Ce que cache l’alliance entre Saham et FinanceCom
Les deux groupes marocains vont créer une coentreprise pour assurer leur développement au sud du Sahara. Un rapprochement qui en surprend plus d’un.
En 2008, dans l’hebdomadaire marocain Finances News, Moulay Hafid Elalamy se disait prêt à vendre tous ses biens pour racheter une banque si l’occasion se présentait. Sept ans plus tard, « le loup de la finance » serait-il en passe de réaliser son rêve ?
C’est ainsi que les analystes du marché casablancais interprètent l’alliance nouée entre son groupe Saham et FinanceCom, dirigé par Othman Benjelloun, l’actionnaire de référence de BMCE Bank of Africa, l’un des principaux groupes bancaires du continent. Annoncée le 5 juin, cette association à la fois surprenante et logique débouchera sur la création d’une coentreprise chargée de développer les synergies entre les deux entités dans la bancassurance et dans la gestion d’actifs.
Tendance de fond
Présent en Afrique subsaharienne depuis le rachat du groupe d’assurance Colina en 2010, Elalamy avait besoin de s’appuyer sur une banque d’envergure pour accélérer sa croissance dans les métiers de la bancassurance – « une tendance de fond, selon Benjamin Romain, associé chez Okan Consulting, notamment pour développer le segment vie, sur lequel Saham n’est pas le plus fort ».
Présente dans seize pays au sud du Sahara, Bank of Africa manque quant à elle d’un relais puissant dans l’assurance. Membre du groupe FinanceCom comme BMCE Bank, la compagnie d’assurances RMA Watanya, numéro deux au Maroc, a tardé à percer. Sa seule véritable prise dans la région a été réalisée début 2014 avec le rachat d’un groupe d’assurances de taille moyenne, Belife, présent en Côte d’Ivoire, au Cameroun et au Togo.
« Contrairement à Saham, RMA a pris du retard dans la conquête des marchés subsahariens. Leur alliance devra jouer un rôle d’accélérateur pour Saham et BMCE Bank », analyse Abdou Diop, associé du cabinet Mazars, à Casablanca.
Coup de maître
En s’associant au groupe d’Elalamy, Benjelloun semble sacrifier l’avenir continental de sa compagnie d’assurances, qui avait pourtant annoncé vouloir s’implanter dans dix pays africains au minimum d’ici à 2020. « Si Benjelloun s’appuie sur Saham en Afrique, il limite de fait les ambitions de sa compagnie, RMA », tranche Abdou Diop.
Pour ce dernier, cette opération serait un « coup de maître » : « Elle est extrêmement complémentaire et envoie un message positif. Les Marocains, souvent perçus comme des loups solitaires en Afrique, démontrent qu’ils peuvent s’associer quand il s’agit d’intérêts stratégiques. Reste à savoir si cette alliance va s’arrêter à l’Afrique subsaharienne ou si elle sera plus tard élargie au marché marocain », souligne le consultant.
Sujet tabou, la succession de Benjelloun (84 ans) à la tête de FinanceCom est une interrogation quasi permanente. Elalamy se positionnerait-il pour succéder à son mentor, « l’un des seuls hommes d’affaires marocains à l’avoir inspiré dans sa carrière d’entrepreneur » ?
« Il y a une forte complémentarité entre les deux groupes, sans parler du style des deux hommes. Elalamy est un petit Benjelloun. Et Benjelloun ne trouvera pas mieux qu’Elalamy pour assurer la pérennité de son empire [qui inclut aussi une participation dans Méditel, le deuxième opérateur marocain de télécoms] », analyse un banquier.
Hybride
Laconique, l’annonce du 5 juin ne répond pas à ces questions. Mais le rapprochement entre les deux hommes n’est pas anodin : il n’y a pas si longtemps (lire l’encadré), ils avaient décidé de faire chemin séparé au sud du Sahara. La forme que prendra la coentreprise livrera des indices. Cette structure hybride, où les associés seront présents à parts égales, n’est pas très populaire dans la bancassurance, où l’on préfère passer des accords commerciaux ou créer ses propres filiales.
« J’ai rarement vu pareil cas ailleurs, pas au Maroc en tout cas, remarque Benjamin Romain. Ce modèle pose en outre le problème du partage des profits, toujours complexe, mais aussi de l’intéressement et de la motivation des vendeurs, de la collaboration effective des équipes pour la conception des produits, de la formation des chargés de clientèle ou encore du partage des données IT… Cela pourrait les désavantager par rapport à des acteurs comme Attijari ou NSIA, qui sont des modèles de bancassurance intégrés. » À moins que cette coentreprise n’ouvre la voie à des acquisitions communes au sud du Sahara et ne constitue le premier étage d’un rapprochement capitalistique plus important. Les deux groupes refusent d’évoquer cette hypothèse. Mais elle est sur toutes les lèvres.
De la séparation à la réconciliation
Au regard de l’histoire récente, c’est une surprenante décision qu’ont prise Moulay Hafid Elalamy et Othman Benjelloun. Prenant le contrôle à peu près au même moment de Colina (en 2010) et de Bank of Africa (BOA), les deux hommes ont d’abord veillé à défaire tous les liens commerciaux et capitalistiques qui existaient entre les deux groupes, pourtant proches, BOA détenant même 8 % du capital de l’assureur.
« Ils étaient liés depuis le début des années 2000 et le rachat conjoint des filiales du français Groupama en Côte d’Ivoire et au Bénin. Michel Pharaon [ancien actionnaire majoritaire de Colina] et moi-même avions même un projet de construction d’un groupe commun de bancassurance », rappelle Paul Derreumaux. Le fondateur de BOA refuse d’en dire davantage sur les raisons du divorce amorcé par les repreneurs marocains. « Pour BOA, continuer de travailler avec Colina était impossible », affirme un salarié du groupe. Saâd Bendidi est-il à l’origine de la réconciliation? Patron de Saham depuis le retrait d’Elalamy (nommé ministre de l’Industrie en 2013), Bendidi a aussi été très proche de Benjelloun au sein de FinanceCom…
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