Descartes n’est pas béninois
Le très rationnel Lionel Zinsou ne l’ignore évidemment pas, même si les codes du politiquement correct l’empêcheront peut-être de le reconnaître : dans le marigot béninois, aucun responsable, fût-il Premier ministre agrégé d’économie, ne peut se permettre d’ignorer le vaudou et encore moins ses déviances sous peine d’échouer.
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 2 juillet 2015 Lecture : 3 minutes.
Sortilèges et politique : quand le pouvoir succombe au vaudou
Hommes et femmes politiques, milieux d’affaires, du Bénin à Haïti en passant par la France, les élites politiques et économiques ne résistent pas au pouvoir de cette pratique.
Outil de pouvoir depuis l’Égypte antique, la sorcellerie n’est en Afrique ni un tabou ni une vérité interdite : ce double occulte du monde visible fait partie de la vie quotidienne des puissants comme des manants, et les chefs d’État qui affectent d’en sourire devant leurs interlocuteurs occidentaux sont en général les premiers à s’en protéger ou à l’utiliser à leur profit. Qu’il le veuille ou non – mais sans doute le sait-il déjà -, Lionel Zinsou devra donc apprendre à ne pas serrer la main de n’importe qui, laisser son verre sans surveillance ou partager le repas d’un adversaire potentiel : on ne joue pas impunément avec la face cachée de la raison.
En France, d’où vient notre nouveau Premier ministre, le monde monomaniaque et obsessionnel de la politique offre depuis longtemps aux féticheurs et marabouts un marché où exporter leurs talents. Officiellement, ce type de pratiques où les poupées de cire côtoient les incantations est traité avec un mépris amusé. La réalité est différente. Dans un livre paru il y a une dizaine d’années, La Sorcellerie au cœur de la République (éditions Carnot), Sylvie Jumel, haute fonctionnaire passée par les cabinets de Matignon et de Bercy avant d’intégrer la Banque de France, raconte comment tout un bataillon de « spécialistes » venus de Dakar, de Bamako ou de Cotonou se sont activés pour le compte d’acteurs politiques connus, dans les coulisses de la folle élection de 2002 qui virent, contre toute attente, Lionel Jospin s’effondrer, Jean-Marie Le Pen figurer au second tour et Jacques Chirac l’emporter avec un score mobutuesque.
Notoires, les rapports suivis par le « clan Chirac » avec la magie africaine depuis le début des années 1980 y sont décrits comme l’exact pendant de ceux qu’entretenait François Mitterrand avec les pouvoirs sorciers. Le journaliste et écrivain Thierry Pfister, qui fut un proche collaborateur du Premier ministre Pierre Mauroy, a tiré de cette fréquentation un roman à clés, Le Nègre du Palais (chez Albin Michel), histoire à peine imaginée – et que d’aucuns, à commencer par Sylvie Jumel, tiennent pour réelle – d’un président tourmenté par l’au-delà invitant un féticheur du nom de Ngolo à prendre ses quartiers secrets à l’Élysée.
Il y a certes, parmi les hougans, ndokis et autres marabouts venus tenter leur chance en France beaucoup de charlatans habiles à manipuler l’auto–suggestion. Avec d’autant plus d’aisance que le code pénal français, s’il réprime « l’exercice du métier de devin, de pronostiqueur ou d’interprète des songes » (article 481), ne vise pas explicitement celui de sorcier, d’envoûteur ou d’exorciste. Mais il y a aussi des professionnels, reconnus comme tels chez eux et parfois recommandés en haut lieu (Houphouët, Bongo et Mobutu ont ainsi parrainé auprès d’hommes politiques français nombre de leurs propres thaumaturges), qui croient en leur art et parfois prennent de vrais risques en cas de « choc en retour ».
Leur clientèle, maires, députés, ministres, se situe plutôt à droite de l’échiquier politique français, mais pas uniquement. Dans leur chambre d’hôtel transformée en cabinet d’occultisme, on croise aussi bien un ancien chef du gouvernement persuadé que leur intervention massive il y a plus de vingt ans fut déterminante dans son échec à conquérir l’Élysée, que les deux protagonistes d’un feuilleton juridico-politique dont l’un rêvait de pendre l’autre à un croc de boucher, en passant par un squale sur le retour après un long purgatoire d’expiation peuplé de souvenirs érotiques. Il faut payer, bien sûr : pas moins de 10 000 euros pour une intercession, six à dix fois plus pour une mission d’envergure – laquelle peut prendre plusieurs mois. Mais à l’instar de Jacques Chirac, qui, selon Sylvie Jumel, y avait parfois recours par pragmatisme utilitaire – au cas où, on ne sait jamais, ça peut toujours servir -, tous savent qu’il y a une part de magie dans la politique. De Ouidah à Paris et à condition d’en attendre des effets pacifiques, loin des clichés racistes sur les zombies mangeurs d’âmes, mieux vaut avoir l’invisible avec soi.
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