La sélection « Jeune Afrique » des meilleurs livres de 2020

C’est peu dire que l’année écoulée n’a pas été simple. Pour beaucoup, la lecture a représenté un exutoire de leur frustration pendant le confinement. Si vous les avez manqués, voici une sélection des livres les plus marquants pour attaquer 2021 du bon pied.

En plein confinement, à Paris, une femme rêve d’être à la plage et transforme son canapé, en mars 2020. © Florence LEVILLAIN/SIGNATURES

En plein confinement, à Paris, une femme rêve d’être à la plage et transforme son canapé, en mars 2020. © Florence LEVILLAIN/SIGNATURES

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Publié le 8 janvier 2021 Lecture : 7 minutes.

404, de Sabri Louatah

404, de Sabri Louatah, Flammarion. © Editions Flammarion

404, de Sabri Louatah, Flammarion. © Editions Flammarion

Le titre du roman est 404, le nom du vieux modèle Peugeot, et il aurait pu s’appeler Testarossa, en référence à la Ferrari. Du rythme, du rythme, du rythme tout au long de ce thriller captivant qui se lit comme on dévore une série télévisée. Dans un futur proche, les Mirages, des vidéos impossibles à distinguer de la réalité, sont diffusées sur les réseaux sociaux.

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L’une de ces fake news, mettant en scène le président algérien en train de violer la candidate à la présidentielle française, fait basculer le scrutin. Comme dans son œuvre précédente, la tétralogie Les Sauvages, Sabri Louatah ausculte l’identité française là où ça fait mal : dans ses rapports avec les Arabo-musulmans. Une dystopie dont l’actualité ne cesse de valider les sombres augures. Demain n’est pas loin…

404, de Sabri Louatah, Flammarion, 368 pages, 21 euros.

La part du Sarrasin, de Magyd Cherfi

Magyd Cherfi n’est jamais là où on l’attend. C’est peut-être ce qui fait de lui un homme et un artiste si précieux. Le chanteur de Zebda s’est réinventé depuis quelques livres en écrivain, mais, dans ses jeunes années, il surprenait déjà, comme il l’évoque dans La Part du Sarrasin, deuxième volet d’un récit autobiographique commencé avec Ma part de Gaulois.

On le retrouve ici quatre ans après le bac. Il fait du rock quand ses copains ne jurent que par le rap. Il se voit Français quand tout le monde le renvoie à ses racines maghrébines. Lecteur de Zola, adorateur de Léo Ferré, « le Madge » croit en l’idéal républicain… quand la République ne croit pas aux jeunes de son espèce. Cet ancien gosse de la banlieue toulousaine ne se fait pas d’illusion en voyant arriver la gauche au pouvoir et se dit offensé par la manière très froide dont le président François Mitterrand reçoit la délégation de la Marche des beurs.

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Cette quête identitaire est racontée avec verve par Cherfi dans un texte truffé de punchlines, mêlant argot et vocabulaire châtié. Toute une époque revit, dans sa complexité, et l’écrivain se confirme.

La part du Sarrasin, de Magyd Cherfi, Actes Sud, 432 pages, 22 euros.

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Des baisers parfum tabac, de Tayari Jones

« Des baisers parfum tabac » de Tayari Jones (éd. Presses de la Cité, 348p., 21€), traduit par Karine Lalechère. © DR

« Des baisers parfum tabac » de Tayari Jones (éd. Presses de la Cité, 348p., 21€), traduit par Karine Lalechère. © DR

Un homme marié à deux femmes, cela en fait une de trop aux yeux de la loi. James, polygame, se partage entre une famille officielle et une autre, qui vit dans son ombre. Dana, adolescente, est du mauvais côté de la barrière : elle est un secret. Tous ses choix – ses jobs d’été, les soirées où elle a le droit d’aller, sa future fac… – sont conditionnés par cette demi-sœur dans la lumière, qui, elle, ne connaît pas son existence. Quand la vérité éclatera-t-elle ? Cette question est le fil tendu qui porte le dispositif narratif, subtil et efficace. Comme dans Un mariage américain, Tayari Jones a le génie de placer ses personnages au cœur de dilemmes inextricables. Ces situations dramatiques révèlent la nature humaine dans toute sa complexité.

Des baisers parfum tabac, de Tayari Jones, Presses de la Cité, traduit par Karine Lalechère, 376 pages, 21 euros.

Une histoire populaire du football, de Mickaël Correia

Une histoire populaire du football. © DR

Une histoire populaire du football. © DR

En rédigeant Une histoire populaire du football, Mickaël Correia rappelle une évidence historique oubliée à l’heure du foot business : le sport collectif le plus regardé au monde est l’un des seuls à sortir tout droit des ateliers de la révolution industrielle anglaise plutôt que des bancs de l’université. Et les internationales ouvrières et anticolonialistes de la fin du XIXe siècle ont autant contribué à sa notoriété que les exploits de ses plus grandes stars relayés en mondovision.

Des premières équipes corpo ne restent aujourd’hui que quelques noms : Arsenal, West Ham, composées à leurs origines d’ouvriers et de dockers londoniens. Les tribunes du monde entier ont été sommées de s’assagir pour s’adapter au credo libéral d’un sport désormais lissé par l’argent. Ce qui n’empêche pas qu’un stade de foot reste un terrain de lutte politique, comme l’ont encore démontré les révolutions arabes de 2011, les derniers événements en Algérie… et les prises de position antiracistes de certains joueurs.

Une histoire populaire du football, de Mickaël Correia, La Découverte, 416 pages, 21 euros.

Reste avec moi, de Ayòbámi Adébáyò

Le titre du premier roman de la Nigériane Ayòbámi Adébáyò pourrait laisser penser à une bluette vite lue et vite oubliée… Et pourtant ! Ce livre écrit par une jeune femme de 32 ans et qui vient de paraître en poche chez J’ai Lu révèle un écrivain de talent.

Tout en racontant l’histoire d’amour entre Yejide et Akin avec poésie et crudité, la romancière brosse un portrait sans fard d’une société nigériane où le poids des traditions et la domination masculine peuvent détruire jusqu’à l’intimité d’un couple. Parsemé de références à l’histoire du pays, Reste avec moi est une riche parabole sur l’impuissance du patriarcat nigérian, incapable de se remettre en question, incapable de renouveler ses critères de pensée et incapable d’enfanter un monde nouveau.

Reste avec moi, de Ayòbámi Adébáyò, traduit par Josette Chicheportiche, J’ai Lu, 384 pages, 8 euros.

• Alma, le vent se lève, de Timothée de Fombelle

« Alma, le vent se lève », de Timothée de Fombelle, est paru chez Gallimard Jeunesse le 11 juin 2020. © François Place /Gallimard jeunesse 2020

« Alma, le vent se lève », de Timothée de Fombelle, est paru chez Gallimard Jeunesse le 11 juin 2020. © François Place /Gallimard jeunesse 2020

Avec Alma, le vent se lève, le romancier français Timothée de Fombelle propose le premier tome d’une trilogie consacrée à la traite négrière. Jeune ou moins jeune, le lecteur pourra suivre les aventures d’une jeune Oko, dont une partie de la famille a été enlevée par des marchands d’esclaves ; celles de Joseph, aventurier français embarqué à bord d’un navire négrier, et celle d’une foultitude d’autres personnages. S

ans doute ce premier tome était-il le plus dur à réussir, puisqu’il aborde la question polémique des enlèvements d’Africains par d’autres Africains pour le compte de marchands blancs qui ne prenaient pas le risque de s’aventurer dans les terres. Timothée de Fombelle franchit l’obstacle avec brio, porté par une écriture aussi poétique que subtile.

Alma, le vent se lève, de Timothée de Fombelle, Gallimard, 400 pages, 18 euros.

Les sables de l’empereur, de Mia Couto

Les sables de l'empereur. © Editions Métailié

Les sables de l'empereur. © Editions Métailié

Trilogie réunie en un roman, Les Sables de l’empereur se lisent telle une saga où le devenir des personnages, leurs choix, les routes qu’ils vont emprunter, nous tiennent en haleine. Parmi les protagonistes, la jeune Imani vit sur un territoire disputé par les Portugais et par l’empereur Ngungunyane, qui cherche à les contrer. Interprète du soldat portugais Germano, Imani pénètre dans les arcanes du pouvoir colonial et en décrit les rouages.

Prolifique écrivain mozambicain, Mia Couto nous entraîne au XIXe siècle, déployant « une incursion dans un passé qui n’est pas passé et dans une géographie qui, parce qu’elle est africaine, l’intéresse par son universalité ». Agrémenté de lettres et de proverbes, le roman aborde par l’intime toute la complexité de l’Histoire. Une œuvre qui vient de recevoir le prix Jan Michalski 2020, doté de 50 000 francs suisses.

Les sables de l’empereur, de Mia Couto, traduit par Elisabeth Monteira Rodrigues, Métailié, 672 pages, 25 euros.

Traquée. La cavale d’Angela Davis, de Fabien Grolleau et Nicolas Pitz

1970. Angela Davis intègre la liste des dix criminels les plus recherchés du FBI pour son implication présumée dans une prise d’otages. Depuis plusieurs mois, le puissant Hoover s’emploie à neutraliser cette militante communiste, noire et féministe, « intersectionnelle » avant l’heure. L’auteur français de bande dessinée Fabien Grolleau se focalise sur cette traque pour mettre en exergue « l’acharnement d’une société dominante blanche et masculine » contre Angela et, à travers elle, contre les Noirs d’Amérique.

Sur les planches dessinées par Nicolas Pitz, les attaques du Ku Klux Klan dans le quartier de son enfance en Alabama s’inscrivent parmi les moments fondateurs de la lutte pour les droits civiques. Et ses lettres passionnées au militant George Jackson riment avec les mots de James Baldwin.

Traquée. La cavale d’Angela Davis, de Fabien Grolleau et Nicolas Pitz, Glénat, 152 pages, 20 euros.

Jazz à l’âme, de William Melvin Kelley

C’est en 1965 qu’est initialement publié A Drop of Patience, titre original de ce Jazz à l’âme. À l’époque, son auteur, William Melvin Kelley, ne sait pas encore que, quelques années plus tard, il s’établira à Paris. Dans ce roman, on suit l’itinéraire d’un jazzman africain-américain, Ludlow Washington, né aveugle, qui tente de suivre les traces des génies de son époque entre les années 1930 et 1950.

Mais de quel instrument joue Ludlow ? Un instrument à vent, pour sûr. Peut-être celui de Charlie Parker ou de Clifford Brown ? Sans doute… Mais Kelley ne nomme jamais l’instrument dont joue ce musicien aux prises avec le racisme, à une époque où la ségrégation raciale est inscrite dans la Constitution. Dans ce récit fiévreux, Kelley nous rappelle à quel point be-bop et hard-bop furent les témoins d’une époque où les cœurs battaient beaucoup plus vite qu’à la normale.

Jazz à l’âme, de William Melvin Kelley, traduit par Eric Moreau, Delcourt, 247 pages, 20,50 euros.

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