Alexandre Bella Ola invite l’Afrique dans les assiettes françaises

Après avoir ouvert son établissement en banlieue parisienne, ce chef camerounais envisage aujourd’hui de créer une chaîne de restauration rapide.

À Noël, toute la famille met la main à la pâte. © SANDRA ROCHA pour J.A.

À Noël, toute la famille met la main à la pâte. © SANDRA ROCHA pour J.A.

leo_pajon

Publié le 15 juillet 2015 Lecture : 4 minutes.

Au Rio Dos Camaros, le restaurant d’Alexandre Bella Ola, en banlieue parisienne, la terrasse, envahie par les plantes vertes, a des airs de maquis. En guise de mise en bouche, le chef pose sur la table un jus de bissap et quelques cacahuètes aromatisées. Il voudrait enchaîner sur un vin d’Afrique du Sud, mais il n’en a plus… Un sancerre blanc fera l’affaire. Grand, affable, calotte de cuistot vissée sur le crâne même après le service, Bella Ola a conquis cœurs et estomacs en mêlant le meilleur des gastronomies africaine et occidentale.

Ici, l’assiette se métisse. Certes, le menu de celui que la presse a surnommé « le pape de la cuisine panafricaine » propose les classiques du Cameroun, son pays natal (le ndolé et le poulet DG), du Sénégal (le tiep bou dien et le yassa), de la Côte d’Ivoire (l’attiéké) ou du Mali (le mafé). Mais le midi, les gourmands testent des plats hybrides comme la souris d’agneau… sauce saka-saka.

Les hommes noirs ne cuisinent pas, ou alors pour des occasions spéciales…

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« Mon père, Théodore, était surnommé le Blanc au Cameroun, simplement parce qu’il adorait cuisiner, se souvient Alexandre, qui salive en se remémorant la crème anglaise du paternel. Les hommes noirs ne cuisinent pas, ou alors pour des occasions spéciales, comme des rituels de guérison mais, lorsque en plus ils font des desserts européens ou qu’ils font pousser de la salade, « juste bonne pour les chèvres », ce sont carrément des marginaux!»

D’aussi loin qu’il se souvienne, la gastronomie a toujours alléché Alexandre. Né en 1959, il grandit à Yaoundé dans un camp militaire cosmopolite. Contrairement à ses quatre frères, il aime fureter chez ses voisins pour expérimenter de nouveaux goûts. Il découvre ravi les mille et une manières d’accommoder le mil ou le foufou, une pâte de farine de manioc ou de maïs servie au Congo.

Faire carrière en cuisine ? « L’idée ne m’a même pas effleuré », raconte celui qui, avant de faire chauffer les marmites, a longtemps brûlé les planches. Comédien, étoile montante du Théâtre national du Cameroun, il se voit proposer à 23 ans un stage de marionnettiste à Nantes. Dès son arrivée dans l’Hexagone, il apprend les subtilités du repas à la française. « J’étais invité chez la mère du metteur en scène qui m’accueillait. Pendant onze heures, on m’a servi des montagnes de grillades, d’œufs et de lardons. La maman remplissait mon assiette en disant :  » Il ne faut pas qu’il crève de faim quand même! » Je ne sais pas comment j’ai fait pour survivre.»

Je me suis dit qu’investir dans un restaurant était un placement facile à rentabiliser

Élève du Conservatoire national d’art dramatique de Paris, puis animateur socioculturel, il se décide à ouvrir son établissement en 1995. « J’avais gagné de l’argent en enregistrant des voix pour le dessin animé Kimboo, j’aimais bien préparer des petits plats à la maison, je me suis dit qu’investir dans un restaurant était un placement facile à rentabiliser. » Il va rapidement déchanter. Lors de l’inauguration, le cuisinier recruté reste introuvable. Alexandre doit le remplacer au pied levé. « Il y avait des bananes flambées au menu, je n’en avais jamais préparé de ma vie, j’ai laissé tomber… C’était le chaos, j’en ai pleuré. » Le lendemain, il engage des cuisinières africaines. Coup de maître : pendant six mois, le Rio dos Camaraos affiche complet.

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Mais, passé ce prélude enchanté, la fréquentation décline. Un client lui glisse : « Tu sais, on adore ton resto, mais on ne peut pas manger du yassa tous les jours. » Le patron licencie son personnel et retourne aux casseroles. Puis un incendie condamne sa cuisine. Le sinistre lui permet de prendre du recul. De saisir pourquoi il est si compliqué d’« enjailler » les papilles à l’africaine.

« Comment expliquer qu’on peut manger chinois à chaque coin de rue à Paris, mais qu’il est quasi impossible de trouver un bon mafé ? questionne le chef qui, après avoir consacré trois ouvrages à la gastronomie africaine, réfléchit à un essai sur la question. J’ai compris que notre cuisine était rustique, créée pour satisfaire des besoins immédiats, qu’elle ne cherchait pas à s’adapter au contexte socioculturel. » À partir de cette réflexion, Alexandre Bella Ola décide de travailler à « l’intégration » de la cuisine africaine. « Ce qui ne veut pas dire assimilation, je veux qu’on continue de me dire que ce que je fais est aussi bon qu’au pays. mais pour le ndolé, il est possible de diviser par deux la proportion d’arachide pour créer un plat plus léger et fidèle au goût d’origine ».

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Chroniqueur télé, formateur, pygmalion de jeunes cuistots, le chef camerounais ne se repose pas sur ses marmites. Il veut lancer d’ici à 2017 les Mets-tissés, minichaîne de restauration rapide africaine s’appuyant sur un escadron de food trucks. « Je ferai tout pour faire exister cette Afrique du goût », dit-il en finissant son verre de sancerre.

Rio dos Camaraos, 55 rue Marceau, 93100 Montreuil. Tél. : 01 42 87 34 84www.riodos.fr

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