États-Unis : la Bush story ? Quel ennui !

Après George Herbert et le calamiteux George Walker, voici Jeb, candidat à la présidentielle de 2016. Dans la famille, la politique est une passion héréditaire. Le big money, aussi.

Georgeet Barbara, avec leur nombreuse descendance, en janvier 2005, àla Maison Blanche. © Wikimedia Commons

Georgeet Barbara, avec leur nombreuse descendance, en janvier 2005, àla Maison Blanche. © Wikimedia Commons

Publié le 8 juillet 2015 Lecture : 7 minutes.

Moins glamour que les Kennedy, la dynastie Bush n’en a pas moins marqué l’histoire américaine. Deux présidents – George Herbert (1989-1993) et George Walker (2001-2009) – sont déjà issus de ses rangs. Il y en aura peut-être un jour un troisième en la personne de John Ellis, alias « Jeb ». L’ancien gouverneur de Floride est en effet candidat à la primaire républicaine pour l’élection présidentielle de 2016. Le secret de l’extraordinaire réussite du clan ? Un sens aigu des affaires.

Millionnaires de père en fils, les Bush, qui, on le verra, sont loin d’être épargnés par le complexe d’Œdipe, savent mieux que quiconque qu’en Amérique la richesse finit toujours par conférer un droit à l’exercice du pouvoir. D’où le troublant mimétisme de leurs parcours respectifs.

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Père de George Herbert et grand-père de « G. W. », Prescott Bush était originaire de l’Ohio. C’est lui qui, le premier, réussit dans les affaires avant de se lancer en politique. Diplômé de Yale (comme son fils et son petit-fils), il devient dans les années 1920 partenaire de la banque d’investissement Brown Brothers Harriman, à Wall Street, grâce à l’appui de son beau-père, George Herbert Walker, un riche banquier d’investissement de Saint Louis, Missouri.

Des années plus tard, les affaires de certains membres du clan feront naître de lourds soupçons, mais dès l’origine, un parfum de soufre entoure celles de Prescott. À en croire le quotidien britannique The Guardian, ses entreprises auraient largement bénéficié du soutien des financiers de l’Allemagne nazie, en particulier l’industriel Fritz Thyssen. Au début des années 2000, deux survivants d’Auschwitz réclamèrent en justice plusieurs millions de dollars à la famille Bush, mais ils furent déboutés. Reste qu’en 1942 les biens du patriarche furent bel et bien saisis au nom de la loi Trading with the Enemy Act.

En 1988, George Herbert Bush touche enfin au Graal : il est élu président des États-Unis.

Bien que riche – il possède une maison à Greenwich et emploie trois bonnes -, Prescott décline en 1946 la proposition qui lui est faite de briguer un mandat à la Chambre des représentants sous la bannière du Parti républicain : il comprend qu’il n’a pas les moyens d’une aussi coûteuse campagne. Au cours des années suivantes, il ne ménage donc pas ses efforts pour accroître son patrimoine, et, en 1952, à l’âge de 57 ans, il est élu au Sénat, où il restera dix ans. George Herbert, son fils, suivra à peu près le même chemin. Avant d’entreprendre une carrière politique, le futur 41e président des États-Unis prendra en effet soin de devenir millionnaire. Dans le secteur pétrolier, en l’occurrence, et grâce, en partie, aux réseaux de son père. Du nord-est des États-Unis, le centre de gravité de la famille Bush bascule vers le Texas, où elle finit par s’installer. De la même façon, il est douteux que, sans les affaires de son père, le terne G. W. ait jamais eu l’occasion de jouer les « commandant en chef » à travers le monde ! Œdipe, quand tu nous tiens…

Plus jeune pilote de l’US Navy pendant la Seconde Guerre mondiale – son avion sera touché par un tir japonais au-dessus du Pacifique -, George Herbert Bush est élu au Congrès en 1966. Il a 42 ans. Battu quatre ans plus tard, il devient tour à tour ambassadeur aux Nations unies, président du Comité national républicain, chef du bureau de liaison des États-Unis en Chine et directeur de la CIA. En 1980, il est candidat à la primaire républicaine, mais perd contre Ronald Reagan. Pas rancunier, ce dernier le nomme vice-président. En 1988, George Herbert Bush touche enfin au Graal : il est élu président des États-Unis. C’est la preuve que le business mène à tout, mais qui en doutait ?

G. W. ne déroge pas à la tradition familiale et se lance à son tour dans le business pétrolier

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Quatre des cinq enfants de George et Barbara Bush (une petite fille, Robin, est morte d’une leucémie à l’âge de 4 ans) sont des businessmen avisés. Pour le meilleur et pour le pire. Si Marvin, le cadet, est un banquier d’investissement discret et réputé, on ne saurait en dire autant de Neil, son aîné d’un an. Atteint de dyslexie, celui-ci eut, dans les années 1980, quelques ennuis avec la justice en raison de son rôle dans la douteuse faillite de la banque Silverado Savings and Loan. Dans la biographie de son père, qu’il a publiée en 2014, G. W. raconte que celui-ci avait, en 1991-1992, songé à ne pas se représenter en raison des problèmes de Neil, et que c’est lui, G. W., qui l’avait convaincu que le pays avait encore besoin de lui – ce qui ne l’empêcha pas d’être sèchement battu par Bill Clinton.

G. W. ne déroge pas à la tradition familiale et, dans les années 1980, se lance à son tour dans le business pétrolier, avec le seul nom de Bush en guise de CV. Problème : il est beaucoup moins brillant que son père et devra attendre d’avoir racheté l’équipe de base-ball des Texas Rangers, en 1989, pour faire fortune. Quant à Jeb, il travaillera un temps pour la chambre de commerce du Texas à Caracas, avant de faire lui aussi fortune en Floride dans des affaires, immobilières notamment, pas toujours, semble-t-il, d’une très grande clarté. Ses liens avec une compagnie qui vendait des pompes à eau au Nigeria ont par exemple éveillé la suspicion, sans que rien puisse lui être reproché. Doro, la petite dernière, est philanthrope de son état. Elle est la seule à avoir échappé à l’étrange fièvre affairiste qui s’est emparée du clan.

L’intention de G. W. de laver l’honneur de son père, l’un des rares présidents américains à n’avoir pas été réélu

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Dans le New Yorker, Doug Wead, qui fut tour à tour le conseiller des deux présidents, explique que la première question que se pose un membre du clan au moment d’entrer dans la vie active est la suivante : « Est-ce que je peux gagner 1 million de dollars ? » Selon Peter et Rochelle Schweizer, auteurs de The Bushes (2005), c’est George Herbert qui réussit à dissuader Jeb de se lancer en politique avant d’avoir amassé suffisamment d’argent.

En 1992, c’est le grand tournant. Bush père perd la Maison Blanche et passe la main à la jeune génération. Tels Caïn et Abel, G. W. et Jeb se lancent en politique et briguent en même temps un poste de gouverneur : du Texas, pour le premier, de Floride, pour le second (dont la fortune est alors estimée à 2 millions de dollars). G. W. ne fait pas vraiment mystère de son intention de laver l’honneur de son père, l’un des rares présidents américains à n’avoir pas été réélu. Il est pourtant le mouton noir de la famille, sans grand talent et très porté sur la boisson – en 1976, il avait été arrêté pour conduite en état d’ivresse. Le choix du patriarche est donc vite fait : Jeb, beaucoup plus cérébral, est son préféré, son héritier naturel. Du coup, il fera campagne beaucoup plus souvent en Floride qu’au Texas.

Jeb joue la carte du conservatisme pur et dur ; G. W., celle du conservatisme « compassionnel », formule qu’il commence à tester et qui deviendra sa marque de fabrique. Et c’est la surprise : Jeb perd contre le sortant démocrate, tandis que G. W., qui a arrêté de boire au lendemain de ses 40 ans suite à un ultimatum de Laura, sa femme, l’emporte. La famille peine à cacher sa déception, et G. W. en souffre. À Nancy, sa tante, il confie amèrement : « J’ai l’impression que papa a seulement entendu dire que Jeb avait perdu, et non que j’ai gagné. » Jeb finira par être élu (en 1998), puis réélu gouverneur de Floride. Mais les deux frères ne s’adresseront plus la parole pendant un an et demi. C’est l’épisode très controversé du décompte des bulletins de vote en Floride lors de la présidentielle de 2000 qui scellera leur réconciliation.

Mais l’ombre du père continue de planer. G. W., qui – faut-il dire, hélas ? – s’est mis à la peinture, a tout fait pour que la biographie de son père – qui s’apparente davantage à un panégyrique – sorte du vivant de celui-ci – George Herbert souffre d’une forme de maladie de Parkinson. Il ne cesse de répéter qu’il n’a pas envahi l’Irak pour finir ce qu’avait entrepris le père lors de la guerre du Koweït. Dans le même temps, nombre de commentateurs estiment que si Jeb veut à toute force devenir président, c’est avant tout pour répondre aux attentes démesurées placées en lui par son géniteur. Quitte à passer outre aux vœux de Barbara Bush, la nouvelle chef du clan, qui, dans un premier temps, avait estimé, avant de se raviser, que deux Bush présidents, c’est décidément suffisant. Jeb avait répondu qu’il écoutait toujours sa mère, mais s’abstenait parfois de suivre ses avis.

S’il dispose des avantages que lui procurent ses accointances familiales – il est de loin le candidat républicain disposant des appuis financiers les plus importants -, Jeb pâtit de la lassitude qu’inspire aux Américains l’interminable « Bush story ». D’autant que George Prescott, le fils qu’il a eu avec Columba, son épouse mexicaine, a été élu en novembre 2014 commissaire des terres au Texas. Son premier métier ? Businessman. Bien entendu.

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