Élisabeth Guigou : « La crise entre la France et le Maroc, c’est du passé »
Après un an de brouille, Paris et Rabat reprennent leur coopération judiciaire. Les explications d’Elisabeth Guigou, présidente de la Commission des Affaires étrangères à l’Assemblée nationale française.
Native de Marrakech, Élisabeth Guigou, ancienne garde des Sceaux, aujourd’hui présidente de la Commission des Affaires étrangères à l’Assemblée nationale française, était idéalement placée pour faire adopter une nouvelle convention d’entraide judiciaire entre la France et le Maroc. Le 23 juin, les députés ont adopté ce texte, qui a mis fin à une année de brouille diplomatique.
Cette convention prévoit notamment que les plaintes déposées en France contre des citoyens marocains soient « prioritairement » renvoyées devant la justice marocaine. Les ONG qui défendent les droits de l’homme s’inquiètent d’une remise en cause de l’indépendance de la justice et du principe de compétence universelle.
Jeune Afrique : Vous avez été rapporteur du projet de loi ratifiant la nouvelle convention d’entraide judiciaire entre la France et le Maroc. Quel est le point d’équilibre de ce texte ?
Élisabeth Guigou : Compte tenu de l’importance des liens humains, économiques et sociaux de nos deux pays, ce texte doit inciter les deux systèmes judiciaires à travailler encore davantage ensemble. Nos magistrats ont tout à gagner à mieux connaître leurs collègues et à les consulter plus souvent. Ensuite, les magistrats restent libres de conduire les procédures comme ils l’entendent.
Sans renoncer à leur droit de poursuite ?
La procédure de dénonciation aux fins de poursuite existait déjà. Elle consiste à mettre entre parenthèses une enquête quand un juge demande à un collègue étranger de procéder à des investigations. À tout moment, le magistrat saisi en premier lieu peut reprendre son enquête.
La rupture de la coopération judiciaire a duré près d’un an. Une crise sans précédent…
C’est du passé ! Le retour à la normale est déjà acquis : un nouveau magistrat de liaison français a été nommé, la reprise de la coopération entre services de sécurité a rapidement suivi. Et la ratification du texte par les deux Parlements nationaux sera de nature à accélérer ce retour à la normale.
Doit-on craindre des recours contentieux ?
Rien n’empêche des ONG ou des avocats de poser une question prioritaire de constitutionnalité. Il incombera au Conseil d’État de décider si elle est recevable. Les opposants au texte demandaient des éclaircissements sur certaines imprécisions juridiques. J’ai tenté d’y apporter des réponses dans mon rapport, même si je sais que cela ne convaincra pas tout le monde.
Plusieurs ONG redoutent que l’on sacrifie l’État de droit à la raison d’État. La reprise de la coopération sécuritaire qui a suivi l’annonce de cet accord judiciaire semble leur donner raison…
Pour ma part, je me félicite que nos deux pays soient parvenus à reprendre leur coopération judiciaire puis sécuritaire en février. Le protocole additionnel ne sacrifie ni nos engagements internationaux, comme la compétence universelle en matière de torture – convention que le Maroc a signée et ratifiée -, ni nos principes fondamentaux que sont l’indépendance des magistrats et le secret de l’instruction.
Au sein du PS français, on vous présente comme une amie du Maroc. Que répondez-vous à ceux qui, à Rabat, dénoncent le tropisme algérien de la présidence Hollande ?
Le rétablissement de bonnes relations entre la France et l’Algérie est une excellente nouvelle, d’autant qu’elles s’étaient largement détériorées durant le quinquennat précédent. Et puis, nous n’abandonnons pas notre relation exceptionnelle avec le Maroc, loin de là. Le roi Mohammed VI a été le premier chef d’État reçu à l’Élysée en 2012. La reprise des relations avec les uns et les autres est de nature à stabiliser toute la région. Compte tenu de mes fonctions, je me rends aussi bien au Maroc qu’en Algérie. Sans exclusive.
Comment interprétez-vous la visite de quasi-chef d’État en exercice qu’a effectuée Nicolas Sarkozy à Rabat ce 22 juin ?
Il est normal que le Maroc reçoive des dirigeants de la majorité et de l’opposition. Mais tout responsable public devrait s’abstenir de critiquer, à l’étranger, la politique de son propre pays. C’est une question d’élégance.
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