Burkina : RSP, garde à vous !

Véritable « armée dans l’armée », le Régiment de sécurité présidentielle (RSP) a été au cœur du pouvoir pendant vingt ans et pourrait bientôt faire les frais de sa proximité passée avec le régime Compaoré. Reportage au sein d’un corps d’élite dont les Burkinabè se méfient.

Créé en 1995, le régiment de sécurité présidentielle a été au cœur de plusieurs grandes affaires d’État © AFP

Créé en 1995, le régiment de sécurité présidentielle a été au cœur de plusieurs grandes affaires d’État © AFP

BENJAMIN-ROGER-2024

Publié le 18 juin 2015 Lecture : 5 minutes.

Des baraquements de béton beige alignés sur la terre ocre, quelques pick-up surmontés de mitrailleuses lourdes… Les seuls soldats que l’on croise en cette fin de matinée sont au repos et jouent à la pétanque à l’ombre d’un arbre pour se protéger de la chaleur étouffante. Derrière les vitres du 4×4, le décor qui défile est celui d’un camp militaire bien ordinaire. Située juste derrière le palais présidentiel de Kosyam, à Ouagadougou, la caserne Naba Koom abrite pourtant le QG du régiment de sécurité présidentielle, le puissant RSP, dont la seule évocation suscite la méfiance immédiate chez la plupart des Burkinabè. Un corps d’élite surentraîné et suréquipé façonné par Blaise Compaoré, le président renversé par la rue le 31 octobre 2014. Une véritable « armée dans l’armée » que l’on suspecte à Ouaga d’avoir, pendant des années, exécuté les basses besognes de l’ancien régime.

Au volant du véhicule avec lequel il nous fait faire le tour de la caserne, un jeune capitaine qui tient à garder l’anonymat s’agace de cette mauvaise réputation qui colle à la peau de son régiment. « Je ne comprends vraiment pas tous ces fantasmes, lâche-t-il. C’est injuste : 90 % des soldats qui composent cette unité étaient encore à l’école ou au collège quand ont éclaté les affaires Ouédraogo et Zongo. Ils ne sont pas responsables de ce qui s’est passé ! Nous sommes un corps d’armée comme un autre, il faut arrêter de nous stigmatiser en permanence. »

Le RSP est aujourd’hui composé de 1 300 soldats, soit 10 % des effectifs de l’armée burkinabè

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David Ouédraogo et Norbert Zongo : deux noms que les Burkinabè ne sont pas près d’oublier. Le premier était le chauffeur de François Compaoré, le frère cadet de « Blaise ». Accusé de vol, il a été torturé à mort par des hommes du RSP en janvier 1998. Le second, journaliste d’investigation réputé, a été retrouvé carbonisé dans sa voiture en décembre de la même année alors qu’il enquêtait sur cette première affaire. Jamais condamnés par la justice, six membres du régiment sont considérés comme les principaux suspects de ces crimes.

Officiellement chargé d’assurer la sécurité du chef de l’État, le RSP a été créé en novembre 1995 par décret présidentiel. Héritier du premier bataillon du Centre national d’entraînement commando (Cnec) de Pô, il est aujourd’hui composé de 1 300 soldats, soit 10 % des effectifs de l’armée burkinabè. Jusqu’à la chute de Blaise Compaoré, tous obéissaient au doigt et à l’œil au général Gilbert Diendéré.

Bras droit et chef d’état-major particulier de l’ex-président, ce personnage aussi imposant que discret est le patron historique du RSP (lire encadré). Fidèle serviteur de Compaoré pendant plus de trente ans, il est également suspecté d’avoir été au cœur de plusieurs affaires d’État non élucidées. Le 15 octobre 1987, alors patron des commandos du Cnec, il est chargé de superviser l’arrestation de Thomas Sankara. Le capitaine révolutionnaire sera finalement criblé de balles par les hommes de Diendéré dans des circonstances floues. « Il est évident que le RSP pâtit de l’image sulfureuse de Gilbert, qui sait tout des coulisses de l’ancien régime », lâche un haut gradé.

Disposant de moyens importants, ce régiment à part suscite aussi la jalousie des autres corps de l’armée. Ses responsables ont la haute main sur les services de renseignements et chaque mission délicate est confiée à ses soldats au treillis léopard. Ce sont eux qui, au déclenchement de l’opération Serval au Mali, en janvier 2013, sont montés les premiers au front pour épauler les Français face aux groupes jihadistes. Eux qui ont été envoyés sécuriser la zone du crash du vol Air Algérie, en juillet 2014, en plein désert malien. Eux encore qui ont été chargés de contenir la foule réclamant la tête de Blaise Compaoré aux abords de la présidence, le 30 octobre.

« Zida voulait se débarrasser de nous pour avoir les mains libres »

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Contestant leur responsabilité dans la mort de plusieurs manifestants, les officiers supérieurs du RSP affirment aujourd’hui avoir « très bien géré » la situation. Il n’empêche : comme tous les symboles du régime Compaoré, ils se sont retrouvés, à la chute de ce dernier, dans le viseur des nouveaux maîtres du Faso. Y compris dans celui de Yacouba Isaac Zida, leur ancien compagnon d’arme (il était le chef de corps adjoint du RSP) devenu Premier ministre. Au sein du régiment, on est même convaincu qu’à peine nommé à la tête du gouvernement de transition Zida a travaillé « à la dissolution pure et simple du régiment » : « Il voulait se débarrasser de nous pour avoir les mains libres », explique-t-on à la caserne Naba Koom.

La suite est connue : le RSP s’est cabré et Zida a dû renoncer. Ce que l’on sait moins, c’est que certains tauliers de la garde présidentielle ont envisagé de se débarrasser du Premier ministre. « Début février, raconte une figure de la société civile burkinabè, nous avons été approchés par des hommes de Gilbert Diendéré. L’idée était de renverser Zida et de constituer un nouveau gouvernement, placé sous le contrôle de Diendéré. » Le Mogho Naba, le roi des Mossis, et surtout le président Michel Kafando sauveront finalement la tête de Zida, mais l’épisode a démontré que l’ancienne garde prétorienne de Blaise Compaoré n’avait rien perdu de son influence et qu’elle pouvait dicter sa loi au cœur de la transition.

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Dans le PC de commandement du RSP, un bâtiment de plain-pied dont l’entrée est ornée des portraits de ses chefs successifs, les officiers supérieurs affirment que cette crise est passée et qu’ils se concentrent désormais sur leurs missions, notamment l’envoi d’hommes dans le nord du Mali, sous l’égide des Nations unies. Mais l’avenir du régiment reste très incertain. En février, Michel Kafando a créé une commission chargée de réfléchir « au rôle futur » du RSP. Elle a rendu ses conclusions à la mi-avril, mais celles-ci sont tenues secrètes par un président bien conscient que ce dossier sent la poudre. Dans son entourage, on affirme qu’aucune décision n’a encore été prise et que plusieurs pistes sont envisagées. Le RSP pourrait ainsi être déchargé de la sécurité présidentielle et transformé en unité antiterroriste. « Ce serait une bonne idée, estime un leader de l’insurrection d’octobre. Le RSP doit quitter la chambre à coucher du président, et cela doit être fait sous la transition. »

À Naba Koom, le sentiment est évidemment différent. Les cadres du RSP tiennent toujours à gérer la sécurité du chef de l’État, mais concèdent, comme ce haut gradé, qu’« un changement de nom du régiment est peut-être souhaitable », parce que « le RSP est encore trop lié à Compaoré dans la conscience collective ». Ce serait alors la fin de l’un des symboles du régime déchu, le rideau tiré sur trois lettres qui, depuis deux décennies, constituent la clé de voûte du système sécuritaire mis en place par Blaise Compaoré.

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