Zaho, la fée de Bab Ezzouar

La chanteuse algérienne installée au Canada jouera à la rentrée dans le spectacle musical grand public « La Légende du roi Arthur ».

« J’étais distraite par la magie de l’ailleurs, ce n’est qu’après qu’on réalise à quel point on est attaché à ses racines. » © Vincent Fournier/J.A.

« J’étais distraite par la magie de l’ailleurs, ce n’est qu’après qu’on réalise à quel point on est attaché à ses racines. » © Vincent Fournier/J.A.

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 24 juin 2015 Lecture : 4 minutes.

Révélation ! La fée Morgane, célèbre élève de Merlin, est algérienne. Mieux, elle est née à Bab Ezzouar en 1980 et, avant de choisir son pseudonyme de magicienne et guérisseuse, elle s’est successivement appelée Zahera Darabid pour ses intimes, puis Zaho pour les foules à l’époque où elle poussait la chansonnette. Mais si ! souvenez-vous, en 2008, elle chantait « C’est chelou », gros succès de son album Dima … Tiens, elle a même écrit une chanson portant le même titre que cette rubrique dans laquelle elle disait : « J’compte les années, j’compte les jours / En attendant de vous raconter mon parcours / Et vous dire que j’ai changé / Et combien vous me manquez. »

Son parcours, c’est d’abord Alger, une enfance animée et joyeuse encadrée par une éducation stricte. Après les devoirs et les dictées supplémentaires, il est possible d’envoyer valdinguer le cartable et de partir jouer dans la rue. Pas avant. « Il fallait réussir, se souvient-elle. Nous appartenions à cette classe intellectuelle qui n’avait guère d’argent et dont l’éducation était la principale richesse. » Fille d’un cadre du ministère de la Planification et d’une professeure, Zahera Darabid pleure quand elle n’est que deuxième de sa classe. Dans « Mon parcours », elle chante : « Et malgré mes conneries / J’avais de bonnes notes / Car je voulais devenir astronaute. » Son instrument pour atteindre les étoiles ? Une guitare. Dès ses 7 ans, les cours de solfège lui offrent une forme de voyage. « Sortir de mon quartier, c’était déjà voir le monde, dit-elle. Mon père aurait voulu être un artiste. Il se déplaçait beaucoup en Afrique, d’où il ramenait des instruments locaux qui m’intriguaient et me fascinaient. » Entre les murs de la maison résonnent des accords de musique andalouse, mais la porte est ouverte aux chansons d’Elvis Presley, de John Lee Hooker ou de Cat Stevens. « Quand on allait voir ma grand-mère à Oran, on devait écouter Abdel Halim Hafez, Farid El Atrache et Oum Kalthoum pendant des heures dans la voiture. Mais après cela, on avait quand même droit à une petite heure de Boys Band… », se souvient-elle. La guitare ne cesse pas de la démanger et elle fait l’animation dans le quartier, jouant dans la rue à l’heure du ramadan.

la suite après cette publicité

La décennie noire finit pourtant par imposer son plomb : « Tout le monde se méfiait de tout le monde, on était dans une grande prison, et tous ceux qui pouvaient partir le faisaient. Les parents algériens ne montrent jamais leur peur, mais j’étais assez grande pour comprendre qu’ils étaient effrayés. » Pour la famille Darabid, ce sera le Canada, en 1999. « Pour moi, c’était féerique, magnifique, je m’attendais à voir le père Noël à chaque instant. J’étais distraite par la magie de l’ailleurs, ce n’est qu’après que l’on réalise à quel point on est algérien et attaché à ses racines. » Quittant son pays, elle n’a emporté que sa guitare et son tee-shirt Bob Marley. « Mes frères et sœurs, ne pensez pas que je vous abandonne / J’ai dû exaucer mes prières et que Dieu me pardonne / C’est ça la vie, des bas et des hauts / On tient le fil comme au rodéo oh oh / Et depuis… »

L’accueil canadien est inversement proportionnel à la température : « Je craignais que la reconversion ne soit plus dure, mais ce pays a reconnu la matière grise tout de suite, raconte-t-elle. On m’a dit « Bienvenue chez vous », et cette phrase résonnera encore dans soixante ans .»

Bachelière à 16 ans, la guitare toujours prête à déclamer de l’Idir, du Cabrel, du Chapman ou du Nirvana, la bonne élève s’oriente sagement vers l’informatique. De petits boulots alimentaires en rencontres « avec des gens du microcosme de la musique », Zahera Darabid devient peu à peu Zaho. Peu diserte sur le moment de bascule où elle embrasse la carrière d’artiste et sur la manière dont elle y parvient, elle n’est pas avare de phrases un peu trop parfaites comme « je n’ai pas fait tout ce chemin pour me priver de mes rêves » ou « les maisons de disques voulaient me dénaturer ». Ce que l’on saura néanmoins, c’est qu’elle a monté sa boîte en 2004 et produit son premier album, Dima.

la suite après cette publicité

« On savoure plus le succès quand il vient tard et que l’on a un peu galéré avant », philosophe-t-elle. Fière « de toucher les gens avec [sa] musique », elle a fini par retourner en Algérie, « où plein de petites Zaho sont nées ». Le Printemps arabe, en revanche, elle l’a vécu de l’extérieur par le biais des médias. « Les révolutions étaient légitimes, reconnaît-elle. Mais moi qui ai vécu une période difficile en Algérie, je craignais que l’on ne tombe dans un extrémisme radical derrière. » Aujourd’hui, elle loue son pays d’adoption, « l’islamophobie ne passe pas ».

Après Dima, Zaho a sorti l’album Contagieuse, en 2012. Sa nouvelle transformation aura lieu à la rentrée 2015 : elle incarnera la fée Morgane dans La Légende du roi Arthur, un spectacle musical produit par Dove Attia. « J’ai accepté de travailler sur toutes les musiques… et plus ça avançait, plus Dove voyait en moi la fée Morgane. » À défaut de devenir astronaute, la fillette de Bab Ezzouar qui « croquait la vie avec [ses] dents de lait » sera chanteuse et magicienne.

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image