États-Unis : permis de tuer
En dépit de la tragédie de Charleston, il ne fait guère de doute que les membres du Congrès refuseront d’adopter une loi sur le contrôle des armes à feu. Ils ont bien trop peur de la puissante National Rifle Association !
L ‘ effroyable massacre perpétré le 16 juin dans une église de Charleston (neuf paroissiens noirs abattus) par un jeune Blanc nommé Dylann Roof a au moins eu une vertu : il a provoqué un début d’introspection chez les Américains. Sur quoi débouchera-t-il ? Contribuera-t-il à la guérison de ces deux maux qui gangrènent la société américaine : le racisme et les armes à feu ?
S’agissant de ces dernières, la réponse est courue d’avance : c’est non. Si la mort de vingt enfants dans une école de Newtown, il y a deux ans et demi, n’a pas fait avancer d’un iota la cause du contrôle des armes, il est douteux que les victimes de Charleston y parviennent. Deux jours après la tragédie, Barack Obama a pourtant haussé le ton : « Il y a des gens violents, haineux ou mentalement instables dans tous les pays, a-t-il indiqué. Mais il n’y a pas dans tous les pays d’énormes quantités d’armes aussi aisément accessibles. » Détail significatif : Roof avait acheté son arme, un Glock de calibre 45, avec l’argent que lui avaient donné ses parents pour son anniversaire… « Existe-t-il un moyen de concilier une tradition respectable [la détention d’une arme à feu destinée à se défendre] et le simple bon sens, afin d’empêcher une personne de 21 ans en colère, ou perdue, ou raciste, ou malade, de rentrer dans un magasin d’armes et de faire énormément de mal ? » s’est interrogé le président. Mais il se montre sans illusion : toute tentative d’imposer par voie législative un contrôle sur les armes est vouée à l’échec en raison de la farouche hostilité de la National Rifle Association (NRA).
Et d’enfoncer le clou, le 21 juin sur Twitter, après de nouvelles fusillades à Détroit et à Philadelphie (un mort et plusieurs blessés, dont un bébé de 18 mois) : « Notre taux d’homicide par arme à feu est 297 fois supérieur à celui du Japon, 49 fois supérieur à celui de la France et 33 fois supérieur à celui d’Israël… » Trois cents millions d’armes seraient en circulation aux États-Unis.
On se souvient que sa timide tentative d’encadrer la vente des fusils d’assaut avait été repoussée par le Congrès, en dépit de l’émotion suscitée par le massacre de Newtown. Un échec cuisant qui explique sûrement le ton défaitiste d’Obama après Charleston. Au vrai, si 58 % des Américains se déclarent favorables à un contrôle renforcé, le nombre des États qui, depuis Newtown, ont assoupli leur législation sur les armes à feu est plus important que le nombre de ceux qui l’ont renforcée.
La NRA a poussé l’indécence jusqu’à blâmer l’une des victimes, Clementa Pinckney, le pasteur de l’église, qui est aussi sénateur de la Caroline du Sud et ami intime d’Obama (lequel se rendra à ses funérailles, le 26 juin), pour avoir voté contre diverses propositions de loi autorisant les détenteurs d’armes à les porter dissimulées en public. « Huit membres de son église seraient peut-être en vie s’il les avait autorisés à porter des armes », a estimé Charles Cotton, un responsable de l’association. Au lendemain de Newtown, la NRA avait déjà plaidé que la tragédie n’aurait jamais eu lieu si les responsables de l’école avaient été armés !
Comment ont réagi les politiques ? Chez les républicains, c’est silence radio. Côté démocrate, la plus en pointe est Hillary Clinton. La candidate à la primaire a estimé devant l’Association des maires, à San Francisco, que « le président a raison », et que « nous ne pouvons abandonner cette question politiquement empoisonnée, parce que les enjeux sont trop importants et les coûts trop élevés ». Mais elle n’a pas précisé comment elle compte s’y prendre pour amadouer le Congrès. Autant dire qu’une avancée législative reste très improbable tant le port d’armes est ancré dans la culture de ce pays. Y compris, d’ailleurs, chez les Noirs. Selon l’université de Chicago, 27 % d’entre eux posséderaient une arme, contre 47 % des Blancs. Mais ils sont deux fois plus nombreux que les Blancs à être tués par balle. Certains partisans noirs de la NRA n’hésitent pas à rappeler le rôle clé joué par les armes lors de la libération des esclaves…
L’autre grand sujet du jour est évidemment le racisme. Jamais les Américains n’ont autant débattu des conséquences de ce qui reste le péché originel de l’Amérique : l’esclavage. Le manifeste dément et les photos postés par Roof sur un site internet juste avant de passer à l’acte les ont secoués. Sur ce site, désactivé depuis, intitulé The Last Rhodesian (« le dernier Rhodésien »), on voit Roof poser avec le drapeau confédéré, esquisser des gestes d’inspiration nazie ou arborer les drapeaux de l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid et de la défunte Rhodésie.
Les mots sont du même acabit. Roof accuse les Noirs d’être des êtres « inférieurs », et les Blancs d’être des « lâches ». « Je n’ai pas le choix, écrit-il. Je ne suis pas en mesure d’aller seul dans le ghetto et de me battre. Nous n’avons pas de vrais skinheads, pas de vrai Ku Klux Klan, et personne ne fait rien, sauf parler sur internet. Quelqu’un doit avoir le courage d’affronter le monde réel. J’en déduis que ce doit être moi. »
Depuis, ledit drapeau confédéré est sur la sellette. Le fait qu’il ait continué de flotter près du capitole de Caroline du Sud, à Columbia, quand celui des États-Unis avait été mis en berne a choqué. Des milliers de personnes ont manifesté à Charleston pour que ce symbole de la ségrégation soit retiré. Obama souhaite pour sa part qu’il soit « envoyé au musée ». Mitt Romney et John McCain, ses deux derniers concurrents à la présidentielle, sont du même avis. Et Nikki Haley, la gouverneure de la Caroline du Sud (qui a des origines indiennes), aussi.
Tim Scott, le sénateur noir républicain de Caroline du Sud, ne s’est en revanche pas exprimé. Et les candidats à la primaire républicaine pas davantage. Tous ont multiplié les déclarations vagues de peur de s’aliéner les conservateurs blancs, qui constituent le gros de leurs bataillons électoraux. Personne n’a oublié qu’en 1998 le gouverneur républicain de la Caroline du Sud, qui avait demandé le retrait de ce drapeau, n’avait pas été réélu.
Les choses sont néanmoins en train de changer. La chaîne de magasin Walmart a annoncé qu’elle retirait de ses rayons toute marchandise sur laquelle figure le drapeau confédéré. Et avant même le drame de Charleston, la Cour suprême avait donné raison à l’État du Texas, qui refuse l’immatriculation de tout véhicule dont la plaque serait porteuse de cet emblème du Deep South esclavagiste.
Au-delà des symboles, la question raciale n’a jamais autant fait débat. « Le spectre de l’esclavage, des lois Jim Crow, des discriminations qui subsistent dans presque toutes nos institutions continuent de planer ; cela fait partie de notre ADN, a ainsi déclaré Obama, le 22 juin. Nous ne sommes pas encore guéris. Cela n’a rien à voir avec le fait que dire
Hillary Clinton en est bien d’accord : « En dépit de tous nos efforts et de tous nos espoirs, dit-elle, la longue lutte de l’Amérique avec la question raciale est loin d’être finie. » Les républicains se montrent plus circonspects, à commencer par le sénateur Lindsey Graham, de Caroline du Sud, qui briguera l’investiture de son parti lors de la primaire. Comme beaucoup de Blancs, il a hésité à reconnaître le caractère raciste de l’acte de Roof, préférant évoquer une « agression contre des chrétiens ». Il a heureusement fini par se raviser.
Le massacre de Charleston, dont certains continuent de se demander gravement s’il constitue ou non un acte terroriste – pourquoi ne serait-ce pas le cas alors que l’attentat contre le marathon de Boston est considéré comme tel ? – a montré qu’il ne fallait pas sous-estimer la menace représentée par les extrémistes blancs. Après tout, la première loi antiterroriste adoptée aux États Unis ne visait-elle pas le KKK ? C’était en 1871.
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Qu’est-ce que la NRA ?
Fondée en 1871, la National Rifle Association milite contre toute espèce de contrôle sur la vente des armes à feu. C’est l’un des plus puissants lobbys de Washington.
Elle compte plus de 5 millions de membres. Son chiffre d’affaires avoisine 7,8 milliards d’euros.
Longtemps présidée par l’ex-star hollywoodienne Charlton Heston (1923-2008), elle compte parmi ses dirigeants le rocker Ted Nugent, l’ancien basketteur Karl Malone, l’ancien lieutenant-colonel Oliver North (impliqué dans l’Irangate, dans les années 1980) et l’acteur Chuck Norris, son porte-parole.
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