Sociétés minières australiennes en Afrique : loin de Sydney, tout est permis ?

Très actives en Afrique, les sociétés australiennes semblent peu s’y préoccuper des questions sociales et environnementales, selon l’enquête d’un consortium de journalistes publiée en juillet.

Proche des lobbys miniers, le Premier ministre libéral australien, Tony Abbott, devra-t-il revoir sa copie réglementaire ? © Lukas Coch/AP/SIPA

Proche des lobbys miniers, le Premier ministre libéral australien, Tony Abbott, devra-t-il revoir sa copie réglementaire ? © Lukas Coch/AP/SIPA

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 16 juillet 2015 Lecture : 5 minutes.

L ‘ activité des compagnies minières australiennes en Afrique a été peu étudiée jusqu’à présent. Le Consortium international des journalistes d’investigation (Icij), avec qui Jeune Afrique a collaboré, a publié le 10 juillet un rapport consacré à leur impact social et environnemental sur les nombreux sites africains où ils interviennent.

Le document montre que les « kangourous miniers » ont pris une place prépondérante sur le continent depuis une dizaine d’années. Fin décembre 2014, plus de 150 sociétés cotées à la Bourse australienne disposaient de permis dans 33 pays africains. Les organisateurs de la conférence Africa Down Under, consacrée au continent, qui rassemble chaque année les dirigeants du secteur à Perth, la capitale minière australienne, estiment à 400 le nombre de sociétés basées dans le pays et actives sur le continent. Elles représenteraient conjointement plus de 35 milliards de dollars (31,7 milliards d’euros) d’investissement dans 42 pays depuis qu’elles y sont implantées.

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L’offensive australienne est massive : rien qu’au Burkina Faso, le nombre de permis d’exploration détenus par les Australiens est passé de 14 en 2000 à… 260 en 2009. L’Australian Securities Exchange (ASX), qui dispose de bureaux à Perth, à Sydney et à Melbourne, a largement profité de cet enthousiasme.

Depuis 2004, 60 % des compagnies actives sur le continent se sont cotées sur la place financière, et ce même si leur siège opérationnel n’y est pas basé. En raison de la chute des cours de nombreux minerais depuis 2013, la conjoncture n’est pas florissante à l’heure actuelle. Pourtant, l’engouement perdure. Aucun territoire n’est oublié. En sus du Burkina Faso, les destinations les plus appréciées des « Wallabies » sont la Tanzanie (366 permis d’exploration), l’Afrique du Sud (292), mais aussi le Maroc (29), le Sénégal (15) et l’Algérie (1). Dans le même temps, l’aide publique australienne au développement du continent a été multipliée par cinq entre 2007 et 2012.

Lourd bilan

Le bilan dressé par l’Icij sur l’empreinte minière australienne est lourd. D’un bout à l’autre du continent, le groupe de journalistes a recensé les actions en justice à l’encontre de ces compagnies menées par des élus et des responsables locaux, des ONG et des agences gouvernementales.

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Selon l’organisation, 387 décès – sur le lieu de travail ou à proximité – peuvent être imputés à leur activité minière depuis 2004. Cela représente près de quatre fois le chiffre enregistré pour l’Australie sur la même période (107 morts), alors que le secteur minier y représente 20 % de la capitalisation boursière du pays, 35 % des exportations, 5,6 % du PIB et 2,2 % des emplois.

Les activités des sociétés australiennes à l’étranger échappent aux autorités de régulation, à la différence de leurs consœurs occidentales.

Si l’Icij reconnaît une grande disparité des comportements selon les sociétés australiennes, il pointe des exactions saillantes, souvent du fait d’entreprises de petite taille (les « juniors ») ou de taille moyenne. En RD Congo, le consortium de journalistes rappelle l’appui matériel fourni par l’australo-canadien Anvil, détenteur de la mine de cuivre de Dikulushi, à une faction de l’armée congolaise en octobre 2004.

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Utilisant des camions, des Jeeps et même des avions de la compagnie minière, les militaires ont commis des exactions entraînant la mort de 73 personnes dans le district de Kilwa, près du lac Moero, au Katanga. L’Icij dénonce aussi l’utilisation inadéquate de produits dangereux ayant causé un incendie et la mort de deux personnes dans la mine d’uranium malawite de Kayelekera, gérée par Paladin Energy, basé à Perth.

L’organisation souligne par ailleurs l’insuffisance des équipements et des règles de sécurité sur les sites d’Aquarius Platinum, où, selon elle, 22 sous-traitants et employés sont morts entre 2004 et 2014 en Afrique du Sud et au Zimbabwe.

Plusieurs groupes miniers australiens ont été critiqués pour la conduite de leurs opérations en Afrique. © DR

Plusieurs groupes miniers australiens ont été critiqués pour la conduite de leurs opérations en Afrique. © DR

Accident mortel

D’après l’Icij, l’engouement des Australiens pour l’Afrique s’explique en partie par le fait qu’ils peuvent s’y affranchir des standards sociaux – niveau de salaire, mutuelles et assurances – et des normes de sécurité très strictes en vigueur dans leur pays d’origine (grâce notamment à des syndicats puissants).

Quand un accident mortel survient dans une mine australienne, les enquêtes prennent des mois, des centaines d’interviews sont menées par des policiers et des experts, ainsi que l’ont montré les catastrophes de Moura au Queensland en 1994 et de Beaconsfield en Tasmanie en 2006. En comparaison, l’enquête diligentée sur le site malawite de Paladin Energy après un accident mortel paraît dérisoire.

Régulation

Les activités des sociétés australiennes à l’étranger échappent aux autorités boursières ou de régulation, à la différence de leurs consœurs occidentales.

La loi Dodd-Frank aux États-Unis, l’acte anticorruption en Grande-Bretagne, ou la nouvelle directive européenne sur la transparence obligent les entreprises qui y sont cotées à communiquer des informations sur leurs revenus extractifs à l’étranger, voire à s’expliquer sur la manière dont elles ont obtenu leurs titres miniers en dehors du territoire national.

A contrario, les sociétés inscrites à la Bourse australienne ne sont pas obligées de transmettre à leurs actionnaires et au public ce type d’informations. L’Icij montre ainsi que la mort, en 2012, de deux personnes tuées par les forces de l’ordre lors d’une manifestation de villageois hostiles au projet minier de Syama de l’australien Resolute Mining n’a jamais été mentionnée à l’autorité boursière ni rendue publique. Plus discrets, jugés « politiquement neutres », les « kangourous miniers » sont aussi moins souvent critiqués par les médias, les ONG et les syndicats, plus prompts à viser les compagnies chinoises ou indiennes.

Lobby

En juin 2005, la commission parlementaire australienne sur les entreprises et les services financiers, qui avait lancé une consultation pour faire évoluer la réglementation du pays, s’est finalement rangée du côté du puissant lobby minier du pays.

Aujourd’hui comme hier, c’est volontairement que les compagnies australiennes transmettent des informations sur leurs activités à l’étranger. Si certains groupes ont fait des progrès en matière environnementale et sociale, notamment les plus grands, il reste encore des moutons noirs pour qui la nature libérale de la réglementation australienne est pain bénit. « L’Australie continue à laisser ses miniers juger seuls de ce qu’ils doivent mettre dans leurs rapports. Or nous savons que cela ne fonctionne pas ! » s’offusque Justine Nolan, professeur de droit à l’Université de la Nouvelle-Galles du Sud, interrogée par l’Icij, qui milite pour un changement.

Si les mauvais comportements de certains miniers australiens perdurent et sont mis au jour, le sujet reviendra sur la table du gouvernement du Premier ministre libéral, Tony Abbott – proche des miniers -, et de sa majorité au Parlement de Canberra.

Retrouvez en ligne une version complète de la cartographie des opérations des groupes miniers en Afrique réalisée par l’ICIJ.

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