Nicole Janine Lydie Roboty : « Depuis 2010, l’économie gabonaise est beaucoup plus résiliente »

Récession et relance, diversification de l’activité et création d’emplois, audit de la dette intérieure… La première femme ministre de l’Économie et de la Relance du Gabon, répond aux questions de JA.

Nicole Janine Lydie Roboty, nommée ministre de l’Économie et de la Relance le 9 décembre 2020. © DR

Nicole Janine Lydie Roboty, nommée ministre de l’Économie et de la Relance le 9 décembre 2020. © DR

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Publié le 6 janvier 2021 Lecture : 6 minutes.

Boulevard triomphal à Libreville, Gabon. © Runkel/Robertharding/ANDBZ/ABACA
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Gabon : retour aux fondamentaux

À l’heure où l’économie est fragilisée par la crise du Covid-19, le président Ali Bongo Ondimba ne veut plus protéger une classe politique qu’il a promue et qu’il juge peu soucieuse de l’intérêt du pays.

Sommaire

Pas de période d’adaptation pour Nicole Janine Lydie Roboty, nommée ministre de l’Économie et de la Relance le 9 décembre dernier à la suite de la démission de Jean-Marie Ogandaga.

À 54 ans, nantie d’un diplôme d’études supérieures de l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne et du Centre d’études financières économiques et bancaires (Cefeb), elle avait été nommée le 17 juillet 2020 ministre déléguée à l’économie, un ministère où elle a effectué l’essentiel de sa carrière.

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Cette ancienne directrice générale adjointe de la dette est très attendue sur ce dossier crucial, récemment repris par la présidence à travers la mise en place d’une task force. Première femme à occuper ce poste, elle assume crânement, autant que la Première ministre Rose Christiane Ossouka Raponda, la charge symbolique de pionnière à ce poste clé de l’État, jadis réservé aux hommes.

Jeune Afrique : Alors que l’économie mondiale tourne au ralenti à cause notamment du Covid-19, comment se porte l’économie gabonaise ?

Nicole Janine Lydie Roboty : La pandémie du Covid-19 est venue remettre en cause les efforts consentis pour restaurer le cadre macroéconomique sur la période 2017-2019.

En effet, l’économie nationale a subi un triple choc lié à la chute de la demande mondiale de nos principaux produits d’exportation, à la baisse des cours de produits de base et au ralentissement de certaines activités au niveau national, suite aux mesures de lutte contre le Covid-19. Par conséquent, le produit intérieur brut se contracterait d’environ 5 points du PIB par rapport à 2019 pour se situer entre ­– 1 et ­– 2 %. Les recettes d’exportation et le budget de l’État seraient également en repli.

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Parmi les secteurs les plus affectés par la crise figurent les services, y compris les services pétroliers du fait du report de certains investissements, le BTP en lien avec le ralentissement de l’investissement public et les autres industries. Les activités du secteur informel ont subi les effets des mesures restrictives. Cependant, l’ampleur de la crise devrait être moindre sur d’autres indicateurs, notamment dans certaines branches du secteur réel (mines, rentes, transports et raffinage) et sur l’inflation.

Quant aux finances publiques, la baisse des prix et de la production de pétrole, ainsi que la contraction de l’activité hors pétrole se caractériseraient par une baisse des recettes budgétaires d’environ 4 points du PIB par rapport à 2019. De même, les dépenses totales enregistreraient une baisse de 1,5 point par rapport à l’exécution du budget en 2019 avec le relèvement des dépenses de santé en lien avec l’effort de lutte contre le Covid-19.

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Ainsi, le solde budgétaire devrait se dégrader. Le solde de la balance commerciale du Gabon devrait rester excédentaire en 2020, mais en baisse par rapport à 2019. Globalement, le Covid-19 impacte négativement notre économie. Toutefois, comparativement à certains pays du continent, nous montrons de meilleurs signes de résilience.

Face à la crise sanitaire, quelle est la stratégie du gouvernement pour faire repartir la croissance en 2021 ?

Cette stratégie se fonde essentiellement sur deux piliers, à savoir l’accélération des réformes structurelles et la concrétisation de nombreux projets porteurs. Les réformes structurelles porteront sur la réorganisation du cadre institutionnel de certains secteurs comme les infrastructures, l’agriculture, l’habitat, l’énergie et la filière bois.

S’agissant des finances publiques, ces réformes s’articuleront autour de l’optimisation de la mobilisation des recettes et de la rationalisation des dépenses. Lesdites réformes toucheront aussi l’environnement des affaires, aussi bien en matière fiscale que dans la promotion des investissements. S’agissant de la mise en œuvre des projets porteurs, nous anticipons un effort d’investissement de plus de 4 700 milliards de F CFA (près de 7,2 milliards d’euros) sur les trois années à venir, financé majoritairement par le secteur privé et les PPP.

Ces investissements concerneront principalement les secteurs des infrastructures de transport, l’énergie, l’industrie, la filière bois, l’éducation et la santé. L’effort de l’État ira prioritairement vers l’accélération des projets porteurs de croissance et dans les domaines prioritaires tels que la santé, l’éducation et le social.

La crise sanitaire a révélé ce qu’on savait déjà : la dépendance à l’égard du pétrole, la vulnérabilité du pays sur le plan de la sécurité alimentaire. Pourquoi les politiques de diversification de l’économie tardent-elles à porter leurs fruits ?

Il faut savoir que la transformation structurelle d’une économie est un processus qui prend du temps. Je voudrais également rappeler que depuis 2010, le Gabon a accompli des progrès en matière de diversification économique à travers la mise en œuvre du Plan stratégique Gabon émergent (PSGE). En effet, le poids du secteur pétrolier est passé de 42,2 % du PIB en 2010 à 32,7 % en 2019.

Personne ne s’attendait au brutal retournement de la conjoncture que notre pays vit depuis avril 2020

Le secteur bois, avec la zone économique spéciale de Nkok, est une illustration du succès de cette politique de diversification. La mise en œuvre du PSGE a été ralentie par la chute du prix du pétrole de plus de 50 % en 2014, avec des conséquences sur les plans macroéconomique et budgétaire, et donc une réduction des capacités d’intervention de l’État, qui a été le moteur du processus.

Cette crise avait d’ailleurs conduit à l’arrêt de certains chantiers majeurs. C’est pourquoi notre objectif prioritaire sur la période 2017-2019 a été la restauration du cadre ou des équilibres macroéconomiques afin de remettre le pays sur le sentier de la croissance inclusive et durable à travers la mise en œuvre d’un plan de relance.

Malgré le retard occasionné dans ce processus vers la transformation structurelle, des progrès certains ont été enregistrés depuis 2010, ce qui a permis d’améliorer la résilience de l’économie gabonaise face aux chocs. C’est pourquoi l’impact sur la croissance est moins spectaculaire que ce qui est constaté dans d’autres pays pétroliers, y compris dans la sous-région.

Le 31 décembre 2019, à l’occasion de son discours de vœux à la nation, le président Ali Bongo Ondimba avait fait la promesse de créer 10 000 emplois nouveaux par an pour résorber le chômage. Cette promesse a-t-elle été tenue ?

L’annonce avait été faite dans un contexte où nous anticipions une croissance de 3,8 %. Personne ne s’attendait au brutal retournement de la conjoncture que notre pays vit depuis avril 2020, comme le reste du monde d’ailleurs. Vous comprenez donc que dans un tel contexte espérer atteindre les objectifs en matière de création d’emplois n’est pas réaliste.

La task force ne s’est pas limitée à contrôler la procédure d’attribution des marchés publics, elle a aussi vérifié sur le terrain leur bonne exécution

Pour lutter contre les effets du Covid-19 et préserver le pouvoir d’achat, le chef de l’État a pris des mesures salutaires pour lutter contre les pertes d’emplois. Le cadre du travail a notamment été aménagé pour éviter des licenciements.

L’audit sur la dette intérieure demandé par la présidence a rejeté deux tiers des sommes réclamées à l’État, considérées comme « fictives ». Comment expliquer une telle proportion de dettes fictives ?

Là où les premiers audits se sont contentés de travailler uniquement sur pièces, la task force a systématiquement procédé à des vérifications sur le terrain pour s’assurer de l’exécution ou non des travaux. À ce jour, ce sont environ 440 milliards de F CFA de dettes qui se sont révélées fictives sur les 650 milliards de F CFA audités.

Si la task force est parvenue à mettre à jour un tel montant, contrairement à un contrôle administratif classique, c’est que la méthode adoptée a été totalement différente. La task force ne s’est pas limitée à contrôler la régularité de la procédure d’attribution des marchés publics, elle a aussi vérifié dans les faits et sur le terrain la bonne exécution de ces marchés.

C’est ce point qui est fondamental et qui explique pourquoi l’audit de la task force est extrêmement rigoureux. Il faut enfin rappeler que les travaux de la task force ont déjà permis de procéder au paiement d’un montant global de 4 milliards de F CFA à ce jour, au titre des créances de 300 entreprises. Il s’agit du remboursement des créances dont le montant est égal ou inférieur à 70 millions de F CFA qui bénéficie aux PME, avec pour objectifs de préserver l’emploi et d’assurer leur résilience face à la crise actuelle.

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