Disparition : la dernière pirouette de Charles Pasqua
Avec sa disparition le 29 juin, c’est une page de l’histoire franco-africaine qui se tourne. Charles Pasqua emporte avec lui nombre de secrets de la Ve République.
Il fut la figure de proue de ce que l’on a appelé, un temps, la « Corsafrique », et en était l’un de ses derniers vestiges. Charles Pasqua s’est éteint à l’âge de 88 ans, le 29 juin, dans son fief politique des Hauts-de-Seine, des suites d’un problème cardiaque. Avec sa disparition, c’est un monceau de secrets qui s’envole (en attendant ses Mémoires, auxquels il travaillait), mais c’est aussi une page de l’histoire franco-africaine qui se tourne.
La Corse, il l’avait dans le sang, bien qu’il soit né à Grasse, en Provence – là même où son corps reposera pour l’éternité. Son grand-père était berger, son père policier, lui sera tour à tour résistant, représentant en commerce, professionnel de la politique… et gaulliste, toujours. L’Afrique, en revanche, il ne l’a découverte que sur le tard.
Putsch
Pasqua commence à s’y intéresser dans les années 1980. En fin connaisseur de la Ve République, en homme ambitieux aussi (on lui prête des rêves élyséens), il comprend vite l’intérêt de se constituer un réseau sur le continent. Peser là-bas pour s’imposer ici… Les choses lui sont facilitées : les Corses y sont déjà nombreux et influents.
Pasqua veut prendre la suite de Jacques Foccart, secrétaire général de l’Élysée aux affaires africaines et malgaches, qui a perdu de son influence avec l’arrivée au pouvoir de Valéry Giscard d’Estaing en 1974. Mais il ne pourra pas compter sur son aide. Tous deux fondateurs du Service d’action civique (SAC), la police parallèle des gaullistes, ils se connaissent depuis longtemps mais ne s’apprécient guère. En 1968, Pasqua a, avec d’autres jeunes loups, tenté un putsch au sein de la milice. Foccart conseillera à Jacques Chirac de se méfier de son lieutenant corse, un homme « actif et efficace » mais trop ambitieux à son goût. « En Afrique, Foccart voulait défendre les intérêts de la France, Pasqua voulait faire des affaires. Pas pour son propre bénéfice, mais pour ses amis », persifle un ancien protégé de Foccart.
Il est vrai que le « système Pasqua » est un curieux mélange des genres : il implique des multinationales, des banques, des chefs d’État africains, des truands et quelques-uns des plus célèbres « Corsafricains ». Pasqua en Afrique, c’est l’affaire Elf, la « pompe à fric » (« pompe Afrique ») des partis français, où il comptait de bons amis, et qui restera comme l’un des plus grands scandales de la Ve République. C’est l’Angolagate, une affaire de vente d’armes pour laquelle il a finalement été relaxé. C’est aussi le scandale du casino d’Annemasse, qui illustre ses liens avec les empereurs des jeux en Afrique centrale, Michel Tomi et Robert Feliciaggi.
C’est surtout des relations étroites avec certains chefs d’État : Gnassingbé Eyadéma, Denis Sassou Nguesso, Omar Bongo Ondimba, Paul Biya… Il les reçoit à Paris quand ils sont de passage. Leur transmet des informations sur les opposants en exil lorsqu’il dirige le ministère de l’Intérieur. Leur fait beaucoup de « cadeaux » : par le biais de Coopération 92, une excroissance du Conseil général des Hauts-de-Seine (dont Pasqua est le maître), il finance des projets de développement et des fondations de premières dames, en Afrique francophone essentiellement. Ce n’est jamais totalement fortuit. Les mauvaises langues disent que « Coop 92 » a servi à verser des rétrocommissions et à financer le mouvement gaulliste en France. « Rumeurs infondées », rétorquent les proches de l’intéressé.
Bon ami
Au firmament de son influence, le Gabon est sa destination préférée. Il y a imposé « son » ambassadeur en 1986, Louis Dominici (un Corse, encore), et il est reçu comme un bon ami chez les Bongo. Mais on le voit aussi au Togo ou à São Tomé-et-Príncipe, où il fait un jour de 1992 une étrange proposition au président Miguel Trovoada : transformer une partie de l’archipel en zone franche financière. Ce projet ne verra jamais le jour, en dépit de l’implication de son fils unique, Pierre-Philippe.
Ce dernier était un pion essentiel du « système Pasqua » en Afrique. Sa mort des suites d’un cancer, le 11 février, a terrassé son père. Tous deux s’étaient éloignés du continent ces dernières années. « Le dernier réseau d’amitié, d’entraide et de confiance » entre Paris et l’Afrique, tel que le définit un jour Louis Dominici, n’était plus qu’un vieux souvenir depuis longtemps. Aucun Africain n’a assisté à ses obsèques en la cathédrale Saint-Louis des Invalides, à Paris, le 3 juillet.
J.A.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles