Terrorisme : la matrice libyenne
Pays le plus poreux à la pénétration jihadiste dans la région, la Libye est aussi celui où, paradoxalement, les logiques locales mettent un frein aux ambitions expansionnistes de Baghdadi.
«Si l’Algérie était l’épicentre des mouvements jihadistes dans le passé, la Libye est là où réside leur avenir », avance Wolfram Lacher, chercheur au SWP (Institut allemand pour les affaires internationales et de sécurité). Ce spécialiste reconnu de la Libye parle du pays comme d’un « marché croissant pour le jihadisme ». Après la chute de Kadhafi, la mouvance radicale locale s’est reconstituée rapidement, bénéficiant de soutiens tant intérieurs, en Cyrénaïque et dans le Fezzan, qu’extérieurs. En septembre 2012, l’attentat contre le consulat américain de Benghazi coûte la vie à l’ambassadeur Chris Stevens et signale l’émergence d’un groupe : Ansar al-Charia. Combinant une morale rigoriste et des services publics (sécurité, santé), précieux après l’effondrement du système kadhafiste, le groupe s’est étendu dans l’Est, de Syrte à Derna, en passant par Ajdabiya et Benghazi. Se finançant à l’occasion de braquages répétés (notamment de banques), le groupe s’est donné un commandement politique, le Conseil de la Choura, qui a prêté allégeance au « calife » Baghdadi en octobre 2014, et une capitale, Derna. Cette ville au passé jihadiste est surtout le fief de la Brigade des martyrs d’Abou Salim. Là où ces derniers sont exclusivement libyens, pour certains de la génération Ben Laden, les combattants de l’État islamique (EI) mêlent recrues locales et étrangères. Certains ont été formés en Syrie dès la fin de 2012, comme la brigade Al-Battar, créée par des Libyens et qui a rejoint l’EI dès 2013.
Une partie de ces forces ont rallié Benghazi à l’été 2014 pour riposter à l’opération Dignité du général Haftar. Sur le plan de la communication, ces filiales de l’EI ont rapidement adopté les codes de la maison mère : application de la charia et exécutions chorégraphiées, largement diffusées sur internet. En janvier 2015, Baghdadi demande à ses disciples d’Afrique du Nord de rejoindre la Libye, terre de jihad. Pour l’instant, l’EI n’a pas accès aux ressources pétrolières libyennes. Ses offensives ont été contrées par d’autres forces, dont les brigades islamistes de Misrata, qui assiègent Syrte. Le 9 juin, l’EI a été expulsé de Derna… mais par un groupe proche d’Al-Qaïda. Après une première phase de déni de la part des autorités de Fajr Libya, qui ont pris le contrôle de Tripoli il y a un an, l’heure est venue de la guerre fratricide entre islamistes aux cinquante nuances de noir.
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