« Under the Udala Trees » : Chinelo Okparanta, écrire pour le mieux

La jeune Nigériane Chinelo Okparanta publie un recueil de nouvelles d’une grande finesse. Son premier roman, « Under the Udala Trees », paraîtra en anglais en septembre 2015.

L’auteure nigériane ChinelOkparanta, à Paris, en avril. © Sandra Rocha pour J.A.

L’auteure nigériane ChinelOkparanta, à Paris, en avril. © Sandra Rocha pour J.A.

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Publié le 16 juin 2015 Lecture : 5 minutes.

À 34 ans, Chinelo Okparanta porte encore sur le visage des rondeurs d’enfance. Enjouée, souriante, la jeune romancière reconnaît puiser son inspiration dans le souvenir de ses premières années, d’abord au Nigeria, puis au États-Unis. D’une grande maturité, ses nouvelles réunies sous le titre Le Bonheur, comme l’eau s’enracinent profondément dans le quotidien parfois violent d’une jeune fille devenue adolescente et femme dans l’exil. Née à Port Harcourt en 1981, elle garde en mémoire la joie des réunions familiales : « C’était chouette, j’avais toute ma famille, mon frère, mes deux sœurs, de nombreux cousins… même si la situation était parfois difficile financièrement pour mes parents. » Se plaindre ne semble pas dans sa nature, mais au gré de la conversation se révèlent des blessures que l’on devine cicatrisées par l’écriture.

Au Nigeria, la mère de Chinelo Okparanta voulait devenir nutritionniste tandis que son père menait des études d’ingénieur à l’université d’Ibadan. Le départ vers les États-Unis fut décidé alors qu’elle avait 10 ans : son père, dont la santé était fragile, eut alors la possibilité de poursuivre ses études à Boston. La rencontre avec le « rêve américain » ne fut pas des plus pacifiques : « Certains nous demandaient si nous vivions dans les arbres, au Nigeria, se souvient-elle. Des camarades de classe nous tapaient jusqu’à nous faire saigner du nez parce que nous étions différents. Les enfants peuvent être cruels… » Au froid et au choc culturel viennent s’ajouter des difficultés matérielles accrues : sans revenus, ses parents se débrouillent comme ils peuvent. « Mon père était chargé de l’entretien du bâtiment de six étages où nous vivions, dit-elle. Mes sœurs, mon frère et moi aussi devions nettoyer le sol et jeter les poubelles. Nous avons commencé à travailler très jeunes ! » Pour manger, l’aide vient des banques alimentaires des églises et, notamment, de celle des Témoins de Jéhovah – religion de la famille Okparanta.

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L’adolescente, elle, se réfugie dans le travail scolaire, où elle excelle. « À l’école, je pouvais rendre les choses belles », affirme celle qui, avec la littérature, n’a pas totalement renoncé à ses ambitions démiurgiques. « Si je retourne aussi souvent à mon enfance, si je la romance, c’est une manière de recréer le passé », confie-telle. Et quand on l’entraîne sur le terrain politique – le racisme aux États-Unis, les problèmes actuels au Nigeria – elle n’y va pas avec le dos de la cuiller : « La solution ? Ce serait peut-être de renvoyer tout le monde et de recommencer ! » ose-t-elle avec un large sourire. Retrouver la page blanche, en somme…

Le Bonheur, comme l'eau, de Chinelo Okparanta, traduit de l'anglais par Mathilde Fontanet, éd. Zoe, 242 pages, 20 euros © DR

Le Bonheur, comme l'eau, de Chinelo Okparanta, traduit de l'anglais par Mathilde Fontanet, éd. Zoe, 242 pages, 20 euros © DR

Auteure précoce, Chinelo Okparanta a rédigé son premier essai vers 11 ans pour une compétition d’écriture sur le thème « Justice for all ». Elle l’a remportée, bien sûr, et les 100 dollars de récompense furent les bienvenus. Si elle date ses débuts de ce moment, elle n’envisage alors pas l’écriture comme une carrière. Psychologue ? Valable seulement aux États-Unis, selon sa mère. Elle sera donc enseignante – et elle met un point d’honneur à apprendre le français parce que la plupart des voisins du Nigeria sont francophones. En réalité, l’écriture de fictions viendra plus tard, lors de cours de creative writing qu’elle dispense dans l’Iowa… et finit par s’appliquer à elle-même. « J’ai publié quelques essais, mais je me suis rendu compte que la fiction était plus facile pour dire la vérité. Dans les essais, il faut presque la cacher. » La vérité – ou plutôt le réel de la vie quotidienne dans des familles nigérianes – est au cœur des nouvelles d’Okparanta publiées depuis 2012. Homosexualité, religions, violence domestique, maladie, relations familiales et amoureuses nourrissent des textes épurés et percutants. « Si je suis perturbée, j’écris. Si je suis en colère, j’écris. Les personnages que je décris montrent leurs tragédies, mais ils gardent espoir, ils veulent quelque chose de plus – le bonheur. » Entourée de livres quand elle était enfant – son père lisait tout, des classiques nigérians à Danielle Steel, quand sa mère préférait les textes médicaux et scientifiques -, la jeune femme semble avoir beaucoup appris des relations de couple, et plus généralement des tensions qui traversent toute famille, tant les inter-actions de ses personnages sont décrites avec finesse. Elle a beaucoup appris, aussi, de l’influence des organisations et des pratiques religieuses. « J’ai été témoin de Jéhovah jusqu’à l’âge adulte et je suis toujours chrétienne dans un sens ouvert, qui permet de voir Dieu en nous tous », explique-t-elle. Si elle a finalement quitté la communauté à laquelle elle appartenait, c’est parce qu’au bout du compte cette appartenance protectrice la coupait du monde. Dans ses nouvelles, comme « Wahala ou l’histoire à répétition », Okparanta explore ces zones troubles de la magie religieuse… sans pour autant avoir vécu directement ce qu’elle décrit. « Non, je n’allais pas au dibia ! Mais vous savez, le dibia n’est pas celui qui cause la violence, c’est seulement celui qui prend l’argent et vous donne un remède… D’une manière générale, la religion est une affaire capitaliste. »

America (« L’Amérique »), publié par Granta en 2012, lui a valu des réactions violentes – sans doute parce que cette nouvelle traite d’un thème souvent tabou en Afrique, l’homosexualité féminine. Accusée par certains de verser dans le poverty porn quand elle s’attache à décrire la réalité nigériane, Okparanta répond avec fermeté : « Je suis d’avis qu’il faut dire la vérité. Peut-être que j’écris de la fiction, mais j’ai vu de mes yeux des hôpitaux où l’électricité était coupée… » Côté familial, en revanche, elle a toujours été soutenue : « Mes proches savent ce que je suis, ils me soutiennent et comprennent mes textes mieux que d’autres. Ma mère sait d’où viennent mes histoires… »

Dès ses premières publications, la nouvelliste nigériane a signé avec un agent littéraire – une pratique courante aux États-Unis. Publiée par le New Yorker, nommée pour plusieurs prix prestigieux dont le Caine Prize for African Writing, elle publiera en septembre son premier roman, Under the Udala Trees (Houghton Mifflin Harcourt). « Écrire une nouvelle, c’est courir un sprint, dit-elle. Un roman, c’est un marathon. » Elle a le souffle pour.

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