Bande dessinée : une fusée pour le Zaïre
Beaucoup ont oublié le programme spatial de Mobutu. C’était là une raison suffisante pour le raconter en images – et avec verve.
Cinquante-trois secondes dans le film Mobutu roi du Zaïre, du Belge Thierry Michel. Cinquante-trois secondes au cours desquelles Mobutu assiste au compte à rebours en allemand, au décollage… et au crash d’une fusée censée atteindre l’espace. Un Occidental debout à côté de lui explique, désabusé : « Y a une vanne qui n’a pas marché… » Mobutu complète : « Problème de propulsion… » C’est cette séquence digne du meilleur Charlie Chaplin qui a inspiré Aurélien Ducoudray pour écrire le scénario de Mobutu dans l’espace, bande élégamment dessinée par Eddy Vaccaro.
Sur la base des rares informations disponibles quant au programme spatial zaïrois de la fin des années 1970, les deux comparses ont bâti une histoire à la fois abracadabrante et réaliste. Si l’homme à la toque de léopard avait réussi à rejoindre la lune, ou tout simplement l’espace, les livres d’histoire s’en souviendraient. Ce n’est pas le cas, mais il a vraisemblablement essayé, avec l’aide de l’Otrag (Orbital Transport und Raketen AG), entreprise allemande de l’industrie spatiale disparue en 1987 – réussissant tout de même à propulser un engin à 150 km d’altitude…
La bande dessinée qui vient de paraître romance cette aventure peu connue et offre au lecteur, en la personne de l’Allemand Manfred Sternschnuppe, un remarquable anti-Tintin. Naïf, trouillard, coincé, ce blanc-bec éthéré se retrouve parachuté au Zaïre à devoir gérer un programme spatial auquel le chef de l’État semble particulièrement tenir… Mais avant cela, il lui faut déjà se mettre au fait des différentes coutumes du pays, parmi lesquelles le chaleureux accueil de certains bars de nuit, les rivalités entre rébellions et les appétits plus gros que le ventre de nombreuses puissances étrangères.
Cela donne des quiproquos hilarants, des scènes d’une rare cruauté et d’excellents dialogues. « Vous connaissez de Gaulle ? demande un Mobutu d’humeur farceuse. Fabuleux orateur, un conteur sous képi, un griot dans l’âme, tout dans le rythme et l’intonation. C’est bien simple : peu importe son contenu, la phrase gaullienne est implacable ! Mon ami Giscard d’Estaing n’a pas ce panache linguistique, même s’il m’amuse avec son chuintement caractéristique des gens bien nés. »
Personnage central, Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu Wa Za Banga est particulièrement réussi, à la fois cynique, cruel, mégalomane et clairvoyant. Le dessin en noir et blanc d’Eddy Vaccaro pourrait rendre l’ensemble austère : ce n’est pas le cas. La variété des cadrages et le dynamisme de chaque page donnent à cette histoire de pouvoir et de folie une très grande intensité.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles