Iran : Hassan Rohani et la troisième voie
La naissance de deux nouveaux partis réformateurs modérés pourrait renforcer le pôle « centriste » et consensuel incarné par le président Hassan Rohani. Décryptage.
Si le spectre d’un Iran nucléaire concentre l’attention planétaire, l’alchimie de sa politique intérieure est trop rarement prise en compte pour chercher à comprendre le moteur et les objectifs d’un régime luttant pour sa survie au cœur d’une région soumise à de grands bouleversements. Loin d’être un monolithe autoritaire coiffé d’un turban religieux, son paysage politique se compose des diverses tendances qui peuvent s’inscrire dans le cadre strict de la République islamique, des ultraconservateurs adeptes de l’autoritarisme et d’une application rigoriste de la loi islamique aux réformateurs les plus radicaux qui plaident pour la liberté et l’égalité, parfois même pour l’abandon de la velayet el-faqih, le principe théologico-politique phare de la révolution qui fait des religieux les tuteurs de la communauté. Et, à première vue, le régime des mollahs semble présenter ces jours-ci les symptômes d’une déroutante schizophrénie politique.
Alors que le feu vert a été donné au lancement de deux partis réformateurs, les militantes des droits de l’homme Narges Mohammadi et Atena Farghadani ont été jetées en prison en mai. Et lorsque Hassan Rohani, le président conservateur modéré élu en juin 2013 appelle, le 30 mai, à la tenue de législatives « libres et saines » l’an prochain, l’ayatollah Ahmad Janati, chef ultraconservateur du Conseil de surveillance des Gardiens de la révolution, réplique qu’il ne pourra en être question. À la tête de l’État, le Guide suprême, Ali Khamenei, souffle le chaud et le froid, prenant tantôt le parti du président, tantôt celui des ultraconservateurs, qui gardent le contrôle de rouages essentiels du pouvoir.
Les ultras en perte de vitesse
Majoritaires au Parlement, régnant sur les organes sécuritaires et sur le ministère de la Justice, les partisans de la ligne dure ont perdu le fauteuil présidentiel qu’ils occupaient de 2005 à 2013 avec Mahmoud Ahmadinejad au profit du modéré Rohani, élu grâce au ralliement des électeurs réformateurs. Mais ils entendent bien exister en faisant exercer les pressions les plus lourdes sur la société civile, les journalistes et les militants de la démocratie, et en essayant d’imposer leur ordre moral. Rohani a ainsi dû se dresser contre le projet de donner à la police et à la milice religieuse des bassidjis mandat pour faire respecter les « valeurs islamiques ». L’interdiction des « coiffures sataniques » et des tatouages a même été décrétée au début de mai. Mais, souligne Azadeh Kian, professeure de sciences politiques à l’université de Paris-7-Diderot, « s’ils font un bruit disproportionné, la radiotélévision d’État aux mains des conservateurs leur donnant un large écho, ces ultras ont perdu beaucoup d’influence et n’ont plus de poids réel dans l’opinion ».
À l’opposé, la voix des réformateurs les plus radicaux est étouffée, bien qu’une partie significative de l’opinion leur reste favorable. Les leaders « séditieux » du Mouvement vert, qui a mené une insurrection durement réprimée en 2009 après la réélection contestée d’Ahmadinejad contre son champion Mir Hossein Moussavi, sont assignés à résidence depuis 2011. La plupart des cadres du Mouvement ont pris le chemin de l’exil, et ses militants, sous étroite surveillance, n’ont le droit ni de se rassembler ni de s’exprimer. « Il y aurait de grandes chances pour que ceux qui ont voté Moussavi en 2009 en fassent autant aujourd’hui s’il pouvait se présenter, poursuit Azadeh Kian. Mais à l’heure actuelle, les membres du Mouvement sont fichés et n’obtiendront pas l’habilitation pour participer aux législatives de 2016. »
Ultraconservateurs dépourvus d’assise populaire, réformateurs radicaux privés de moyens : quel visage politique pourrait offrir l’Iran à l’issue de ce scrutin ? Le 11 janvier, le député Ali Motahari, étiqueté conservateur, faisait scandale en dénonçant la réclusion des chefs du Mouvement vert, « en violation avec plusieurs principes de la Constitution ». Il confirmait la tendance amorcée avec l’élection à la présidence de Rohani, conservateur modéré victorieux de plus conservateur que lui avec les voix d’un électorat réformateur dont le candidat s’était désisté à son profit.
Le retour de Rafsandjani
Autre figure de la tendance conservatrice, l’ancien président Akbar Hachemi Rafsandjani revient sur le devant de la scène avec un discours tout en modération propre à exaspérer les ultras de son bord. Il a comparé ainsi, au début de mars, ceux qui s’élèvent contre les négociations avec les États-Unis sur le dossier nucléaire… aux dirigeants israéliens. Conservateur de poids également, le président du Parlement, Ali Larijani, prend, lui, fait et cause pour les positions tempérées du président Rohani. « On constate plus ou moins les mêmes lignes de partage chez les réformateurs, avec des radicaux qui prônent la démocratie, d’autres, plus modérés, proches de Khatami, l’ex-président dont il est toujours interdit de prononcer le nom dans les médias, et, enfin, une aile encore plus modérée favorable à un certain contrôle de l’opinion et prête à passer des alliances avec des conservateurs
C’est ainsi un nouveau pôle de la modération qui prend forme au centre de l’échiquier iranien. Si, comme Rohani en a émis le souhait, les législatives de 2016 se déroulaient librement, c’est-à-dire si le très conservateur Conseil de surveillance des Gardiens de la révolution se voyait privé de son droit de veto sur les candidatures, les réformateurs auraient toutes les chances de l’emporter. Un scénario peu probable selon la chercheuse : « Les vrais réformateurs, qui sont assez radicaux, ne seront pas habilités. En revanche, les modérés des deux camps peuvent travailler ensemble pour affermir cette troisième voie, qui n’est ni ultraconservatrice ni ultraréformatrice. Le Conseil de surveillance tentera de
C’est dans cette optique qu’il faut envisager le lancement des partis réformateurs modérés Ettihad Mellat, autorisé en avril, et Nedaye Iranian, né au début de l’année autour de Sadegh Kharrazi, ancien diplomate et ex-conseiller de Khatami : « Kharrazi se propose d’être en quelque sorte le modérateur entre les conservateurs modérés et les réformateurs. Il se donne pour mission ce rapprochement entre modérés, étant entendu qu’il reste assez proche du Guide suprême et obéit à ses ordres. Son scénario peut fonctionner si les élections sont filtrées, mais il tombera à l’eau si elles sont plus ou moins libres, car il ne pourra rivaliser avec les vrais modernistes. »
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