« Diabolisé, le vaudou sort peu à peu de la clandestinité »
Le sociologue et théologien haïtien Laënnec Hurbon revient pour Jeune Afrique sur les tabous du vaudou et sur les rapports qu’entretiennent les élites politiques avec cette pratique. Interview.
Sortilèges et politique : quand le pouvoir succombe au vaudou
Hommes et femmes politiques, milieux d’affaires, du Bénin à Haïti en passant par la France, les élites politiques et économiques ne résistent pas au pouvoir de cette pratique.
Jeune Afrique : Quels rapports entretiennent les élites politiques avec le vaudou ?
Laënnec Hurbon : Toutes les religions ont des rapports avec le politique, qui varient en fonction de leur importance dans l’organisation de la vie collective. Pendant la période esclavagiste, le vaudou et les cultes afro-américains ont renforcé les captifs dans les luttes contre le système. Plus tard, les gouvernements ont cherché l’appui des croyances du vaudou pour donner des assises durables à leur pouvoir.
Pourquoi la pratique de ce culte reste-t-elle taboue ?
Le vaudou n’a pas toujours été tabou. Il l’est devenu avec le concile Vatican II [1962-1965] pour les catholiques, auprès de qui on prêchait que le vaudou est un ensemble de pratiques de magie et de sorcellerie. Aujourd’hui, le protestantisme dans sa version pentecôtiste a pris le relais et diabolise l’ensemble des divinités du vaudou. Mais les choses changent. Le vaudou sort de la clandestinité et n’est plus soumis à une pénalisation, au fur et mesure de la démocratisation des régimes et de l’implantation de la laïcité dans les pays où il se pratique.
Comment le vaudou s’est-il répandu dans le monde ?
À travers l’esclavage outre-Atlantique. Dès le débarquement aux Amériques, les captifs ont cherché à reconstituer un système culturel et religieux pour retrouver leur dignité humaine et forger de nouveaux liens de solidarité. Presque partout où l’esclavage colonial sévissait, il était interdit aux esclaves de se réunir. Ils prenaient tantôt la fuite vers des lieux inaccessibles aux maîtres – c’est le marronnage -, où ils pouvaient librement reprendre les rituels africains ; ou bien ils détournaient de leur sens les pratiques et croyances du christianisme, qui leur était imposé.
De l’Afrique aux Amériques, le vaudou est-il semblable ?
Non. Le vaudou n’est pas resté identique à ce qu’il était en Afrique, il ne le pouvait pas au regard du contexte esclavagiste et du mélange des ethnies depuis les cales des bateaux négriers. En outre, des influences diverses – le catholicisme, le contact avec les Amérindiens – ont poussé à une réinterprétation et à une sélection des éléments les plus importants en provenance de l’Afrique. On peut parler d’un processus de créolisation conduisant à une véritable création culturelle dont témoigne le vaudou avec sa musique, sa danse, son rituel, sa mythologie. Des formes diverses du vaudou apparaissent selon les types de colonisation – britannique, espagnole, portugaise, française, danoise – auxquels sont soumis les esclaves. Mais les structures de base restent les mêmes, par exemple les croyances en des divinités diverses capables d’intervenir dans les corps des adeptes par la transe et la possession.
Comment expliquer la fascination pour la puissance supposée du vaudou ?
Le vaudou exerce une fascination spécialement chez les Occidentaux, marqués par l’héritage chrétien. Ils semblent se trouver devant une altérité culturelle et ont ainsi l’impression d’une « inquiétante étrangeté », comme dit Freud, quand ils se trouvent confrontés aux pratiques et croyances du vaudou.
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