l’Algérie et le Maroc sont aussi hermétiques que les rapports entre les voisins sont glaciaux. Et rien n’indique, d’un côté ni de l’autre, qu’un possible dégel soit à l’ordre du jour.
Depuis son arrivée au palais d’El-Mouradia en décembre 2019 après le mouvement populaire qui a chassé Abdelaziz Bouteflika du pouvoir, Abdelmadjid Tebboune souffle le chaud et le froid, se montrant tantôt acerbe, tantôt conciliant avec le voisin de l’Ouest.
Sahara occidental, réouverture des frontières terrestres, relations bilatérales, trafic de drogue, dossiers libyen et malien, ou encore influence en Afrique, les sujets qui empoisonnent les relations entre Alger et Rabat sont légion. Et l’accession de Tebboune à la présidence de la République n’a, sur le fond, pas changé grand-chose.
Frères ennemis
Entre Alger et Rabat, le statu quo est de mise : déclarations incendiaires, articles de presse insultants et incidents diplomatiques rythment une chorégraphie que les deux frères ennemis mettent en scène depuis maintenant presque un demi-siècle.
Sur la forme, l’actuel président algérien a pourtant opéré une véritable rupture par rapport à son prédécesseur. Depuis l’AVC de 2013 qui l’avait cloué dans un fauteuil roulant, Bouteflika s’était retiré de la scène internationale, rendant ainsi inaudible et inopérant l’appareil diplomatique algérien, que Tebboune s’emploie aujourd’hui à ressusciter.
La participation du chef de l’État algérien au 33e sommet de l’UA, à Addis-Abeba, en février 2020, est une première depuis janvier 2010. Conséquence de cette éclipse diplomatique : l’affaire du Sahara occidental avait fini par être rangée au bas de la pile des dossiers prioritaires de Bouteflika. Avant d’être ressortie et dépoussiérée par Tebboune.
Les multiples déclarations du président Tebboune sur le conflit n’augurent guère d’un début de normalisation
Mais si ce dernier répète à l’envi que l’Algérie n’a pas de problème avec le Maroc et qu’il est disposé à rétablir des relations, ses multiples déclarations sur le conflit sont sans équivoque et n’augurent guère d’un début de normalisation.
Pour Alger, la question du Sahara est toujours une affaire de décolonisation. En visite le 10 octobre au ministère de la Défense, Tebboune a rappelé la position algérienne canonique.
Relance du processus de négociations
Dénonçant « la politique du fait accompli » du Maroc – référence à l’installation de consulats africains dans le Sahara occidental – et l’absence d’une solution pacifique au conflit, il a demandé l’application des résolutions de l’ONU relatives à l’organisation d’un référendum d’autodétermination, la nomination dans les plus brefs délais d’un envoyé spécial onusien, ainsi que la relance du processus de négociations entre Marocains et Sahraouis. Faute de quoi, point de réconciliation.
Soutien indéfectible du Polisario et de la cause sahraouie, l’Algérie est considérée par son voisin de l’ouest comme le troisième belligérant
Soutien indéfectible du Polisario et de la cause sahraouie, l’Algérie est considérée par son voisin de l’ouest comme le troisième belligérant. Aussi, pour Rabat, la solution à cette guerre froide, qui dure depuis le cessez-le-feu de 1991, passe inévitablement par l’implication directe des Algériens.
Réponse invariable de ces derniers : l’Algérie n’est pas partie prenante, ne l’a pas été et ne le sera pas. Un diplomate à Alger résume la question ainsi : « L’ONU affirme qu’il y a deux parties responsables, à savoir le Maroc et le Polisario. L’autodétermination est un principe marqueur de notre diplomatie. Nous demandons le respect de la légalité internationale. Et quel que soit le choix des Sahraouis à l’issue du référendum – l’indépendance ou le rattachement au Maroc –, nous le respecterons. Encore faut-il qu’ils aient la possibilité de décider de leur destin. »
Position historique
Tebboune campe sur cette position. Pourtant, l’histoire démontre que l’affaire du Sahara occidental ne constitue pas un obstacle insurmontable à une éventuelle normalisation.
« Contrairement au discours développé au Maroc, l’armée algérienne ne conditionne pas la normalisation des relations au règlement de la question du Sahara, abonde un diplomate à Alger. La position de l’armée est conforme à celle de l’État algérien. »
En 1988, à la faveur d’un processus de rapprochement de plusieurs années, notamment grâce à la médiation saoudienne, Alger et Rabat avaient rétabli leurs relations diplomatiques, rompues depuis 1975.
En février 1989, le président Chadli Bendjedid avait même effectué une visite de deux jours au Maroc
En février 1989, le président Chadli Bendjedid avait même effectué une visite de deux jours au Maroc, à l’issue de laquelle les deux pays avaient rouvert leurs frontières.
« La question du Sahara n’a pas empêché cette normalisation, pas plus qu’elle n’a été un obstacle à la réouverture des frontières, note l’ancien ambassadeur Abdelaziz Rahabi. Ce réchauffement s’était d’ailleurs opéré sur la base d’un consensus autour de l’organisation d’un référendum d’autodétermination. »
Nouvelle fermeture des frontières
Le divorce arrive en 1994 avec l’attentat terroriste de Marrakech. Nouvelle fermeture des frontières et brutal retour à la période glaciaire. L’espoir renaît avec l’arrivée au pouvoir de Bouteflika, en 1999, quelques mois avant l’accession au trône de Mohammed VI.
Natif du Maroc, où il a passé sa jeunesse, diplomate au long cours réputé iconoclaste, l’ex-ministre des Affaires étrangères de Boumédiène affiche sa volonté de régler tous les contentieux avec le voisin.
Entre Bouteflika et Mohammed VI, le courant ne passe vraiment pas
« Vous verrez, je vais régler la question du Sahara occidental dans six mois », confie-t-il à des diplomates algériens quelques semaines après son élection. Las ! Entre lui et Mohammed VI, le courant ne passe vraiment pas. Bouteflika prend de haut le souverain marocain, le juge immature et fermé, quand M6 goûte peu la condescendance du président algérien, dont il confie un jour à Jacques Chirac qu’il n’est « pas fiable ». Ambiance.
Pourtant, l’occasion de solder les différends s’était présentée lors du sommet de la Ligue arabe de mars 2005, à Alger, auquel le roi du Maroc avait assisté.
« Bouteflika a promis à Mohammed VI de faire une déclaration commune pour amorcer le dégel des relations à l’occasion de ce sommet, se souvient un diplomate algérien. Il l’a fait poireauter pendant deux jours, avant que le roi du Maroc quitte Alger sans décrocher la rencontre tant attendue. »
L’occasion ne se renouvellera pas. Les relations se réduisent depuis à des échanges protocolaires ou épistolaires à l’occasion des fêtes nationales, où les sempiternels serments d’amitié entre les « deux peuples frères » ne font jamais défaut. Dans les faits, les frontières terrestres, dont la réouverture est sans cesse réclamée par Rabat comme un gage de bonne volonté, sont toujours fermées.
Tollé
En juin, le tollé soulevé par une déclaration prêtée au consul du Maroc à Oran – « l’Algérie est un État ennemi » – et la convocation de l’ambassadeur marocain à Alger révèlent à quel point les liens demeurent tendus.
Accusé d’être un agent du renseignement marocain – des allégations que le ministre chérifien des Affaires étrangères a jugées ridicules et sans fondement –, le consul a fini par être rappelé à Rabat.
Cette première crise diplomatique sous la mandature de Tebboune illustre le gouffre qui sépare toujours les deux frères ennemis. « On a appris à vivre les uns sans les autres », résume un proche du chef de l’État algérien.
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