Christiane Taubira : « La France doit regarder son passé esclavagiste en face »

À l’occasion de la parution de son premier roman, « Gran Balan », dont l’action se situe dans sa Guyane natale, l’ex-ministre française de la Justice s’est confiée à Jeune Afrique. Avec la verve et le franc-parler qui la caractérisent.

Une oratrice charismatique dont deux lois françaises portent le nom. © JOEL SAGET/AFP

Une oratrice charismatique dont deux lois françaises portent le nom. © JOEL SAGET/AFP

Publié le 29 décembre 2020 Lecture : 11 minutes.

Elle est aujourd’hui la figure la plus charismatique de la gauche française, au point qu’une pétition en ligne a circulé pour l’inviter à se présenter à la prochaine élection présidentielle française. L’ancienne garde des Sceaux, la première femme à être députée de Guyane, l’oratrice dont deux lois françaises portent le nom, offre une œuvre polyphonique ancrée dans sa terre natale.

Dans la continuité de ses essais et de ses préoccupations politiques, le premier roman de Christiane Taubira, Gran Balan, s’adresse à la jeunesse. Depuis Cayenne, elle a répondu à nos questions.

Jeune Afrique : Gran Balan porte des paroles de jeunes représentant le multiculturalisme guyanais. Comment est né ce roman ?

Christiane Taubira : C’est une expérience singulière pour moi. Mes premiers écrits étaient des nouvelles qui restaient dans mes tiroirs. Sauf lors d’expériences militantes pour un ouvrage collectif, en solidarité avec les réfugiés, avec renoncement aux droits d’auteur. J’écris des essais, des textes de chansons comme celle avec Gaël Faye récemment.

J’étais persuadée que je ne serais pas capable d’écrire un roman. Le confinement a imposé à la semi-nomade que je suis une vie sédentaire et j’ai découvert que j’étais en mesure de commencer un roman, de le tenir et de l’achever. Je n’avais aucune pression. Personne ne savait que je l’écrivais. C’est une écriture totalement libre, sans concession, sans finalité. J’écris des essais pour convaincre. Là, ce n’est pas le cas.

En ouverture du roman, deux phrases : « À cette jeunesse dont on obstrue l’horizon. En indifférence. Impunément. » Et une citation de Frantz Fanon : « Il y a ma vie prise au lasso de l’existence. Il y a ma liberté qui me renvoie à moi-même. » Pourquoi ?

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C’est un roman pour la jeunesse. Faire vivre ces jeunes est une façon de les faire monter sur scène, d’éclairer leur existence qui peut être ternie par le manque d’opportunités, la confiscation de destinée. Tous les personnages sont inventés, composés à partir des jeunes que j’ai vus et entendus. J’ai imaginé leurs pensées.

J’ai écrit un roman comme quelqu’un ayant une vie d’engagements et de combats

Vous racontez vos personnages en choisissant de ne pas les décrire ­physiquement. Pourquoi ?

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L’apparence ne dit rien de personne. J’ai écrit un roman comme quelqu’un ayant une vie d’engagements et de combats. Donner une invisibilité totale à l’apparence physique est un choix délibéré et chargé de sens. Je rends aussi hommage à Toni Morrison qui a posé la question de son obligation, en tant qu’africaine-américaine, de décrire les personnages, et notamment leur couleur. Deux fois, dans un roman et une pièce de théâtre, elle a dit avoir écrit sans définir cette couleur. Et l’éditeur l’a contrainte, d’une certaine façon, à le faire.

Ce roman qui traverse toute la Guyane dépeint une jeunesse lucide, connectée, créative mais aussi désillusionnée.

Bien s’informer, mieux décider

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