Tournants décisifs

Dans quelques jours, l’année 2015 entrera dans sa seconde moitié. Ce passage coïncidera avec un tournant décisif dans plusieurs affaires internationales.

Un accord exonère les expéditeurs d’hydrocarbures au Tchad du paiement de tous droits © AFP

Un accord exonère les expéditeurs d’hydrocarbures au Tchad du paiement de tous droits © AFP

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Publié le 1 juillet 2015 Lecture : 4 minutes.

Verrons-nous des dénouements heureux, ou bien allons-nous assister à des complications dont certaines pourraient virer au drame ?

Je pense à la crise malienne, au nucléaire iranien et au prix du pétrole.

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Commençons par ce dernier sujet.

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1) Le prix du pétrole. Nous savons tous qu’il a été divisé pratiquement par deux depuis un an.

L’équilibre entre les pays producteurs-exportateurs et les pays consommateurs en a déjà été bouleversé. Mais que nous réserve l’avenir ?

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Principale source d’énergie pour encore une ou deux décennies, le pétrole est passé, il y a un an, de l’ère de la rareté et de la cherté, où l’on se dispute pour en acheter à n’importe quel prix, à celle de l’abondance, où ceux qui l’exportent baissent leur prix parce qu’ils ont du mal à trouver preneur.

La grande nouvelle de cette fin juin 2015 est que, grâce à leur pétrole de schiste, les États-Unis sont en train de devenir – plus tôt qu’on ne le pensait – le premier producteur mondial d’or noir, devançant (de peu) leurs deux grands rivaux : l’Arabie saoudite et la Russie.

Les trois plus grands producteurs de pétrole © J.A.

Les trois plus grands producteurs de pétrole © J.A.

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Le royaume wahhabite a eu beau porter sa production à un niveau proche de sa capacité maximale et inciter les autres membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) à maintenir le leur, il n’est pas parvenu à ralentir l’essor du schiste américain.

Les États-Unis ont réussi à réduire le coût d’extraction de ce pétrole de schiste, et il leur est encore possible d’améliorer sensiblement son prix de revient.

Leur production se maintiendra donc à ce niveau ou augmentera et, bonne nouvelle pour les consommateurs, l’ère des hydrocarbures abondants est assurée de durer.

Leur prix demeurera donc modéré.

L’économie mondiale en sera favorablement affectée. Mais pour les pays dont le pétrole ou le gaz est la ressource principale (et presque le seul poste d’exportation), l’atténuation de cette dépendance deviendra une absolue nécessité.

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2) Pour le Mali, l’accord d’Alger, signé à Bamako le samedi 20 juin, est une incontestable victoire du dialogue sur la violence.

Il faut en féliciter toutes les parties maliennes et les amis du Mali, qui y ont puissamment contribué, l’Algérie et la France en particulier ; l’ONU, qui a prodigué son soutien, s’en portera garant.

Est-ce un accord de paix marquant la sortie d’un long tunnel ? Le moment d’émotion sincère qu’on a observé lors de sa signature est-il le gage d’une réconciliation durable ? Les signataires regardent-ils bien dans la même direction, comme l’a affirmé Ibrahim Boubacar Keïta, président du Mali, et se tiendront-ils la main pour « construire ensemble un Mali plus beau » ?

L’accord entériné et confirmé le 20 juin à Bamako avait été négocié et paraphé (partiellement) dès le 15 mai ; il prolonge et consolide l’accord de Ouagadougou, signé le 18 juin 2013, il y a donc deux ans.

Si l’on ne veut pas aller au-devant de déceptions, voire de déconvenues, il faut éviter de considérer l’accord signé à Bamako comme un aboutissement.

Il n’est qu’une étape, substantielle et décisive, vers la construction d’un Mali uni, mais décentralisé, et le fondement de ce nouvel édifice.

Une telle construction, ou reconstruction, est un travail de longue haleine. Il suppose, à Bamako, l’installation d’un gouvernement plus large, de quasi-union nationale.

Par ailleurs, il est indispensable que les amis du Mali demeurent présents et vigilants. Mais sans pour autant continuer à donner l’impression de se substituer aux Maliens.

Si les Maliens s’approprient l’esprit de l’accord et si celui-ci s’adapte au nationalisme malien, on saura qu’on va dans la bonne direction.

La mise en œuvre de ses principales dispositions, dans les mois et les années qui viennent, doit être fidèle au texte de l’accord, mais souple.

Si toutes ces conditions sont réunies, ce Mali à la fois uni et décentralisé que décrit l’accord verra le jour, sera une réalité, et l’on sera sorti du tunnel.

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La France ira-t-elle jusqu’à faire obstacle à l’accord ? La particularité de sa position la conduira-t-elle à s’opposer non seulement aux États-Unis, mais aussi à l’Allemagne et au Royaume-Uni…

3) L’accord sur le nucléaire iranien. Il se négocie depuis des mois, et ses protagonistes, les six grands(1) et l’Iran, sont convenus de le conclure d’ici au dernier jour de ce semestre.

Il paraît peu probable qu’ils tiennent le délai et l’on ne sait même pas s’ils parviendront à un accord au cours du second semestre.

L’Iran et les États-Unis ont montré qu’ils avaient le désir de conclure et que leur réconciliation était l’un des axes stratégiques de leurs gouvernants.

Mais il faut s’attendre à ce que la France de François Hollande et de Laurent Fabius tente de s’y opposer.

Elle veut montrer sa différence avec les États-Unis de Barack Obama ainsi que sa proximité avec Israël et l’Arabie saoudite, adversaires farouches de l’accord.

Dans sa recherche d’un contrepoids à son trop puissant allié américain, cette dernière fait miroiter à la France des contrats d’achat d’armes, de réacteurs nucléaires, de moyens de transport terrestres, maritimes et aériens dont le montant pourrait s’élever à plusieurs dizaines de milliards de dollars et qui pourraient être conclus dans les jours qui viennent.

La France ira-t-elle jusqu’à faire obstacle à l’accord ? La particularité de sa position la conduira-t-elle à s’opposer non seulement aux États-Unis, mais aussi à l’Allemagne et au Royaume-Uni lorsqu’ils se seront rangés du côté des Américains pour conclure avec l’Iran ?

Elle compte, à mon avis, sur les conservateurs iraniens, hostiles à l’accord, et sur le Guide suprême, Ali Khamenei, méfiant à l’égard des États-Unis, pour poser des conditions ou adopter une ligne dure qui permettra de leur faire endosser la responsabilité d’un échec.

S’il finit par être conclu et signé ou paraphé, l’accord se heurtera, aux États-Unis mêmes, à l’hostilité d’une partie importante du Congrès, qui s’efforcera d’en empêcher l’application en s’opposant à la levée des sanctions qui frappent l’Iran.

Au 30 juin 2015, Barack Obama et Hassan Rohani n’auront pas encore remporté la bataille qu’ils ont engagée pour réconcilier leurs pays.

1. États-Unis, Chine, Russie, Royaume-Uni, France et Allemagne.

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