Burundi : jusqu’où ira Nkurunziza ?
Au risque d’embraser le pays, Pierre Nkurunziza, le chef de l’État burundais, réprime l’opposition et impose son calendrier électoral, les yeux rivés sur un seul objectif : obtenir un troisième mandat le 15 juillet. Analyse.
Rien n’aura eu raison de l’obstination de Pierre Nkurunziza. Malgré le boycott de l’ensemble des partis d’opposition, la réprobation de la communauté internationale et les nouvelles défections au sommet de l’État et du parti au pouvoir, le président burundais a maintenu son calendrier en organisant, le 29 juin, des scrutins législatifs et communaux. « Cette parodie d’élection », pour reprendre la formule de la société civile, constitue la première étape d’un processus censé lui permettre d’obtenir un troisième mandat lors de la présidentielle du 15 juillet – en violation de la Constitution, selon ses adversaires. Surtout, ces scrutins se sont déroulés après plus de deux mois de contestation. Violemment réprimée, celle-ci avait culminé le 13 mai, lors d’un coup d’État manqué fomenté par une fraction de l’armée.
Depuis, la tension n’a pas baissé. Quelques jours seulement avant le début du scrutin, trois nouveaux morts se sont ajoutés aux 70 victimes déjà recensées depuis le début de la crise, et plusieurs bureaux de vote sont partis en fumée dans le Nord. Plus de 10 000 Burundais ont fui ce climat de terreur pendant le week-end qui a précédé le vote. Depuis avril, près de 145 000 personnes ont quitté le pays, essentiellement en direction de la Tanzanie et du Rwanda. « Des crépitements d’armes automatiques se faisaient encore entendre dans la capitale à l’ouverture des premiers bureaux de vote », témoigne un membre de la Menub (Mission d’observation électorale des Nations unies au Burundi), seul organisme international à avoir suivi sur place le déroulement du scrutin. C’est donc avec la peur au ventre que les Burundais se sont rendus aux urnes. Rues désertes, magasins fermés… Bujumbura avait des airs de ville fantôme.
Le camp présidentiel se déclare « satisfait » du déroulement d’un scrutin dont les résultats ne font guère de doute.
La mobilisation des 3,8 millions d’électeurs inscrits semble avoir été toute relative, surtout dans les quartiers contestataires de la capitale. « À Musaga, Nyakabiga, Ngagara et Cibitoke, les taux de participation sont restés très faibles après que l’opposition eut appelé au boycott », confirme un agent de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), qui, à l’heure où nous mettions sous presse, n’avait donné aucun chiffre officiel tout en évoquant une participation « supérieure à 90 % ». Le Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD) a fait le plein des voix dans ses fiefs de la capitale ainsi que dans les campagnes, où les Imbonerakure, la milice constituée de la jeunesse du parti, n’ont pas hésité à intimider les plus récalcitrants, comme la Menub a pu le constater. Suffisant pour que le camp présidentiel se déclare « satisfait » du déroulement d’un scrutin dont les résultats ne font guère de doute.
Faute d’avoir pu retirer à temps ses bulletins de vote, l’opposition a participé à son insu à ces élections et aurait même pu se retrouver avec quelques élus si ses différentes coalitions ne s’étaient empressées de publier une déclaration commune affirmant qu’elles refuseraient de siéger au futur Parlement.
Tout le monde s’attend donc à un raz-de-marée du CNDD-FDD, qui devrait donner les coudées franches au président. « Le parti n’a pas choisi les plus qualifiés pour figurer sur les listes électorales, mais les plus obéissants », assure un frondeur du CNDD-FDD. « Le chef de l’État disposera alors de la majorité des quatre cinquièmes nécessaire pour modifier la Constitution et mettre en cause les acquis des accords d’Arusha », s’inquiète déjà un membre de l’alliance ADC-Ikibiri.
Le putsch manqué du 13 mai lui a permis de prouver au monde entier qu’il est toujours maître chez lui
Comme déjà sûr de son fait, Pierre Nkurunziza est apparu très serein lors des célébrations du 53e anniversaire de l’indépendance, le 1er juillet, même si c’est derrière une vitre pare-balles qu’il s’est adressé à la foule clairsemée qui garnissait les travées du stade Prince-Louis-Rwagasore de Bujumbura. Prenant de la hauteur pour resserrer les rangs autour de sa personne, le président a remercié ses troupes d’élite pour leur fidélité et a rendu hommage aux huit soldats tués le 26 juin dans le cadre de leur mission de maintien de la paix en Somalie. Un rôle dans lequel il excelle. Son aisance est d’autant plus grande que le putsch manqué du 13 mai lui a permis de prouver au monde entier qu’il est toujours maître chez lui et de tenir la dragée haute à une médiation internationale incapable d’imposer son propre calendrier et de renouer les fils du dialogue interburundais.
« Il faut vite reprendre les discussions, mais dans quel état d’esprit le pouvoir reviendra-t-il à la table des négociations ? » s’interroge Frédéric Bamvuginyumvira, le vice-président du Front pour la démocratie du Burundi (Frodebu). Les récents événements démontrent que le gouvernement ne compte pas baisser la garde. Plusieurs cadres du Front national de libération (FNL), le parti du principal opposant, Agathon Rwasa, ont été emprisonnés la semaine dernière ; le 1er juillet, six personnes ont été abattues lors d’une opération policière dans la commune de Cibitoke, au nord de la capitale. « Le pays est au bord de l’explosion », confirme un représentant de la société civile. À quelques jours de la présidentielle, de nombreux observateurs redoutent un scénario catastrophe.
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