Jusqu’où ira Lionel Zinsou ?

À 60 ans, cet économiste, financier et citoyen engagé à qui tout réussit a accepté le poste de Premier ministre malgré un contexte national difficile au Bénin. Un choix risqué qui suscite des interrogations sur ses chances de succès et nourrit les fantasmes sur d’éventuelles motivations cachées.

Lionel Zinsou, Premier ministre béninois. © Bruno LEVY, pour J. A.

Lionel Zinsou, Premier ministre béninois. © Bruno LEVY, pour J. A.

ProfilAuteur_FredMaury NICOLAS-MICHEL_2024 Fiacre Vidjingninou

Publié le 2 juillet 2015 Lecture : 8 minutes.

«J’ai été professeur à Sciences-Po pendant douze ans et à Polytechnique pendant cinq ans. Lionel Zinsou est le seul étudiant dont j’aie jamais gardé les copies. » Quarante ans plus tard, Michel Cicurel se souvient encore du jeune et déjà brillant Franco-Béninois, étudiant à l’Institut d’études politiques de Paris. « Il est gracieux, c’est un pur », poursuit ce financier français renommé, qui est depuis devenu son ami. « Diplomate », « empathique », « exceptionnellement intelligent », « loyal »…

Le nouveau Premier ministre du Bénin chargé du développement économique, de l’évaluation des politiques publiques et de la promotion de la bonne gouvernance fait l’unanimité parmi tous ceux qui l’ont côtoyé de près. Même si, rappelle Hakim El Karoui, que Lionel Zinsou a embauché à la banque d’affaires Rothschild il y a dix ans et qui le remplace aujourd’hui à la tête d’AfricaFrance (fondation franco-africaine pour une croissance partagée), « comme tous les hommes capables de faire et de réussir plusieurs choses en même temps, il en énerve beaucoup ».

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Depuis sa nomination le 18 juin, les médias étrangers ont manifesté un regain d’intérêt pour cet homme de 60 ans au parcours exemplaire et, par ricochet, pour ce petit pays dont on ne parle que rarement. Une réaction presque diamétralement opposée à celle observée au Bénin, où cette arrivée a suscité, dans un contexte politique et économique difficile, une certaine perplexité. Comment ce personnage emblématique de la diaspora, un temps haut dirigeant de Danone et financier de haut vol, a-t-il pu accepter ce qui ressemble pour beaucoup à une mission impossible : occuper un poste inexistant constitutionnellement à moins d’un an de l’élection présidentielle ? Tentative d’explication.

Pourquoi maintenant ?

Ce n’est pas la première fois que Boni Yayi sollicite Lionel Zinsou. En 2006 déjà, le tout nouveau président béninois lui propose de rejoindre l’exécutif pour tenir le portefeuille de l’Économie et des Finances. Mais à l’époque, l’intéressé, tout juste cinquantenaire et banquier chez Rothschild, estime ne pas avoir encore épuisé ses opportunités professionnelles. Il refuse mais accepte un poste (très léger) de conseiller économique spécial (à titre gratuit) qu’il occupera jusqu’en 2011. Neuf ans plus tard, la donne a changé : à la tête de PAI Partners depuis 2009, le financier y a largement achevé sa mission principale (il devait quitter son poste à la fin de cette année). Il a restructuré l’un des fonds de cette société de capital-investissement, dont la taille avait été divisée par deux, a réorganisé le management et organisé la levée d’un nouveau véhicule d’investissement, doté depuis mars 2015 de 3,3 milliards d’euros.

Mais, selon un proche, des raisons plus intimes l’ont poussé à accepter ce poste aujourd’hui. « Il ne faut pas oublier l’importance du timing personnel dans le choix de Lionel Zinsou. La période est propice. » En effet, ses trois filles volent aujourd’hui de leurs propres ailes. Autre motivation, selon la même source : « Son oncle, Émile Derlin Zinsou, a été président du pays, et la notion de lignée familiale, de devoir est très importante pour lui. Avec l’âge, il s’est clairement posé la question de l’efficacité et du poids de son action. »

Port de Cotonou. © Valentin Salako pour J.A.

Port de Cotonou. © Valentin Salako pour J.A.

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Que peut-il faire ?

À dix mois de l’élection présidentielle et alors que l’Assemblée nationale a basculé dans l’opposition, c’est la question que tout le monde se pose. Même si, comme le rappelle un financier ouest-africain, « le Bénin est un pays largement bloqué », le nouveau Premier ministre ne passera probablement pas en force. Lionel Zinsou est plutôt du genre à rallier les gens à sa cause. Ne comptez pas non plus sur lui pour s’entourer d’une armada de conseillers : « Il n’a pas de garde rapprochée dans le domaine professionnel, affirme une de nos sources. Il est toujours bienveillant envers les équipes qu’il rejoint. »

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Voilà pour la méthode, mais pour le fond ? « Il y a des quick wins [actions rapides produisant des résultats visibles] possibles, pondère Jean-Michel Severino, ex-directeur général de l’Agence française de développement, qui a travaillé à plusieurs reprises avec Lionel Zinsou. L’amélioration de la chaîne de transport dans ce pays qui a pour principal atout une position de hub, la remise en ordre de la filière coton et l’amélioration de la gestion budgétaire via une fiscalité plus efficace. » Un proche ajoute : « C’est une petite économie faire venir des investisseurs sur quelques grands dossiers peut durablement changer les choses. » Un an après la table ronde économique du Bénin (dans laquelle il n’avait joué qu’un rôle mineur), où les bailleurs de fonds s’étaient engagés à hauteur de 5 600 milliards de F CFA (environ 8,5 milliards d’euros), nombre de dossiers attendent une véritable feuille de route.

Chez PAI Partners, cet homme « à la peau de crocodile et sur lequel les attaques glissent », comme le décrit un proche, a été porté au poste de président après avoir écarté les deux principaux patrons

Enfin, si Lionel Zinsou n’est pas un impatient, penser qu’il ait pu accepter un poste pour y faire de la figuration serait mal le connaître. Chez PAI Partners, cet homme « à la peau de crocodile et sur lequel les attaques glissent », comme le décrit un proche, a été porté au poste de président après avoir écarté (avec son habileté et sa souplesse habituelles) les deux principaux patrons, pourtant redoutables financiers. Et dire que lors de son entrée au sein de la société, toute la profession ou presque prévoyait son échec…

À Cotonou, le monde politique partage à peu de chose près le même pessimisme : « Notre Constitution ne prévoit pas de fonction de Premier ministre, explique Victor Topanou, président du Front uni pour la République, un parti d’opposition, et ancien ministre de la Justice de Boni Yayi. Et j’ai d’autant plus de mal à comprendre que Lionel Zinsou accepte une proposition aussi périlleuse qu’il ne connaît rien ou presque à l’administration et au microcosme politique du Bénin. » Urbain Amégbédji, vice-président d’Alternative citoyenne, autre formation d’opposition, évoque « une mission quasi impossible, avec un président omniprésent et un poste qui n’a aucun contenu. Malgré sa bonne volonté, il n’aura pas le temps de travailler, c’est impossible. »

Du côté du patronat, même si l’on rappelle que le secteur privé n’attend pas grand-chose des hommes politiques, les avis ne sont pas si négatifs. Jean-Baptiste Satchivi, président de la Chambre de commerce et d’industrie du Bénin, estime que « la focalisation internationale sur la personne de Lionel Zinsou est positive » et espère que « le Bénin saura en tirer profit ». « Un bon dialogue public-privé est nécessaire », insiste-t-il.

A-t-il des ambitions politiques ?

« Il n’a jamais travaillé à construire une carrière politique », tranche Hakim El Karoui. « Son ambition personnelle est limitée, ce qui le guide réellement, c’est l’intérêt général », renchérit Michel Cicurel. Entré jeune (il avait à peine 30 ans) au sein de cabinets ministériels français, Lionel Zinsou n’aurait eu aucun mal à poursuivre d’éventuelles conquêtes politiques. Il a pourtant fait le choix d’une vie faite d’expériences multiples, d’aventure entrepreneuriale chez Danone et dans la finance ainsi que d’engagement dans le débat économique public. « Il a toujours cumulé plusieurs vies professionnelles et consacré plus de la moitié de son temps aux conférences, aux think tanks, à la publication de rapports, au débat d’idées… » souligne un proche.

Clairement, l’entrée en politique de Lionel Zinsou au Bénin repose sur un souci de l’intérêt général qui dépasse l’échéance de 2016. En homme qui aime les défis, il poursuivra son aventure politique au-delà de l’élection présidentielle, si la situation le permet. « Si l’on montre en dix mois que l’on peut faire progresser l’accès à l’électricité, à l’eau, aux soins, à l’éducation ou à la lecture à des gens qui en sont aujourd’hui privés, ceux-ci demanderont à ce que l’expérience continue et s’amplifie », a-t-il expliqué dès sa nomination.

Le candidat de la France ?

Voici l’étiquette dont Lionel Zinsou aura le plus de mal à se défaire. D’abord parce qu’il est né à Paris, y a fait ses études – en passant par l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, temple de l’élite intellectuelle du pays – et toute sa carrière. Mais aussi en raison de son rôle central au sein de la fondation AfricaFrance et, surtout, de ses liens très étroits avec Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères. « Lionel Zinsou lui est très fidèle, comme il l’a été envers David de Rothschild et, jadis, Antoine Riboud [fondateur de Danone] », explique Hakim El Karoui. « Franchement, le Bénin n’est pas un pays stratégique pour l’Hexagone, et les intérêts français y restent limités par rapport à d’autres endroits en Afrique », rétorque un proche.

« Il a le Bénin au cœur depuis que je le connais », insiste Michel Cicurel. « La première fois que je l’ai rencontré, il y a quinze ans, il m’a parlé quarante-cinq minutes d’Afrique et deux heures de ce pays », se souvient Michaël Cheylan, un communicant qui le connaît bien. S’il n’a réellement découvert cet État d’Afrique de l’Ouest que tardivement, le Franco-Béninois s’en est rapproché de plus en plus, en tant que conseiller économique de Boni Yayi mais surtout via la Fondation Zinsou, pilotée par sa fille Marie-Cécile et qu’il finance à hauteur de 1 million d’euros par an. Une institution qui, grâce à son entregent, a rayonné à l’international. Mais qui s’est surtout fait connaître au niveau local : elle envoie tous les jours un bus sillonner la ville et ramener des écoliers pour visiter ses expos. Gratuitement.

Des affaires aux ministères : un bilan mitigé

Dans la sphère politique africaine, la mode est aux technocrates. Si,dans les années 1990, des anciens de la Banque mondiale ou du FMI sont venus sauver nombre de pays de la faillite, les grands patrons et banquiers leur ont emboîté le pas dans les années 2000. Avec plus ou moins de succès.

Au Maroc, la tendance a été lancée en 2002 avec la nomination de Driss Jettou au poste de Premier ministre. Aujourd’hui, au moins deux grands patrons, Moulay Hafid Elalamy (fondateur du groupe Saham) et Aziz Akhannouch (Akwa Group), occupent des ministères importants, avec un réel succès. En revanche, en Tunisie, l’expérience du gouvernement de technocrates formé après la chute de Ben Ali n’a pas réellement fonctionné. « La plupart revenaient de l’étranger et n’ont pas vraiment été bien accueillis, explique le consultant français Hakim El Karoui. Ce sera d’ailleurs un des défis de Lionel Zinsou : montrer que la diaspora africaine peut également apporter ses compétences dans le monde politique et éviter qu’une alliance ne se forme contre lui sous prétexte qu’il ne vivait pas jusqu’à aujourd’hui au Bénin. »

Au Sénégal, la nomination du banquier Abdoul Mbaye à la tête du gouvernement en 2012 n’a pas porté les fruits attendus, notamment à cause de la mauvaise gouvernance. Et en Côte d’Ivoire, Jean-Louis Billon, l’un des dirigeants du groupe agroindustriel Sifca nommé ministre du Commerce, de l’Artisanat et de la Promotion des PME en 2012, a perdu ces deux dernières prérogatives

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