Kenya : l’heure du retour en grâce ?
Le chef de l’État n’a jamais été aussi confiant : la CPI a renoncé à le poursuivre, et Barack Obama s’apprête à venir lui rendre visite. Courtisé de toutes parts, Kenyatta a l’embarras du choix.
Jamais encore, depuis son arrivée à la Maison Blanche en 2009, Barack Obama ne s’était rendu dans le pays de son père. Sa visite à Nairobi, annoncée pour la fin juillet, est donc un signe qui ne trompe pas : celui qu’Uhuru Kenyatta, qui récemment encore était accusé par la Cour pénale internationale (CPI) d’avoir joué un rôle dans les violences postélectorales de la fin 2007, a de nouveau la cote.
Il n’y a pas si longtemps pourtant, le président kényan n’était pas considéré comme fréquentable. Lorsqu’il est arrivé au pouvoir, en 2013, le gouvernement britannique a même pris soin de préciser qu’il n’aurait avec lui et son vice-président, William Ruto, également mis en accusation par la CPI, que « des contacts essentiels ». Mais tout a changé depuis que la Cour a annoncé l’abandon des poursuites, en décembre dernier (la procureure, Fatou Bensouda, a reconnu manquer de preuves).
Officiellement, Obama vient à Nairobi pour assister au sommet mondial de l’entrepreneuriat, lancé en 2009. Mais les autorités kényanes veulent y voir un signe clair de soutien face notamment à la CPI. Car contrairement au Soudan, dont le président, Omar el-Béchir, met un point d’honneur à ignorer les injonctions de cette cour qui l’accuse de crimes de guerre et de génocide au Darfour, le Kenya a toujours eu à cœur de se défendre et de répondre aux faits qui lui étaient reprochés.
Hostilité des officiels kényans envers les Occidentaux
Jusqu’à décembre dernier, le plus gros problème des diplomates et des hommes d’affaires occidentaux n’était pas de trouver le moyen de composer avec cette règle du « contact essentiel », mais d’avoir accès à des officiels kényans qui ne faisaient pas mystère de leur hostilité. Kenyatta a fait attendre de nouveaux ambassadeurs pendant des mois avant d’accepter de les recevoir, affirmant qu’il se fichait d’avoir l’approbation de « puissances impériales déclinantes ».
« Nous ne sommes plus dans la même situation qu’il y a deux ans, explique Manoah Esipisu, le porte-parole de la présidence. La mauvaise réputation que nous avions à Washington n’était pas fondée. Les États-Unis ne connaissaient pas [le président Kenyatta] et s’étaient fait leur idée sans véritablement savoir à qui ils avaient affaire. Ils ont maintenant la possibilité de connaître son point de vue sur des sujets majeurs, y compris sur le terrorisme. Nous entretenons de très bonnes relations avec eux. Cette visite montre bien cette proximité qui nous unit, en même temps qu’elle est une reconnaissance du rôle de leader continental du Kenya. »
Avant que le contentieux avec la CPI éclate, le Kenya avait l’habitude de se plier aux caprices des Occidentaux, permettant la mise en œuvre de leurs politiques sur cette partie du continent et servant de base pour leurs entreprises et pour leurs ONG. Son territoire héberge aujourd’hui encore plusieurs agences ou opérations de l’ONU. « Soyons francs, reconnaît un diplomate occidental qui a requis l’anonymat. Cela arrange tout le monde que l’affaire ait disparu. » Résultat : après des mois de contacts discrets, les relations avec Kenyatta et son entourage n’ont plus de raisons d’être tues. Elles sont même, du moins en surface, assez chaleureuses. Des délégations commerciales françaises et allemandes se sont d’ailleurs récemment rendues au Kenya.
Le Kenya est l’un des rares pays qui peuvent se prévaloir d’une croissance annuelle de 5 % à 7 %,
« L’aspect commercial de notre relation se porte très bien, reconnaît un diplomate français. En fait, si le volume de nos échanges n’augmente pas davantage, c’est parce que nos entreprises veulent surtout investir localement. Le Kenya est l’un des rares pays qui peuvent se prévaloir d’une croissance annuelle de 5 % à 7 %, et les ressources humaines et le développement de la classe moyenne font qu’il n’est plus nécessaire de s’appuyer sur des expatriés. Quand à l’insécurité, cela n’a jamais empêché une société d’investir. Cela fait partie des risques acceptables. »
Aly-Khan Satchu est analyste financier. Il a vu évoluer les investisseurs américains, traditionnellement plus intéressés par le pétrole et le gaz que par autre chose. Par deux fois, explique-til, le décollage des investissements américains a été retardé. La première fois, c’était à cause des élections bâclées de 2007 et des violences qui ont suivi. La seconde, ce fut à cause de l’attentat commis dans le centre commercial de Westgate, à Nairobi, en septembre 2013. Mais depuis le début de l’année, il a répondu à plusieurs demandes d’informations qui émanaient d’entreprises américaines. « Il n’y a pas une grosse compagnie établie là-bas qui ne songe à venir ici. » Cet intérêt, explique-til encore, a été dopé par l’activisme des Chinois sur le continent parce qu’« en Afrique les Américains sont toujours à la traîne » : « Ils voient maintenant qu’ils peuvent y faire des affaires sans nécessairement y laisser des plumes. »
Funscho Allu, directeur des opérations de la société d’investissement 46 Parallels, ne dit pas autre chose quand il explique que « tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut que le Kenya demeure stable ». « Trop d’argent a été investi ici, continue-til. Et Kenyatta n’a jamais été assimilé à un Amin Dada. »
Il est vrai que Kenyatta a plutôt bonne réputation parmi les diplomates. Le problème, affirment-ils, c’est la bureaucratie, parce qu’elle ne veut pas ou ne peut pas encourager une stratégie trop favorable aux entreprises. « Uhuru est un type bien, confirme un diplomate européen. Il est pragmatique et veut faire des affaires. Mais ici, il y a une énorme différence entre ce que veut le président et ce que fait son administration. » Peu de temps après l’attentat de Westgate, les représentants de plusieurs chancelleries occidentales ont demandé à être reçus par le ministre kényan des Affaires étrangères pour discuter de la manière dont ils pouvaient aider le pays dans la lutte contre le terrorisme. « Depuis septembre 2013, raconte la même source, on nous promet d’être reçus. Nous attendons toujours ! »
Bien sûr, la question est aussi de savoir ce que veut le Kenya. Il ne pourra pas se contenter de se vanter d’avoir tenu en échec la CPI. Des voyages en Russie et en Chine – habilement programmés pendant qu’Obama effectuait sa tournée en Afrique, en 2013 – lui ont permis d’engranger 4,5 milliards de dollars (4 milliards d’euros) en subventions et en prêts, et Uhuru Kenyatta ne s’est pas privé de jouer sur un répertoire très antioccidental. Le pays peut-il pour autant se détourner de l’Europe et des États-Unis, avec lesquels il réalise 20 % de ses échanges commerciaux, pour regarder vers l’océan Indien et vers l’Asie, ou va-til au contraire profiter du ralentissement économique de l’Extrême-Orient pour rappeler aux Occidentaux qu’il peut être un partenaire sécuritaire et commercial privilégié ? À voir. Ce qui est sûr, c’est que c’est la première fois, depuis son indépendance, que le Kenya menace de tracer sa route de manière autonome. « Si Nairobi veut exercer son influence au niveau sous-régional ou international, c’est le moment ou jamais, affirme un spécialiste en politique étrangère basé à Nairobi. Mais pour y parvenir, le Kenya devra avoir des ambitions et un plan. » C’est peut-être de cela, justement, que se parleront les présidents Obama et Kenyatta quand ils se verront.
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