Chefs d’États : que les gros salaires lèvent le doigt !
Jacob Zuma touche une rémunération supérieure à celle de David Cameron ou de François Hollande. De quoi ulcérer bien des Sud-Africains. Mais, au moins, eux savent précisément combien gagne leur président.
Cette fois, ça passe difficilement. Le 4 juin, les députés de l’ANC ont déclenché une belle polémique en votant une augmentation de 5 % du salaire annuel du président Jacob Zuma, le portant à 2,7 millions de rands (193 580 euros, soit 16 130 euros par mois).
Ce n’est pas une première en Afrique du Sud. Mais ce qui, il y a encore quelques années, passait pour un ajustement de routine suscite cette fois un tollé. Mmusi Maimane, le tout nouveau chef de l’Alliance démocratique, le principal parti d’opposition, a trouvé là l’occasion de se faire entendre. « Nous ne pouvons pas accorder une hausse de salaire à un homme qui enfonce le pays dans les ténèbres », a-t-il lancé. Le Front de la liberté, parti de la droite afrikaner, a même déposé un amendement pour ramener la rémunération du président à 1 rand symbolique. Proposition que les députés de l’ANC, ultramajoritaires – et qui vont bénéficier de la même augmentation que leur chef -, se sont empressés de rejeter.
Si les réactions sont aussi virulentes, c’est que la situation économique s’est considérablement tendue. Contrairement à ses promesses de campagne, Zuma n’a pas réussi à relancer la croissance, qui reste atone, surtout pour un pays émergent (le FMI prévoit 2 % pour cette année). L’Afrique du Sud reste embourbée dans un chômage de masse (plus de 25 % des actifs), et les inégalités continuent de se creuser. S’y ajoute une forte inflation, alimentée par la récente chute du rand face au dollar. Les Sud-Africains auraient en réalité tous bien besoin d’une bonne augmentation, ne serait-ce que pour maintenir leur niveau de vie…
Scandales politico-financiers
Or, dans le même temps, les scandales politico-financiers ne connaissent pas la crise. À commencer par celui des travaux réalisés dans la résidence privée du président à Nkandla pour quelque 224 millions de rands : une piscine, un amphithéâtre, une étable et un poulailler construits aux frais du contribuable… Après que la presse eut révélé l’affaire, Thuli Madonsela, médiateur de la République, avait, dans un rapport de 2014, demandé à Zuma de rembourser 10 % des sommes dépensées. Mais, ce 28 mai, Nathi Nhleko, le ministre de la Police – nommé par Jacob Zuma -, a annoncé qu’à l’issue de leur enquête ses services étaient parvenus à une conclusion totalement différente. La piscine ? Un simple « bassin de sécurité », indispensable en cas d’incendie. L’étable et le poulailler ? Des investissements nécessaires afin que les animaux ne perturbent pas les détecteurs de mouvement, a-t-il expliqué sans rire avant de conclure : « Le président n’est pas tenu de payer pour ces aménagements. »
Mais plus encore que l’augmentation, c’est le niveau de rémunération de Zuma qui choque ses compatriotes. Car il se classe parmi les dix chefs d’État les mieux payés du monde, devant le Britannique David Cameron, le Français François Hollande (14 300 euros mensuels), le Russe Vladimir Poutine ou la Brésilienne Dilma Rousseff.
Et il distance largement ses pairs du continent – le deuxième, le Tunisien Béji Caïd Essebsi, perçoit 13 700 euros mensuels. Du moins si l’on s’en tient aux montants officiels. Car les avantages liés à la fonction de chef d’État sont souvent beaucoup plus difficiles à connaître. Qui peut croire, par exemple, que Hailemariam Desalegn, le Premier ministre éthiopien, parvient à faire vivre sa famille avec 250 euros ? Beaucoup bénéficient d’indemnités, primes et prises en charge diverses, dont le montant n’est guère transparent, à l’instar de celui de leur rémunération officielle.
À Kigali, les choses sont plus claires. En plus d’un salaire brut mensuel de 5,5 millions de francs rwandais (environ 6 900 euros, somme inchangée depuis au moins deux ans), Paul Kagamé a droit à une indemnité de 6,5 millions, à cinq véhicules de fonction ainsi qu’à des « frais de représentation » à la charge de l’État.
À Tunis, il a fallu attendre la chute de Zine el-Abidine Ben Ali pour que ce type de débat perce au grand jour. Et encore, les Tunisiens n’ont découvert que très récemment que leurs anciens présidents conservaient une retraite quasi égale à leurs revenus lorsqu’ils étaient en exercice. Ces polémiques surgissent donc surtout là où l’État de droit et la transparence ont progressé. Peut-être sont-elles, paradoxalement, le signe d’un certain progrès.
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