Tchiiiiiiiiiip ! Vous avez dit tchip ?

Il vient d’Afrique, mais on l’entend aussi aux Caraïbes et jusqu’aux États-Unis. Ce drôle de bruit de succion dont les adolescents raffolent est le cauchemar des enseignants. Est-ce une raison pour l’interdire ?

De plus en plus d’ados se sont mis au « tchip » en classe. © Fred Dufour/AFP

De plus en plus d’ados se sont mis au « tchip » en classe. © Fred Dufour/AFP

Publié le 16 juin 2015 Lecture : 3 minutes.

Tout commence le 2 juin. Au petit matin, la nouvelle tombe : le « tchip » est interdit dans plusieurs collèges et lycées français. C’est le journal Le Parisien qui, le premier, a révélé l’information dans un article intitulé « Halte au “tchip”en classe! » Déconcertés par ce « son de mépris d’origine africaine désormais utilisé par tous les ados, qu’ils soient noirs ou blancs », les enseignants auraient tout essayé pour le faire cesser : rapports défavorables, punitions, exclusions… En vain. Face à la multiplication des « tchipeurs », il a donc fallu sévir. Le résultat ? Inverse de celui espéré. En quelques heures, le « tchip » a fleuri sur toutes les lèvres. « Qu’est-ce que le tchip?» «Savez vous tchiper? » s’interrogent gravement les médias, tandis que les réseaux sociaux s’enflamment.

Les commentaires farfelus circulent : « Il se fait les dents serrées, sans qu’on puisse toujours identifier son auteur », selon Le Figaro. « Le tchip est considéré comme l’insulte la plus forte dans les pays d’Afrique de l’Ouest », renchérit le Journal du dimanche. « Ça veut dire n… ta mère », témoigne un adolescent, toujours dans Le Parisien. Mais dans un contexte tendu et de plus en plus hostile aux apports culturels étrangers, les « dérapages », comme il est dorénavant convenu d’appeler les propos tendancieux de tel responsable politique ou de telle personnalité, ne se sont pas fait attendre : « Pratique primitive », pour les uns, sa banalisation serait une conséquence d’une « immigration tsunami » pour d’autres. Tchip !

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Multiples significations

Alors, qu’est-ce que le tchip ? Plus facile à faire qu’à définir, c’est un bruit produit avec la bouche qui peut avoir de multiples significations et interprétations. Affectif, drôle, coquin, insultant, méprisant, le tchip dépend principalement du contexte dans lequel il est réalisé et de la personne à qui il est adressé.

« C’est une ponctuation, une mimique linguistique très féminine, explique Bernard Caron, linguiste au laboratoire Langage, langues et cultures d’Afrique noire de Paris (Llacan). Très pratiqué en Afrique de l’Ouest et centrale, mais aussi aux Antilles et au sein de la communauté noire aux États-Unis, le tchip fait partie de ces pratiques qui, comme la musique afro-cubaine ou la religion vaudoue en Haïti et au Brésil, témoignent de l’histoire commune de tous ces territoires et de leurs échanges permanents. » Il porte des noms différents selon les pays : teeth sucking (« suçage de dents ») aux États-Unis, tchourou en Côte d’Ivoire et au Burkina, ntiâ au Cap-Vert, tchipatou au Sénégal, etc.

Utilisation hasardeuse

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En France, où vit une importante population d’origine afro-caribéenne, beaucoup ont été surpris par ce buzz soudain. À en croire certains, le tchip serait même devenu mainstream – autrement dit : passé dans la culture dominante. Il est vrai que, ces dernières années, le sujet a inspiré beaucoup d’articles ou de vidéos. Les humoristes, comme la Franco-Ivoirienne Claudia Tagbo ou le Franco-Camerounais Thomas Ngijol, l’utilisent souvent dans leurs sketchs. En 2013, le rappeur Greg Frite lui a même consacré un titre. Morceau choisi : « L’inverse de l’ovation, c’est le tchip / Pour mépriser les cancans ou maîtriser les enfants / Tellement prisé maintenant, tout le monde tchipe / Plutôt simple et si plaisant, le tchip est omniprésent. » La même année, la Fnac, célèbre chaîne de magasins spécialisée dans les produits culturels, avait diffusé un spot publicitaire mettant en scène un adolescent blanc tchipant ostensiblement son père. Une scène certes cocasse mais presque inimaginable en Afrique, où les aînés, parents et supérieurs hiérarchiques ne peuvent en aucun cas être tchipés.

« Le problème n’est pas tant le tchip que son utilisation à tort et à travers par des adolescents qui soit n’en maîtrisent pas les codes, soit les oublient volontairement dès qu’ils ne sont plus dans leur environnement familial afin de braver l’autorité », témoigne Houria, enseignante dans un établissement de banlieue parisienne où « même les enfants de 10 ans tchipent quand ils ne sont pas contents ».

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