Olam, Comilog, Perenco : les alliés particuliers du Gabon
Plutôt que de diversifier ses partenariats, l’État préfère, pour la réalisation de ses grands projets, miser sur des groupes privés implantés de longue date. Quitte à limiter la concurrence…
Gabon : retour aux fondamentaux
À l’heure où l’économie est fragilisée par la crise du Covid-19, le président Ali Bongo Ondimba ne veut plus protéger une classe politique qu’il a promue et qu’il juge peu soucieuse de l’intérêt du pays.
Au Gabon, les remaniements ministériels sont presque une routine. On en compte une dizaine depuis 2018, dont le dernier est intervenu en décembre dernier après la démission du ministre de l’Économie Jean-Marie Ogandaga. « L’instabilité est érigée en mode de gouvernement », raille l’économiste Mays Mouissi.
En parallèle de cette valse des commis de l’État, le pouvoir instaure une forme de continuité dans ses projets au travers de relations au long cours avec certains groupes privés.
Le singapourien Olam en offre un exemple très parlant. Arrivée au Gabon en 1999, l’entreprise a d’abord importé du riz et du lait en poudre en même temps qu’elle exportait des grumes de bois. Également présente dans la production d’hévéa et d’huile de palme, elle a surtout profité à partir de 2010 des grands projets d’infrastructures du gouvernement pour se diversifier, notamment grâce au Plan stratégique Gabon émergent (PSGE), élaboré à la demande d’Ali Bongo Ondimba pour sortir le pays de sa dépendance au pétrole.
2 milliards d’euros injectés entre 2010 et 2018
À travers sa filiale Gabon Special Economic Zone (GSEZ), qui donnera naissance à Arise, Olam va construire et obtenir la gestion de la zone économique spéciale de Nkok, destinée à la transformation du bois, bâtir le nouveau port d’Owendo, qu’il gère en partie, en plus du terminal minéralier d’Owendo, et devrait réhabiliter à l’horizon 2023, avec l’appui du français Meridiam, 780 kilomètres de routes entre Libreville et Franceville pour donner naissance à la Transgabonaise.
En 2018, Arise avait aussi repris la gestion de l’aéroport de Libreville au groupe français Egis et décroché la construction du nouvel aéroport.
Ces partenariats avec l’état sont affichés comme très vertueux par les autorités gabonaises. La zone de Nkok aurait permis de créer, d’après les données fournies par l’entreprise, 8 000 emplois directs et aurait concentré 1,7 milliard de dollars d’investissement. Entre 2010 et 2018, Olam a lui-même injecté près de 2 milliards d’euros au Gabon, soit plus de 45 % du montant total des investissements directs étrangers sur cette période, indique un document du Trésor français.
Alignement parfait entre intérêt privé et volonté politique
La coopération avec le géant singapourien a été facilitée par les liens personnels noués par le Palais avec la direction de l’entreprise. Aujourd’hui coordinateur général des affaires présidentielles, Noureddin Bongo Valentin, fils du chef de l’État, a été de 2014 à 2019 l’un des plus proches collaborateurs de Gagan Gupta, alors directeur général de la filiale gabonaise. Théophile Ogandaga, depuis l’an dernier directeur de cabinet du chef de l’État, était jusqu’alors numéro deux du groupe dans le pays.
Cet alignement parfait entre intérêt privé et volonté politique traduit aussi la nécessité de Libreville de s’appuyer sur des partenaires privés pour mettre en œuvre certains grands projets au moment où ses finances sont sous pression. Selon les chiffres du FMI, les investissements publics n’ont cessé de baisser entre 2012 et 2017, passant de 46 % du budget à 13 %.
Une bonne entente qui n’empêche pas des ratés, comme le retard pris par le programme Graine. Lequel – mis en action par la Sotrader, une société détenue à 51 % par l’État et à 49 % par Olam – prévoyait de faire passer la contribution du secteur agricole au PIB de 5 % en 2015 à 20 % en 2020. L’année passée, ce dernier stagnait toujours au-dessous de 6 %, selon la Banque mondiale.
La transparence en question
Plébiscitée par l’État, la multiplication de ces projets sans mise en concurrence pose également la question de la transparence, comme le signalait le FMI en 2019 sans en viser un en particulier. Dans cette stratégie de consolidation des acquis, chacun y trouve son compte… via des mécanismes de partage de la rente dans un pays où le pouvoir économique n’est jamais loin du pouvoir politique, juge l’universitaire Jean-Louis Nkoulou-Nkoulou.
« Si certaines entreprises occupent des positions dominantes, c’est parce que l’environnement est incertain et que cela freine l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché », estime aussi Mays Mouissi. Le climat politique tendu, les affaires de corruption, l’instabilité gouvernementale et l’AVC qui a frappé le chef de l’État en 2018 sont autant d’éléments de perception négatifs qui pénalisent le Gabon aux yeux des investisseurs.
En 2020, le classement « Doing Business » de la Banque mondiale sur le climat des affaires classe le pays à la 169e place sur 190. « Travailler avec des entreprises qui connaissent le potentiel de nos ressources permet d’accélérer la mise en œuvre des projets, de ne pas perdre de nombreux mois en études et en négociations sur les conditions d’investissement, comme c’est le cas avec un nouveau partenaire », argumente Davy Emane Ndong Nze, coordinateur de l’unité d’appui aux partenariats public-privé.
Alliances inaltérables
Dans le secteur des matières premières, c’est aussi l’assurance d’avoir des interlocuteurs dont les décisions seront moins influencées par la variation des cours car une partie de leurs investissements est déjà amortie.
Dans ce contexte, certaines alliances semblent inaltérables. Créée avant même l’indépendance du pays, la Compagnie minière de l’Ogooué (Comilog) exploite depuis 1962 le gisement de manganèse du plateau de Bangombé, près de Moanda. La filiale du français Eramet est de loin la première contributrice d’un secteur minier qui représente aujourd’hui 6 % du PIB.
En dépit de l’arrivée de concurrents chinois et indien au cours de la dernière décennie, Comilog extrait 90 % du manganèse issu du sous-sol gabonais, soit 4,8 millions de tonnes de minerais l’an dernier. Sa maison mère souhaite porter sa production à 7 millions de tonnes par an d’ici à 2023, grâce à l’exploitation, lancée cette année, d’un nouveau gisement, toujours proche de Moanda.
Perenco, après Total
Le Gabon a tout intérêt à voir la filiale d’Eramet prospérer puisqu’il en détient 28,9 % du capital. Là aussi les rapports personnels ont souvent permis par le passé d’entretenir une relation de confiance. Marcel Abéké, directeur général de Comilog jusqu’en 2011 et aujourd’hui brouillé avec le Palais, a par exemple été l’un des grands pourvoyeurs de fonds du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir), et la famille Bongo était elle-même un actionnaire minoritaire du groupe, selon un rapport réalisé en 2012 par le cabinet d’avocats Fénéon-Delabrière.
Cette fidélité n’empêche pas le pays d’élargir le cercle de ses partenaires privilégiés, y compris dans le secteur stratégique des hydrocarbures, qui représente 80 % des exportations. Longtemps lié aux pétroliers Total et Shell, le Gabon s’est rapproché ces dernières années du groupe franco-britannique Perenco.
Arrivé en 1992 dans le pays, il est devenu le premier opérateur local à la faveur de l’achat des blocs onshore de Total en 2017. Sa production, pétrole et gaz confondus, atteindrait 100 000 barils par jour, quand 220 000 barils sont extraits à l’échelle du pays. Une montée en puissance bienvenue pour le Gabon puisque sa production a pu à nouveau augmenter après plusieurs années de baisse (+ 13 % en 2019 par rapport à 2018). Mais, là encore, la transparence dans cette relation pose question au moment où la compagnie est accusée de polluer des sites naturels.
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