Bruno Koné, au cœur des réseaux ivoiriens

Ex-directeur général de Côte d’Ivoire Télécom, le ministre des TIC veut imposer la fusion de quatre opérateurs. Une mesure qui marquerait les esprits et pourrait ainsi propulser sa carrière politique.

Bruno Koné est le ministre ivoirien des Technologies de l’information et de la communication. © Vincent Fournier/JA

Bruno Koné est le ministre ivoirien des Technologies de l’information et de la communication. © Vincent Fournier/JA

Julien_Clemencot

Publié le 9 juillet 2015 Lecture : 5 minutes.

Au téléphone, le 25 juin, Bruno Koné, ministre ivoirien de la Poste et des TIC et porte-parole du gouvernement, explique calmement son projet de fusion des quatre petits opérateurs dévoilé la veille. « Ce n’est ni une nationalisation ni une prise de contrôle », tient-il à préciser. Après avoir entretenu un certain flou sur sa démarche pendant vingt-quatre heures, l’ex-directeur général de Côte d’Ivoire Télécom, filiale d’Orange, tente de reprendre la main pour rassurer les investisseurs.

Reste que Bruno Koné, 54 ans, essaie bel et bien de passer en force en voulant réunir au sein d’une même société les actifs des opérateurs de télécoms Warid, Café Mobile, Comium et GreenN, alors que tous les actionnaires n’y sont pas forcément favorables. Une démarche surprenante pour un homme qui, avant d’entrer au gouvernement en 2011, a longtemps défendu les intérêts du secteur privé. « Cette décision fait appel au bon sens, affirme-til. Ces compagnies connaissent depuis plusieurs années de graves difficultés financières. Leur dette à l’égard de l’État atteint 91 milliards de F CFA [près de 139 millions d’euros]. Nous pourrions très bien leur retirer purement et simplement leur licence. » Au moment où nous mettions sous presse, le devenir de Warid et de Café Mobile, dont les activités sont à l’arrêt, était d’ailleurs incertain.

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Si le ministre laisse la porte ouverte à une initiative de dernière minute de la part des opérateurs concernés, sa détermination à faire aboutir son plan ne fait guère de doute. « Il a une vision et, contrairement à d’autres, il connaît ses dossiers », estime un avocat habitué des rives de la lagune Ébrié. En fusionnant ces sociétés, Bruno Koné a en effet la possibilité de reconfigurer l’ensemble du secteur des télécoms.

Le marché ivoirien pourrait ainsi passer de sept à quatre licences, et l’ensemble des opérateurs profiter de nouveaux spectres de fréquence, une ressource indispensable au développement de l’internet mobile. Surtout, le niveau de concurrence entre les opérateurs serait revu à la hausse. Plus de 50 % du capital de la nouvelle société créée serait en effet cédé à un groupe important capable de remettre en question la domination d’Orange et de MTN, qui se partagent 83 % du chiffre d’affaires du mobile ivoirien. L’indien Airtel et le nigérian Globacom font figure de candidats potentiels pour cette opération.

« S’il agit ainsi, c’est parce qu’il a la confiance du président Alassane Ouattara. Il n’est pas porte-parole du gouvernement pour rien »

Calme, réfléchi, ce natif du département de Kouto, dans le nord du pays, n’a rien d’un ministre téméraire. « S’il agit ainsi, c’est parce qu’il a la confiance du président Alassane Ouattara. Il n’est pas porte-parole du gouvernement pour rien », juge un ex-cadre dirigeant de l’opérateur Moov. Recruté au départ pour ses qualités de technocrate, Bruno Koné a gagné en épaisseur. Même s’il reste discret, il assume totalement son statut d’homme politique. « Il n’y a qu’à observer la manière dont il gère son image, glisse un observateur. Au début, il avait toujours un petit mot aimable à l’adresse de son prédécesseur, l’actuel ministre de l’Intérieur, Hamed Bakayoko, qu’il côtoie au sein de la Grande Loge maçonnique de Côte d’Ivoire. Même si les deux hommes entretiennent les meilleurs rapports, ce temps est révolu », confirme un fin connaisseur du secteur. Il s’est également émancipé de la tutelle de Laciné Koné, le conseiller spécial du président, avec qui il a pu se sentir en concurrence.

Vote d’un nouveau code des télécoms, d’une loi contre la cybercriminalité, développement de l’e-commerce, déploiement d’un réseau de fibre optique terrestre… En quatre ans, cet ancien de l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC) a largement fait évoluer son secteur et s’est imposé comme le véritable architecte de la politique des TIC en Côte d’Ivoire. Il est aujourd’hui un interlocuteur privilégié d’Alassane Ouattara. Une position encore renforcée par son mariage en secondes noces, en août 2014, avec la nièce – et conseillère en communication – du chef de l’État.

« Avant la 3G, on ne recensait que 250 000 abonnés à internet dans le pays. Aujourd’hui, ils sont plus de 7 millions », insiste-til.

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Sa première décision marquante, Bruno Koné l’a prise dès 2012 en attribuant une licence 3G (haut débit mobile) à Moov, bien que l’opérateur ne satisfasse pas à tous les critères exigés. Furieux, Arthur Aloco, ex-patron de l’Agence des télécommunications de Côte d’Ivoire, le régulateur, avait alors engagé un bras de fer avec le ministre avant d’être démis de ses fonctions. Les allégations de favoritisme avaient fleuri dans la presse. Proche d’Ahmed Cissé, alors directeur général de l’opérateur, qu’il a connu en travaillant comme directeur de filiale au sein du Groupe Atlantique, Bruno Koné est aussi parent avec Koné Dossongui, fondateur de ce conglomérat, auparavant propriétaire de Moov. Aujourd’hui, il réaffirme sa position. « Avant la 3G, on ne recensait que 250 000 abonnés à internet dans le pays. Aujourd’hui, ils sont plus de 7 millions », insiste-t-il.

S’il a des convictions, le ministre est loin de régner en seigneur sur le monde des télécoms ivoiriennes. « On n’a pas affaire à un roi enfermé dans sa tour d’ivoire. Au contraire, il prend facilement des avis avant de trancher », constate un avocat. Au sein du ministère, il forme un tandem efficace avec son directeur de cabinet, André Apété, très à l’aise sur les aspects techniques et commerciaux. Parmi ses fidèles, on trouve aussi Christiane Angaté, qui assure sa communication après l’avoir accompagné lorsqu’il était directeur général adjoint de Côte d’Ivoire Télécom, ainsi que le conseiller technique Serge Koffi.

Bienveillant à l’égard des opérateurs …  il sait aussi les affronter.

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Bienveillant à l’égard des opérateurs – il répète souvent à ses homologues africains qu’il est sain pour eux de gagner de l’argent -, il sait aussi les affronter. L’an dernier, Mamadou Bamba, directeur général d’Orange Côte d’Ivoire, en a fait les frais quand il l’a contraint à faire machine arrière concernant le lancement de la 4G. Ahmed Bakayoko avait même dû intervenir pour apaiser les tensions entre les deux parties.

Renouvellement des licences des opérateurs mobiles, fusion entre Orange Côte d’Ivoire et Côte d’Ivoire Télécom – dont l’État détient 48 % -, développement de la zone franche consacrée aux nouvelles technologies… Bien d’autres dossiers chauds sont sur le bureau de Bruno Koné. Mais dans les prochains mois, la campagne présidentielle devrait capter une grande partie de son énergie. Son ambition personnelle ? Poursuivre son apprentissage politique au côté de son mentor. « Dans mon parcours, j’ai connu peu de déceptions », lâche-til, sûr de lui.

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