Burkina : Mariam Sankara, opération dignité
Discrète et déterminée, la veuve de Thomas Sankara demande l’ouverture d’une enquête sur le rôle de la France dans l’assassinat de son mari. Un premier pas vers la vérité ?
Vingt-sept ans qu’elle se bat pour connaître la vérité sur l’assassinat de son mari. Vingt-cinq qu’elle vit en exil, à Montpellier, dans le sud de la France. Au Burkina, elle n’est revenue que deux fois. La première en coup de vent, le 15 octobre 2007, pour la commémoration du vingtième anniversaire de la mort de Thomas Sankara. La seconde le 14 mai dernier, six mois après la chute de Blaise Compaoré, le tombeur de son mari.
Ce jour-là, Mariam Sankara, vêtue d’un symbolique « faso dan fani » bleu (pagne porté à l’époque où son époux était au pouvoir), a été accueillie à Ouagadougou comme une reine par des centaines de Burkinabè. Rendu possible par l’insurrection populaire d’octobre dernier, ce retour triomphal poursuivait un objectif bien précis : permettre à Mariam Sankara de faire avancer l’enquête sur le coup d’État du 15 octobre 1987, lors duquel son époux avait perdu la vie à l’âge de 37 ans, criblé de balles par un commando armé.
Après deux décennies de blocage sous le régime Compaoré, la procédure judiciaire concernant l’assassinat du capitaine a été relancée par les autorités de transition. Pour la première fois, un juge d’instruction a été nommé et chargé d’enquêter sur cette affaire. Il a déjà auditionné plusieurs témoins, dont Mariam Sankara, le 18 mai, pendant près de huit heures. Une dizaine de jours plus tard, ce magistrat militaire a ordonné l’exhumation du corps présumé de l’ancien président – et de ceux de ses douze camarades tombés à ses côtés – au cimetière de Dagnoën, à Ouagadougou, pour procéder à des expertises ADN. Une opération macabre à laquelle Mariam Sankara n’a pas souhaité assister. « Je n’y suis pas allée. Je ne l’aurais pas supporté », confie-t-elle d’une voix timide.
Rentrée à Montpellier début juin, la veuve de « Thom Sank » a, selon ses proches, été très émue par son voyage au Burkina et par l’accueil qui lui a été réservé. Elle se dit « contente d’avoir revu son pays natal et sa famille [sauf ses deux fils, toujours aux États-Unis] », mais aussi « soulagée de voir que l’enquête progresse ». Elle continue aussi à se battre pour la vérité, notamment en France. Le 16 juin, quelques semaines après que 26 députés burkinabè ont envoyé une lettre réclamant à leurs homologues français l’ouverture d’une enquête parlementaire sur le rôle de l’ancienne colonie dans la disparition de Thomas Sankara, Mariam a été reçue par cinq députés à l’Assemblée nationale, à Paris.
Ces derniers, membres du Front de gauche et d’Europe Écologie-Les Verts, l’ont informée qu’ils avaient transmis la demande à Claude Bartolone, le président de l’Assemblée nationale. « Nous espérons évidemment une réponse favorable. Mais nous savons aussi que nos soutiens ne sont pas majoritaires au sein de l’hémicycle et que, sans la volonté des socialistes, cela sera compliqué », explique Me Bénéwendé Sankara, avocat de la famille Sankara (avec laquelle il n’a aucun lien de parenté), qui rappelle que François Mitterrand dirigeait la France au moment des faits. Deux précédentes tentatives, en 2011 et 2012, n’ont jamais abouti. Mariam Sankara, elle, a écrit à François Hollande le 13 septembre 2012. Elle attend toujours sa réponse.
Durant son séjour à Ouagadougou, l’épouse de Thomas Sankara a aussi assisté à la convention des partis sankaristes, à l’issue de laquelle Bénéwendé Sankara a été investi candidat à la présidentielle d’octobre. Affirmant qu’elle rentrera au Burkina « au moment voulu », elle assure qu’elle le soutiendra autant que possible durant la campagne mais qu’elle ne devrait pas s’engager davantage en politique. « C’est une personne calme, discrète et réservée, qui n’a jamais aimé être sur le devant de la scène, glisse l’une de ses amies. Elle et Thomas ont toujours refusé qu’on lui donne le titre de première dame. » Juste une simple citoyenne burkinabè qui attend de découvrir, enfin, la vérité sur la mort de son mari.
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