Mohamed Hassad : « Comment le Maroc va vaincre le terrorisme »

Aussi discret que rigoureux, le ministre marocain de l’Intérieur a reçu J.A. pour une rare interview dans un contexte sécuritaire tendu. le ministre marocain de l’Intérieur a reçu J.A. pour une rare interview dans un contexte sécuritaire tendu.

Dans son bureau du ministère de l’Intérieur,le 15 juin,à Rabat. © HASSAN OUAZZANI POUR J.A.

Dans son bureau du ministère de l’Intérieur,le 15 juin,à Rabat. © HASSAN OUAZZANI POUR J.A.

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 24 juin 2015 Lecture : 10 minutes.

Si l’on excepte un court entretien accordé en octobre 2014 au quotidien L’Économiste, afin de protester contre le classement du Maroc en « zone de vigilance renforcée » par la diplomatie française, Mohamed Hassad ne s’était jamais exprimé dans les médias. Une discrétion consubstantielle à ce grand commis de 62 ans, natif de la petite ville berbère de Tafraout, dans le Souss, diplômé de Polytechnique et des Ponts et Chaussées à Paris, pur produit d’une techno-méritocratie à la marocaine aux antipodes des effets de manche et des coups d’éclat. Tour à tour ministre des Travaux publics et PDG de la Royal Air Maroc sous Hassan II, wali à partir de 2001 de Marrakech, puis de Tanger, Mohamed Hassad dirige depuis octobre 2013 le ministère de souveraineté le plus important du royaume : celui de l’Intérieur. Un département complexe et exposé que cet homme prudent, pudique à l’extrême, policé et gros travailleur gère en professionnel, s’occupant de l’essentiel sans se laisser phagocyter par ce que l’un de ses prédécesseurs, Driss Basri, qualifiait de « tâches de femme de ménage ». Le dix-neuvième ministre marocain de l’Intérieur depuis l’indépendance a reçu J.A. le 15 juin pour un exercice qu’il n’affectionne guère, lui qui à l’évidence préfère les communiqués maîtrisés à la virgule près. Mais auquel, il le sait, il ne pouvait éternellement échapper dans un contexte sécuritaire tendu : il ne se passe pratiquement pas de semaine sans que l’on annonce, ici ou là à travers le royaume, le démantèlement d’une cellule jihadiste…

Jeune Afrique : Mohammed VI vient d’achever la sixième tournée africaine de son règne. En quoi était-elle différente des précédentes ?

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Mohamed Hassad : Cette tournée qu’a effectuée Sa Majesté avait une forte portée stratégique. Elle entrait dans le cadre du suivi, de la consolidation et de la structuration des rapports du Maroc avec ses partenaires traditionnels d’Afrique de l’Ouest et du Centre. Les relations avec les quatre pays visités ont été construites sur un socle de confiance. À chaque visite royale, elles gagnent en contenu, en crédibilité et en efficacité. Qu’il s’agisse d’initiatives de grande envergure comme la valorisation de la baie de Cocody, à Abidjan, ou de la mise en place de groupes d’impulsion économique, les projets mis en chantier à cette occasion relèvent de cette « Afrique décomplexée qui fait confiance à l’Afrique ». En outre, les populations du Sénégal, de Côte d’Ivoire, de Guinée-Bissau et du Gabon n’ont pas manqué de relever l’impact en termes de développement humain des décisions prises lors de cette dernière tournée. Comme l’a dit le souverain à Abidjan, « il n’y a pas de petits et de grands projets. Tous se valent tant qu’ils sont pertinents et destinés au service du citoyen ».

La mise en œuvre de l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH) relève de vos attributions. À ce titre, vous avez signé à Libreville plusieurs conventions. De quoi s’agit-il ?

De la réalisation de huit centres en faveur des enfants trisomiques, autistes et sous hémodialyse. Il faut bien comprendre, et nous l’avons dit à nos amis gabonais, que l’INDH ne fournit pas d’aide directe, a fortiori financière, aux populations concernées. Elle intervient pour aider les plus démunis à se prendre en charge à travers des associations ou des coopératives, qui elles-mêmes sont formées, encadrées et soutenues financièrement.

Nous en sommes au niveau zéro de coopération sécuritaire avec l’Algérie. Nous nous sommes organisés pour passer outre.

Ces visites royales revêtent également un aspect diplomatique, religieux et sécuritaire. Sur ces points, comme en matière de parts de marché, le Maroc défend ses propres intérêts…

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L’intérêt propre du Maroc réside, d’abord, dans la consolidation de la paix, l’impulsion du codévelop-pement inclusif et la création des conditions pour une émergence économique commune. Concernant le volet religieux, il est évident que, dans un contexte marqué par la prolifération du radicalisme, la visite du commandeur des croyants a une importance particulière en Afrique. Le fait que Sa Majesté ait tenu à effectuer la prière du vendredi à Dakar, Abidjan et Bissau a valeur de symbole. Cela témoigne de l’ancrage de l’islam marocain, tolérant et ouvert. Il ne vous aura pas échappé non plus que sur le dossier du Sahara tous les dirigeants des pays visités ont rappelé sans ambiguïté ni nuances diplomatiques leur conviction que ce territoire fait partie intégrante du royaume. Nous ne pouvons que nous en féliciter.

Ne craignez-vous pas que la situation se tende au Sahara à l’approche du quarantième anniversaire de la marche verte, en novembre prochain ?

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Non. Le territoire est calme, le Maroc est serein et continue de développer ses provinces du Sud, avec l’appui des populations concernées et impliquées, et en mobilisant d’importants moyens financiers. Les personnes de bonne foi peuvent venir constater de visu l’essor que connaît la région et la quiétude qui y règne. Sur le plan purement sécuritaire, le Maroc assure le contrôle total de ses frontières méridionales et ne tolérera aucune infiltration d’éléments malveillants, qu’ils soient du Polisario ou d’ailleurs.

Le Premier ministre algérien, Abdelmalek Sellal, a déclaré lors du dernier sommet de l’Union africaine que le Sahara occidental « continue de subir les affres d’un colonialisme d’un autre âge ». Votre réaction ?

Ce sont les dogmes dans lesquels s’enferment les dirigeants algériens qui datent d’un autre âge. Nous invitons le Premier ministre Sellal à visiter nos provinces du Sud. Ce sera pour lui l’occasion d’effectuer d’intéressantes comparaisons avec certaines régions de son propre pays.

Malgré la fermeture, depuis plus de vingt ans, de la frontière commune, le Maroc et l’Algérie ont un temps maintenu une coopération minimale dans le domaine de la lutte antiterroriste. Est-ce toujours le cas ?

Malheureusement non. Nous en sommes au niveau zéro de coopération sécuritaire avec l’Algérie. Nous nous sommes organisés pour passer outre.

Vous érigez en ce moment une barrière protectrice le long de cette frontière, à partir du Nord. Jusqu’où descendra-t-elle ?

Nous verrons. L’Algérie, de son côté, creuse des tranchées dans le même but. Deux voisins faits pour s’entendre se tournent le dos. Chacun se barricade. C’est regrettable, mais ce n’est pas de notre fait.

Le Maroc est en guerre contre Daesh, tant au sein de la coalition en Irak qu’à l’intérieur du royaume. Combien de cellules jihadistes avez-vous démantelées depuis 2013 ?

Vingt-sept, dont quatorze en 2014 et huit entre janvier et mai de cette année. C’est dire si la menace terroriste est réelle au Maroc, comme ailleurs. Face à cela, notre approche est à la fois opérationnelle et préventive. Aussi bien en interne que dans le cadre de la coopération avec nos partenaires étrangers, particulièrement avec l’Espagne, nos opérations de lutte sont, je crois, concluantes. Mais rien n’est possible sans un travail de prévention. L’encadrement du champ religieux, la mise à niveau de la législation pénale, la lutte contre la précarité et l’exclusion sociale à travers l’INDH lancée par Sa Majesté il y a dix ans, le dispositif de sécurité renforcée Hadar mis en place sur tout le territoire en font partie. Cet engagement multidimensionnel a été plus d’une fois salué par la communauté internationale. Ce n’est pas un hasard si le Maroc a été élu en mai à la coprésidence du Forum global de lutte contre le terrorisme.

Combien y a-t-il de combattants marocains dans les rangs de Daesh en Irak et en Syrie ?

Environ 1 350, dont 220 sont des ex-détenus. Plusieurs d’entre eux occupent des postes de responsabilité au sein des organisations terroristes, ce qui peut expliquer la cooptation de Marocains. Ils recrutent via internet et les réseaux sociaux, ou par le biais de rabatteurs, souvent de proches parents. Le financement se fait par des transferts de fonds internes aux réseaux. Ils sont 286 à avoir trouvé la mort dans les zones de conflit, et 156 ont regagné le Maroc.

Quelque cinq cents salafistes radicaux sont en prison au Maroc. Ne craignez-vous pas qu’ils y recrutent activement ?

Nous sommes conscients de ce risque, et des mesures de déradicalisation ont été engagées à travers la Fondation Mohammed-VI pour la réinsertion et les programmes d’appui aux microprojets et à l’auto-emploi. Le champ religieux, via la promotion d’un islam modéré et tolérant, n’est pas délaissé en prison. Nous y veillons.

Après une année 2014 très tendue, où en sont les relations avec la France, particulièrement dans le domaine de la coopération sécuritaire ?

Elles ont repris leur cours normal, à la faveur de la rencontre de Sa Majesté avec le président Hollande début février, qui leur a donné un nouvel élan et une nouvelle dynamique. Les entretiens que j’ai eus ensuite avec mon homologue Bernard Cazeneuve à Rabat, puis la rencontre de haut niveau maroco-française de Paris fin mai ont été l’occasion de renforcer davantage la coopération entre les services de sécurité de nos deux pays.

Pourtant, le nouvel accord judiciaire franco-marocain n’a toujours pas été adopté par l’Assemblée nationale française et fait l’objet de vives critiques de la part d’ONG. Cela vous inquiète ?

Non. Les relations avec la France demeurent très fortes, exceptionnelles, en dépit des agissements de certains milieux qui visent à nuire à leur qualité en utilisant des individus au passé criminel notoire.

Vos services ont expulsé du Maroc début juin deux chercheurs d’Amnesty International venus enquêter sur la situation des migrants africains. Pourquoi ce durcissement ?

Le Maroc est injustement traité par Amnesty International. Cette ONG fait confiance à deux personnes pour élaborer des rapports réguliers sur le royaume, lesquels sont à charge et ne font que colporter des accusations gratuites. Le Maroc a toujours ouvert ses portes à Amnesty, alors que d’autres pays, comme l’Algérie, lui interdisent l’accès. Nous ne souhaitons pas en arriver là, mais il faut qu’Amnesty revoie ses méthodes de travail. Le Maroc est disponible pour œuvrer avec toutes les ONG, à condition qu’elles aient une réelle volonté de faire progresser les droits de l’homme et n’aient pas d’agendas cachés.

Quel est votre sentiment, en tant que ministre de l’Intérieur, à propos de l’interdiction du dernier film de Nabil Ayouch, Much Loved.

Cette affaire a été traitée dans le cadre strict de l’application de la loi. Les libertés d’expression et de création sont garanties par la Constitution, mais elles sont également encadrées par la loi, que chacun est tenu de respecter.

Le roi a lancé, fin 2013, une nouvelle politique d’immigration et d’asile concernant les migrants subsahariens. Vingt mois plus tard, où en est-on ?

L’initiative lancée sur hautes orientations royales est fondatrice. Nous sommes le seul pays de la rive sud de la Méditerranée à avoir mis en œuvre un modèle dynamique et perfectible de bonne gouvernance migratoire incluant à la fois la prévention, la protection des victimes, la lutte contre les réseaux de trafiquants et la sécurisation de nos côtes et frontières. Vingt mille migrants ont été régularisés, et des efforts considérables ont été consentis pour assurer l’étanchéité de nos frontières terrestres et maritimes. Moyens humains – plus de 13 000 hommes -, matériels et technologiques pour un coût annuel exorbitant : plus de 245 millions de dollars [217,5 millions d’euros] !

Il n’y a pas de ministres apolitiques. Tous les ministres sont politiques, y compris moi-même.

La sûreté nationale et la surveillance du territoire sont depuis la mi-mai placées sous la direction d’un même homme : Abdellatif Hammouchi. Quelle urgence y avait-il à créer ce pôle sécuritaire autonome ?

Il ne s’agit pas de cela, mais du souci permanent du royaume de mettre à niveau et de mieux coordonner ses institutions sécuritaires, tout en respectant les impératifs de transparence et du respect de la loi. La mise en place du Bureau central des investigations judiciaires (BCIJ) relève de cette même logique.

Vous êtes le seul membre apolitique du gouvernement Benkirane, et votre statut de ministre de souveraineté fait de vous un responsable à part. Comment vivez-vous cette exception ?

Il n’y a pas de ministres apolitiques. Tous les ministres sont politiques, y compris moi-même. Certes, je ne suis affilié à aucun parti, mais il existe, je l’espère bien, d’autres critères pour servir son pays que celui d’être encarté.

Les élections communales auront lieu le 4 septembre et l’on entend déjà, notamment chez les islamistes du PJD, des voix s’élever pour mettre en doute l’impartialité de l’administration que vous dirigez. Le scrutin sera-t-il vraiment transparent ?

N’en doutez pas. La commission qui supervise les élections est composée du ministère de l’Intérieur et du ministère de la Justice*, qui tous deux travaillent ensemble pour assurer cette transparence totale. L’ensemble du processus est placé sous le contrôle de la justice. Il n’y a donc aucune marge de manœuvre pour qui que ce soit pour intervenir à quelque niveau que ce soit. Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, le Maroc a profondément changé. Ce serait une grave erreur de continuer à l’observer avec les lunettes du passé.

* Le ministre de la Justice, El Mostafa Ramid, est l’un des dirigeants du PJD.

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