Sur le coton africain, la crise n’a plus de prise
Après des années de chute de la production, les pays d’Afrique de l’Ouest égalent, voire dépassent, leurs records historiques. Même la morosité du marché mondial du coton ne parvient pas à doucher leur enthousiasme.
«Ici c’est l’euphorie », annonce d’emblée l’agroéconomiste Frédéric Varlet, installé à Abidjan. Tombée à 120 000 tonnes en 2007-2008, la production de coton-graine (brut, sorti du champ) de la Côte d’Ivoire a connu une hausse de 275 % pour la campagne 2014-2015, qui vient de s’achever. Après avoir dépassé l’an dernier son record historique de 400 000 t, atteint en 1999-2000, le pays a récolté 450 000 t.
Cette renaissance de la filière coton ivoirienne est l’un des exemples les plus marquants de la reprise de ce secteur en Afrique de l’Ouest. Du Mali au Bénin en passant par le Burkina Faso (voir infographie p. 63), la hausse de la production des pays de la région est nette. Le Burkina Faso, devenu le premier producteur africain devant l’Égypte, culmine à 710 000 t pour cette campagne, après avoir réalisé une moyenne de 384 400 t entre 2007 et 2011.
Dans les pays producteurs, cette embellie est marquante pour deux raisons. D’abord parce que la filière revient de loin. Ces quinze dernières années, elle a été durement frappée par de violentes chutes des cours, conjuguées, selon les pays, à des libéralisations douloureuses, des scandales financiers ou encore des problèmes de gouvernance souvent liés à l’implication trop grande du politique, comme au Bénin.
Ensuite parce que le coton tient souvent une place importante dans l’économie des pays producteurs. Il totalise 4 % du PIB au Burkina Faso et pas moins de 12 % au Mali. Dans ces deux pays, la filière est la deuxième source de revenus à l’export derrière l’or, soit plus de 200 milliards de F CFA (près de 305 millions d’euros) annuels pour le Mali. Et selon l’UEMOA, le coton est la première source de revenus pour plus de 15 millions de personnes dans la région.
Motivation
Comment est-on parvenu à relancer la machine ? « Dans les pays de la zone, il y a eu des efforts au niveau du prix au producteur, c’est un facteur de motivation qui permet de soutenir la production », souligne Donatien Zola, responsable du suivi du coton au sein de l’UEMOA. Au Burkina Faso, il est ainsi passé de 175 à 235 F CFA le kilo (pour la campagne prochaine) en dix ans, soit une hausse de 34 %. « Les producteurs sont satisfaits de cette rémunération », témoigne Karim Traoré, président de l’Union nationale des producteurs du Burkina. Et au niveau régional, le montant est à peu près identique. « D’un pays à l’autre, le prix varie de moins de 5 F CFA. Les associations de producteurs ayant des liens étroits entre elles, quand il est fixé au Burkina, il est connu dès le lendemain en Côte d’Ivoire. Et si la différence entre pays est grande, cela suscite beaucoup de mécontentement », poursuit Donatien Zola.
Mieux rémunérés, les producteurs le sont aussi plus rapidement. Il y a encore quelques années, il pouvait leur arriver de débuter une nouvelle campagne sans avoir touché d’argent pour la précédente. « Nous avons donc fait en sorte que le coton soit payé presque immédiatement après la livraison, soit une dizaine de jours de délai », se félicite Kalfa Sanogo, PDG de la Compagnie malienne pour le développement du textile (CMDT), la société majoritairement publique qui a le monopole du secteur dans le pays. Un bon moyen pour éviter que ces paysans ne se détournent vers d’autres cultures lors de la campagne suivante.
L’aide s’est aussi concentrée sur les subventions aux achats d’intrants (semences, engrais, pesticides), qui peuvent représenter jusqu’à 60 % du coût de production. Au Mali, même un appui relativement modeste (1 500 F CFA subventionnés sur le sac d’engrais à 12 500 F CFA) a permis de soulager les producteurs, selon Kalfa Sanogo.
Conseil
Par ailleurs, les agriculteurs bénéficient d’un soutien technique. Les entreprises cotonnières ont ainsi développé le conseil et la formation. « Tous les paysans n’ont pas le même niveau de connaissances. Les techniciens de la CMDT les accompagnent, par exemple pour qu’ils sachent quel est le bon moment pour utiliser les pesticides », explique Kalfa Sanogo, qui a recruté une quarantaine d’agents l’an dernier.
Tous ces efforts ont permis d’augmenter la production et même parfois le rendement – un vrai défi, alors que les superficies disponibles sont limitées. Au Mali, celui-ci est passé de 900 kg de coton-graine par hectare il y a quelques années a près de 1 100 pour la campagne actuelle, selon la CMDT. Et si au Bénin il stagne à environ 1 000 kg, ce chiffre reste largement supérieur aux 300 à 400 kg récoltés au Nigeria. Sur ce terrain, le Burkina Faso a fait figure de pionnier en démarrant à la fin des années 2000 l’utilisation de semences transgéniques. Mais les résultats décevants, loin d’atteindre les 35 % de rendement attendus, questionnent l’avenir du coton OGM.
Ainsi, l’enthousiasme domine dans la filière. Mais un risque plane : la baisse des cours. Par le passé, leur chute vertigineuse n’avait pas permis de maintenir un prix d’achat soutenable pour les producteurs. En mars 2009, la livre de coton était tombée à 0,40 dollar, avant de connaître un pic à 2 dollars en février 2011. Elle oscille actuellement autour de 0,70 dollar. Un prix « relativement bas » sans être « catastrophique » pour les filières africaines, indiquent plusieurs professionnels interrogés. « Le cours du coton est cyclique et chute tous les cinq ans, estime Yannick Morillon, PDG de Geocoton, une entreprise française présente au Burkina, au Sénégal ou encore en Côte d’Ivoire. Il n’y aura peut-être pas d’évolution favorable sur les deux ou trois prochaines années à cause des stocks, mais le cours finira par remonter. »
Acteur majeur du marché cotonnier (en production et en transformation), la Chine a constitué ces dernières années d’importants stocks qui ont tendance à faire baisser les cours. Pourtant, Yannick Morillon n’est pas inquiet pour la sous-région : « Sauf en cas de problèmes avec la production, il n’y a pas de risque particulier pour l’écoulement du coton africain, reconnu sur les marchés pour la qualité de sa fibre et peu abîmé lors de la récolte, puisqu’elle est manuelle. Dans les tableaux comparatifs internationaux, il est systématiquement en haut du classement. » Une affirmation nuancée par le directeur d’une société européenne de négoce, qui pointe la valorisation beaucoup plus élevée sur le marché, à qualité égale, des fibres américaines, australiennes ou encore ouzbèkes. Sans compter que le danger d’un retournement du marché est beaucoup plus élevé pour les pays africains que pour des économies plus diversifiées.
Afin de renforcer le secteur, des pistes sont à explorer du côté des semences. « Dans le domaine de la recherche, beaucoup de pays ont marqué le pas en raison de difficultés financières et de départs à la retraite », souligne Bruno Bachelier, spécialiste du coton au Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement (Cirad). L’institut français travaille également avec ses partenaires sur une meilleure évaluation de la qualité du coton au moment de sa livraison, pour mesurer la couleur et l’absence d’impuretés principalement, afin de valoriser financièrement les meilleurs producteurs.
Plus largement, l’exportation de 85 % des fibres sonne de plus en plus comme un gâchis, alors que le continent connaît un fort développement économique et l’essor d’une classe moyenne consommatrice de textile.
Tourteaux
Certes, une partie des produits dérivés du coton sont déjà valorisés sur place : les graines produisent de l’huile, les résidus végétaux de l’énergie et les tourteaux alimentent le bétail. Mais l’industrie textile est quasi inexistante. « Il faut créer de la valeur, transformer. L’Indonésie a plus de 2 000 usines de textile alors qu’elle n’a pas un seul hectare de production de coton », insiste Donatien Zola, de l’UEMOA. Mais il rappelle que cette industrie ne pourra naître que si les pays d’Afrique de l’Ouest parviennent à lui fournir suffisamment d’électricité.
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