Côte d’Ivoire : la présidentielle en point de mire

Le président sortant, Alassane Ouattara, espère l’emporter au premier tour le 25 octobre. Mais c’est compter sans les ambitions de Charles Konan Banny (PDCI) et de Pascal Affi N’Guessan (FPI), qui fourbissent leurs armes malgré les divisions de leurs partis respectifs.

Le chef de l’État sortant au stade Félix-Houphouët-Boigny, à Abidjan, le 25 avril, lors de son investiture comme candidat du RHDP. © Sia Kambou/AFP

Le chef de l’État sortant au stade Félix-Houphouët-Boigny, à Abidjan, le 25 avril, lors de son investiture comme candidat du RHDP. © Sia Kambou/AFP

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Publié le 15 juillet 2015 Lecture : 7 minutes.

Alassane Ouattara en mai 2011. © Franck Castel/Wostok Press
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Côte d’Ivoire : 2011-2015, le vrai bilan

Cinq ans après le scrutin de 2010, les Ivoiriens s’apprêtent à retourner aux urnes pour élire leur président. Le point sur les réalisations d’Alassane Ouattara, qui brigue un nouveau mandat… et sur les défis qui attendent un pays en voie d’apaisement.

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À moins de quatre mois d’une élection présidentielle censée tourner définitivement la page de la crise de 2010-2011, une étrange atmosphère règne à Abidjan. Alors que la date du scrutin, prévu le 25 octobre, approche à grands pas, la ferveur est loin de celle qu’a pu connaître la Côte d’Ivoire en d’autres périodes préélectorales.

Les Ivoiriens considèrent-ils que les jeux sont déjà faits ? Qu’avec le soutien d’Henri Konan Bédié et de la machine du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) le président Alassane Dramane Ouattara sera réélu sans difficulté, et même dès le premier tour ? Que ses opposants ne font pas le poids, qu’ils sont trop divisés et faibles pour constituer une menace réelle ? Si la majorité présidentielle se laisse déjà enivrer par le parfum de la victoire, le chef de l’État reste prudent. Il a remis le bleu de chauffe du candidat, et cela se voit.

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Nous sommes au mois de mai, à Abidjan. Malgré les grosses chaleurs, le gouvernement, au grand complet sur le tapis rouge du palais présidentiel, presse le pas. Après le sommet de la Cedeao du 19 mai, le patron s’apprête à prendre la direction du Nord, vers ses fiefs du Kabadougou et du Folon, pour une tournée de plusieurs jours. L’événement est assez important pour que l’ensemble de l’exécutif soit mobilisé et le Conseil des ministres délocalisé à Odienné, la préfecture du Kabadougou, première étape d’une visite d’État qui mènera Ouattara à Gbéléban, à la frontière avec la Guinée, pour inaugurer le 23 mai avec le président Alpha Condé le pont de la Fraternité Famoussa-Mory Woulé.

Un président en campagne

Il y a trois ans, Ouattara avait promis de se rendre dans toutes les régions du pays avant la fin de son mandat. Et il le fait. « Le calendrier était un peu serré, alors nous avions pensé reporter des visites au second mandat, mais il a refusé », confie l’un de ses proches. À chaque fois, la stratégie est la même. Avant l’arrivée du président, des édifices publics sont rénovés, réhabilités. Dans le même temps, ses équipes sont envoyées pour mobiliser et sensibiliser la population.

Le 25 avril, l’investiture en grande pompe au stade d’Abidjan, devant plusieurs dizaines de milliers de sympathisants du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP, la coalition présidentielle), a donné le ton. L’objectif est simple : gagner au premier tour avec un fort taux de participation. C’est pour cela que le président fait campagne sans relâche dans les zones qui lui sont le moins favorables : la région de la Mé, à l’ouest, et Abidjan. Le 18 mai, il a ainsi reçu le soutien des Atchans (le peuple autochtone de la métropole ivoirienne, sous-groupe des Akans), traditionnellement acquis à Laurent Gbagbo. « Nous n’allons pas à l’élection contre un adversaire mais pour faire le bilan du premier mandat avec les Ivoiriens et préparer les cinq années à venir, assure-t-on dans l’entourage du chef de l’État. Ce scrutin doit être une rencontre entre le président et le peuple. »

La CNC, coalition de treize partis, compte plusieurs présidentiables

Pendant des mois, l’identité de ses adversaires d’octobre est restée un mystère. On a même craint à un moment que Ouattara se présente seul devant les électeurs. Mais les crises qui ont frappé le Front populaire ivoirien (FPI, opposition) et le PDCI ont décanté la situation, même si rien n’est encore figé. Reconnu président légitime du FPI par la justice ivoirienne, Pascal Affi N’Guessan sera le candidat de ce parti malgré l’opposition de toute une fraction fidèle à l’ancien président Laurent Gbagbo. Au sein du PDCI, l’appel de Daoukro de septembre 2014, par lequel son président, Henri Konan Bédié, a demandé au parti de soutenir Ouattara, n’a pas toujours été bien reçu. Et ceux qui rêvaient d’en porter les couleurs se sont finalement émancipés : Jérôme Kablan Brou, Kouadio Konan Bertin et Charles Konan Banny ont rejoint Mamadou Koulibaly, l’ancien président de l’Assemblée nationale, et les frondeurs du FPI au sein de la Coalition nationale pour le changement (CNC).

Charles Konan Banny parviendra-t-il à rassembler ?

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Cette coalition de treize partis compte plusieurs présidentiables. Se rassembleront-ils le moment venu derrière un seul homme ? Charles Konan Banny estime que ce rôle ne peut pas lui échapper. L’ambitieux, doté d’un impressionnant réseau constitué tout au long de sa carrière, est sans doute le seul à véritablement pouvoir prétendre à la magistrature suprême. Le 15 mai, lors de la signature officielle de la charte du CNC, l’organisation lui avait réservé un traitement de faveur. L’ancien gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) est entré dans la salle de l’hôtel Belle Côte d’Abidjan une dizaine de secondes après le reste des troupes. Dans la salle, des pancartes « Banny président » avaient été préparées. Mais au moment où se présentent les personnalités, c’est Abou Drahamane Sangaré, le chef de file des frondeurs du FPI, qui est le plus longuement acclamé ; puis le nom de Laurent Gbagbo, dont Banny a été Premier ministre entre 2005 et 2007, est scandé pendant plusieurs secondes.

Mais que pèse vraiment Konan Banny sur l’échiquier politique ivoirien ? Ses partisans rappellent que, en tant que directeur de campagne de Ouattara dans le centre du pays lors du second tour en 2010, c’est lui qui a fait obtenir au président un très bon score. Ils sont persuadés que la grande majorité des électeurs du PDCI n’adhère pas à l’appel de Daoukro. Que les déçus se reporteront sur lui et qu’il pourra piocher dans l’abondant vivier du peuple baoulé.

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Les sceptiques préfèrent rappeler qu’il n’est que le petit frère de Jean Konan Banny, l’ancien ministre de la Défense d’Houphouët-Boigny. Et que la machine du PDCI est suffisamment bien huilée pour avoir digéré le message de Bédié, oubliant son opposant – comme semble le confirmer la récente décision de certains chefs traditionnels du canton Akouè de Yamoussoukro de rester fidèles à Alassane Ouattara.

Les ambitions d’Affi N’Guessan

Le rêve de Konan Banny sera d’autant plus difficile à réaliser qu’il est peu probable que la tendance pro-Gbagbo du FPI appelle à voter pour lui. « Notre candidat sera l’abstention, annonce un cadre de cette mouvance. Le seul candidat pour lequel Gbagbo pourrait appeler à voter est Amara Essy (lire ci-dessous). » De là à ce qu’un appel au boycott lancé par l’ancien président soit suivi… C’est certainement la question que doit se poser Pascal Affi N’Guessan depuis qu’il a profité de l’absence de Gbagbo pour imposer sa ligne à un parti en pleine restructuration. « Le FPI a trop été présenté comme un parti rebelle. Il fallait changer cette image, régler le contentieux par le dialogue », explique l’un de ses proches conseillers, qui dénonce la politique de la terre brûlée menée par Gbagbo. La démarche d’Affi N’Guessan a trouvé l’assentiment des jeunes, mais, en remettant en cause l’autorité d’institutions garantes de la moralité du parti, il s’est éloigné d’une certaine base. Il espère pourtant, rappelant ses faits d’armes au sein d’une formation qu’il a rejointe dès 1986, récupérer l’électorat des fidèles du FPI. Même s’il sait qu’il lui sera difficile de convaincre en territoire bété, dans l’Ouest profond, malgré le soutien de Marcel Gossio, l’un des piliers du régime Gbagbo.

Inconnues et suspicions

L’une des principales inconnues du scrutin reste le taux de participation. Quatre ans après la crise, l’État s’est redéployé et ne parle plus de réconciliation mais de cohésion sociale. Rien ne prouve pourtant sur le terrain que la situation s’est apaisée, que les ressentiments ont disparu.

« Il y a une suspicion autour de la Commission électorale indépendante, et la reconduction de son président, Youssouf Bakayoko, n’a rien arrangé », souligne Francis Akindès, professeur de sociologie à l’Université de Bouaké. Et de redouter : « Toute contestation des résultats validés par la CEI risque de mettre le feu aux poudres. »

Amara Essy, l’électron libre

Alors qu’il était censé rejoindre la Coalition nationale pour le changement (CNC), Amara Essy n’a toujours pas signé la charte de cette alliance de différents courants politiques. Au-delà des divergences affichées avec les autres ténors de la CNC, ce choix est principalement stratégique. Déclaré candidat à la présidentielle depuis décembre 2014, même s’il n’a pas encore lancé officiellement sa campagne, l’ancien ministre ivoirien des Affaires étrangères et cadre du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) se voit en électron libre du scrutin. Il compte pour cela sur le soutien des planteurs de la formation d’Henri Konan Bédié et sur un hypothétique adoubement par Laurent Gbagbo, à qui il a rendu visite fin avril à la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye (Pays-Bas). Les deux hommes se connaissent bien : Essy a notamment bénéficié du soutien actif de l’ancien président ivoirien lors de son élection au poste de secrétaire général de l’Organisation de l’unité africaine (OUA, ancêtre de l’Union africaine) en 2001.

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