SaudiLeaks : Riyad, l’arroseur arrosé…
Pour circonvenir ses détracteurs, obtenir un siège dans une organisation internationale ou s’attirer les bonnes grâces de la presse, la diplomatie saoudienne sort systématiquement le carnet de chèques. L’organisation de Julian Assange l’a prise la main dans le sac.
Décidément, les Saoudiens n’ont pas de chance avec WikiLeaks. En novembre 2010, l’organisation de Julian Assange avait fait sensation en publiant le compte rendu d’une conversation entre feu le roi Abdallah et un conseiller de la Maison Blanche, dans laquelle le monarque s’en prenait à l’Iran et invitait ses interlocuteurs américains à « couper la tête du serpent ». Elle a récidivé, ce 19 juin, en dévoilant 61 000 câbles et notes diplomatiques émanant du ministère saoudien des Affaires étrangères. Et ce n’est qu’un début : elle serait en possession d’un demi-million de documents.
Cette fois, pourtant, ce n’est pas un lanceur d’alerte qui est à l’origine de cette fuite organisée. Courant mai, un groupe de hackers se faisant appeler la Yemen Cyber Army avait revendiqué une attaque informatique visant des sites diplomatiques saoudiens. Sur le moment, les autorités en avaient minimisé la portée. Tout en criant à la manipulation et en dénonçant des « faux grossiers », Oussama Al Nakli, le porte-parole du ministère, a été obligé de reconnaître que les deux événements n’étaient pas sans lien.
Toujours sous le coup d’une demande d’extradition de la Suède et reclus à l’ambassade d’Équateur à Londres, Julian Assange a justifié les SaudiLeaks. La monarchie wahhabite, a-t-il déclaré, est une « dictature héréditaire féroce », qui a fêté sa centième décapitation cette année et qui est devenue « une menace pour ses voisins et pour elle-même ». Mais, poursuit-il, nul n’ose élever la voix : cet allié de l’Occident pratique allègrement la diplomatie du chéquier et contrôle nombre de médias arabes, qu’elle finance grassement.
La carotte et le bâton
Les méthodes utilisées pour « neutraliser » les journalistes sont assez rudimentaires. Ne s’embarrassant ni de lobbyistes ni de spin doctors, les diplomates du royaume préfèrent la bonne vieille technique de la carotte et du bâton. Exemple : lorsque la chaîne égyptienne ONTV, contrôlée par le magnat Naguib Sawiris, invite le 24 novembre 2011 le religieux Saad Al Faqih, une figure de l’opposition saoudienne, l’ambassadeur proteste, en vain, puis convoque le propriétaire. L’homme d’affaires, qui ne souhaite pas être classé parmi les « ennemis du royaume » et voir se fermer les portes de son mirifique marché, ordonne à ses équipes de ne plus jamais inviter l’opposant, et propose même à l’ambassadeur de participer à une prochaine émission. Ailleurs, une gratification financière ou la promesse d’un pèlerinage ou d’une omra à La Mecque, aux frais du royaume, suffiront à circonvenir les velléités critiques de tel ou tel rédacteur. Les leaks révèlent ainsi que le directeur de l’agence de presse guinéenne à Conakry a envoyé une missive aux Saoudiens, le 13 septembre 2004, les priant de ne pas oublier de verser 2 000 dollars, somme qui « résoudrait beaucoup des problèmes » de son agence.
Saoud Al Fayçal, qui fut pendant quatre décennies, jusqu’en avril 2015, ministre des Affaires étrangères du pays, prenait moins de gants avec les médias panarabes contrôlés par ses compatriotes, à l’instar des quotidiens Al-Hayat ou Asharq al-Awsat. Saisi d’une « plainte » du Premier ministre libanais Saad Hariri (2009-2011), proche allié de Riyad, il intimera à ces journaux de cesser de publier des articles critiques.
Le Liban étant, depuis des décennies, le théâtre privilégié de la rivalité entre l’Arabie saoudite sunnite et l’Iran chiite (par Hezbollah interposé), les révélations de WikiLeaks y ont fait l’effet d’une bombe. Elles prouvent que Riyad a corrompu toute une frange de l’élite libanaise. Un des câbles rapporte que l’ancien président Amine Gemayel (1982-1988) a sollicité une audience à l’ambassadeur d’Arabie saoudite, pour lui « demander la permission » de se rendre à Damas, à l’invitation des autorités syriennes. Un autre montre le milicien chrétien Samir Geagea quémandant « un soutien financier » car il ne peut plus payer ses gardes du corps. Geagea est devenu l’un des détracteurs les plus virulents du Hezbollah… Dans plusieurs notes, Ali Awad Al Assiri, le très entreprenant ambassadeur saoudien, est dépeint comme un véritable commissaire politique, surveillant la ligne éditoriale des médias, récompensant les uns, sanctionnant les autres.
Au-delà du cas particulier du Hezbollah, c’est évidemment l’Iran, bien plus qu’Israël, qui monopolise l’attention des diplomates du royaume. Lesquels ont pour mission de suivre à la trace les activités de leurs pairs iraniens et de contrer leur influence, notamment en Afrique. Ici encore, la « diplomatie du chéquier » est mise à contribution.
Lobbying tous azimuts
Plusieurs câbles illustrent aussi le lobbying tous azimuts, à Conakry par exemple, au service des candidatures saoudiennes dans les institutions internationales, notamment au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, à Genève. D’autres détaillent les aides aux mouvements religieux d’obédience wahhabite, aux Comores entre autres.
Un des fils d’Oussama Ben Laden a fait des démarches auprès de l’ambassade des États-Unis à Riyad pour obtenir un certificat de décès de son père. Requête accordée.
Monarchie gardienne du statu quo, l’Arabie saoudite a été prise au dépourvu par le Printemps arabe. Le 14 janvier 2011, elle offre l’asile au président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali. Les câbles révèlent que, après la victoire des islamistes d’Ennahdha, l’ex-raïs aurait été approché par Abdessatar Messaoudi, un avocat de Tunis, qui lui aurait fait miroiter la perspective d’un retour au pays dans le cadre d’une réconciliation nationale. Messaoudi aurait assuré au président déchu que le gouvernement Ennahdha, alors dirigé par Hamadi Jebali, n’était pas hostile à un compromis avec le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, ex-parti présidentiel). Lorsque Ben Ali informe ses hôtes saoudiens de la teneur de ces discussions, il s’attire de sévères remontrances de Saoud Al Fayçal, qui lui enjoint de se tenir tranquille. Questionné par l’ambassadeur d’Arabie saoudite à Tunis, Jebali nie avoir mandaté quiconque pour négocier avec le président déchu. Un autre câble, sans doute postérieur, dévoile une note signée du chef de la diplomatie saoudienne et adressée aux directeurs des médias de son pays, dans laquelle il exige qu’ils cessent de traiter l’actualité tunisienne de manière négative et qu’ils s’abstiennent de toute attaque contre Ennahdha.
Beaucoup de correspondances des SaudiLeaks sont anecdotiques ou sans intérêt. D’autres recèlent des histoires étonnantes. On apprend ainsi que Thomas Boni Yayi, le président béninois, a offert cent cartons d’ananas frais au roi Abdallah, arrivés à destination le 18 janvier 2013. Ou que Sékouba Konaté, le président guinéen par intérim, a demandé à l’ambassade d’Arabie saoudite à Conakry qu’un avion spécial soit affrété pour lui et sa famille, afin de leur permettre d’accomplir le pèlerinage, et qu’on lui ménage des audiences avec les responsables du royaume. Faveur refusée. On apprend aussi que l’un des fils d’Oussama Ben Laden a fait des démarches auprès de l’ambassade des États-Unis à Riyad pour obtenir un certificat de décès de son père. Requête accordée. Finalement, peu de révélations majeures ou de secrets d’État éventés, sans doute parce que les affaires les plus sensibles se traitent à un autre niveau, soit directement par les services de renseignements, soit dans le secret des majlis des princes de la maison Al Saoud, auxquels les pirates de WikiLeaks n’ont pas eu accès. Mais Julian Assange a promis de nouvelles révélations…
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Moubarak contre 10 milliards
ON LE SAIT : la déposition du raïs égyptien Hosni Moubarak, leur principal allié régional, le 11 février 2011, a ulcéré les Saoudiens, qui en font encore grief à l’administration Obama, coupable d’avoir « laissé faire ». Ont-ils tenté de négocier sa libération ? C’est ce que suggère un mémorandum « top secret », non daté et non signé, mais paré des insignes du royaume. En 2012, des émissaires saoudiens ont pris contact avec de hauts responsables de la confrérie des Frères musulmans pour évoquer le versement d’une rançon de 10 milliards de dollars. Ceux-ci n’auraient pas fermé la porte, estimant que cette manne serait plus utile au peuple égyptien que le maintien en prison du président déchu. Les discussions ne sont pas allées plus loin. Le destinataire du mémo l’a biffé, ajoutant : « Ce n’est pas une bonne idée. Même si nous payons, les Frères musulmans seront dans l’impossibilité de libérer Moubarak ou de faire quoi que ce soit en sa faveur, leur opinion ne le permettrait pas. » En 2012, Khairat Al Chater (photo ci-contre), l’un des leaders de la confrérie aujourd’hui condamné à mort, manifestement hostile à une telle transaction, avait déclaré, dans la presse, que les Saoudiens avaient offert plusieurs milliards en échange du raïs. À l’époque, Riyad avait démenti…
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