Côte d’Ivoire : après la présidentielle d’octobre, rien ne sera plus comme avant

L’élection d’octobre est peut-être la dernière qui verra s’affronter les trois formations historiques du pays : PDCI, FPI et RDR. Car déjà une recomposition, faite d’alliances et de scissions, est en cours.

Création de la Coalition nationale pour le changement, 15 mai 2015 © DR

Création de la Coalition nationale pour le changement, 15 mai 2015 © DR

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Publié le 20 juillet 2015 Lecture : 5 minutes.

Alassane Ouattara en mai 2011. © Franck Castel/Wostok Press
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Côte d’Ivoire : 2011-2015, le vrai bilan

Cinq ans après le scrutin de 2010, les Ivoiriens s’apprêtent à retourner aux urnes pour élire leur président. Le point sur les réalisations d’Alassane Ouattara, qui brigue un nouveau mandat… et sur les défis qui attendent un pays en voie d’apaisement.

Sommaire

Rassemblement des républicains (RDR), Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), Front populaire ivoirien (FPI) : depuis vingt ans, la politique ivoirienne est profondément marquée du sceau de ces trois partis. Bénéficiant des plus gros viviers de voix du pays, ils se sont tour à tour retrouvés aux commandes depuis l’indépendance, en 1960 : le PDCI, ancien parti unique, jusqu’en 1999, le FPI de 2000 à 2010 et le RDR depuis 2011.

Au premier tour de l’élection présidentielle de novembre 2010, ils avaient raflé à eux seuls 95 % des suffrages. Seules formations dotées de structures suffisamment étoffées sur tout le territoire pour remporter une élection, ces partis sont cependant en pleine mutation et pourraient être profondément remodelés d’ici à la présidentielle de 2020.

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Des leaders qui se font vieux

Pour la première fois, le FPI, le RDR et le PDCI pourraient alors être représentés par d’autres leaders que ceux autour desquels ils se sont construits. Alassane Dramane Ouattara terminera son second et dernier mandat ; Henri Konan Bédié sera frappé par la limite d’âge (il a déjà 81 ans) ; seul Laurent Gbagbo pourra encore faire acte de candidature. Mais il est pour le moment incarcéré à La Haye (Pays-Bas), dans l’attente de son procès devant la Cour pénale internationale (CPI), prévu le 10 novembre. « Le départ de ces leaders va entraîner une redistribution des cartes. Aujourd’hui, aucune personnalité qui mettrait tout le monde d’accord n’émerge », estime un observateur de la vie politique.

Le 15 mai, les frondeurs du FPI et ceux du PDCI, ainsi que onze autres partis et personnalités d’opposition, ont lancé la Coalition pour le changement (CNC) dans l’espoir de contrecarrer les plans du président Ouattara lors du scrutin d’octobre. De l’avis même de plusieurs de ses membres, elle a peu de chances de tenir après la présidentielle. Trop d’ambitions, trop d’ego, trop de différences idéologiques… Sa création marque néanmoins une étape importante de la vie politique ivoirienne – avec peut-être pour conséquence d’émietter légèrement la répartition des votes. Surtout, les divisions à l’origine de sa naissance risquent de perdurer un moment encore au sein du FPI et du PDCI.

Divisions et oppositions

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Comment en effet imaginer que le FPI puisse parler à nouveau d’une seule voix après avoir traversé la plus grande crise de son histoire ? Depuis qu’il a contesté devant la justice la candidature de Laurent Gbagbo à la présidence du parti, Pascal Affi N’Guessan a certes pu asseoir sa légitimité juridique sur l’appareil, mais cette stratégie sans retour a également cristallisé les oppositions et les rancœurs. Au point qu’aujourd’hui il existe de fait deux FPI qui ne se parlent plus. Le clivage est profond et date des accords de Marcoussis, signés le 26 janvier 2003. Affi N’Guessan conduit alors la délégation du FPI et fait partie de ceux qui veulent négocier. Mais l’échec de la mise en place des accords renforce la position des faucons, incarnés par Simone Gbagbo et Aboudramane Sangaré. Depuis, le fossé entre les deux camps n’a cessé de se creuser.

Interdits d’utiliser le nom ou le logo du parti, les fidèles de l’ancien président ivoirien, représenté par Sangaré et Laurent Akoun, ont trouvé dans la CNC le seul moyen d’exister politiquement de manière légale. Fin politicien, Gbagbo n’est pas étranger à la création de cette coalition. N’était-il pas déjà membre en 1995 du Front républicain, le dernier grand rassemblement d’envergure en Côte d’Ivoire ? Gbagbo s’était alors allié à Ouattara, qui venait de créer le RDR, pour appeler notamment au boycott de la présidentielle en raison des conditions d’éligibilité qui excluaient de facto l’ancien Premier ministre (de 1990 à 1993) de la course à la magistrature suprême.

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Après la présidentielle d’octobre, le camp Gbagbo souhaite présenter un maximum de candidats aux législatives pour être en mesure de monter un groupe parlementaire. Une première étape avant la création d’un nouveau parti ? Seule certitude, il peut difficilement se permettre de faire une nouvelle fois l’impasse sur les législatives après son abstention de 2011 – sans prendre le risque de disparaître.

Vers une (ré)union du PDCI et du RDR?

Et si, finalement, le principal bouleversement sur l’échiquier politique venait du camp présidentiel ? Annoncée par le président Ouattara en mars, souhaitée par son allié Henri Konan Bédié, l’unification du RDR et du PDCI au lendemain de la présidentielle est sur toutes les lèvres. « Ce sont deux partis libéraux qui ont la même vision en termes de gestion et de gouvernance. Il est naturel qu’ils soient réunifiés. Ils n’ont été séparés qu’à la suite d’un malentendu », estime un cadre du RDR, issu d’une scission avec le PDCI en 1994 (voir chronologie p. 70).

Si certains membres estiment que Bédié brade les intérêts de l’ancien parti unique, la grande majorité du PDCI ne s’est pas opposée à son désormais célèbre « appel de Daoukro » lancé le 17 septembre 2014 pour soutenir le principe d’une candidature unique. 2020, c’est demain, et les plus ambitieux ont déjà levé le voile : Patrick Achi, ministre des Infrastructures économiques, l’avocat et ministre d’État Jeannot Ahoussou-Kouadio, ou encore Jean-Louis Billon, ministre du Commerce. Une éventuelle réunification rendrait en même temps impossible un retour des quatre « irréductibles » – l’ancien Premier ministre Charles Konan Banny, l’ancien ministre d’État Amara Essy et les députés Kouadio Konan Bertin et Jérôme Kablan Brou.

Du côté du RDR, si les cadres reconnaissent l’importance de leur allié, beaucoup pensent que le PDCI a déjà été bien assez récompensé. Et ceux qui préparent déjà l’après-Ouattara s’imaginent mal laisser la place en 2020 à une personnalité du plus vieux parti de Côte d’Ivoire.

Ce rapprochement entre les deux partis donnerait assurément au camp au pouvoir une avance considérable en matière de voix, et beaucoup au RDR estiment que seule la renaissance d’un grand mouvement houphouétiste peut répondre au choc des ambitions. « C’est la seule manière d’éviter une crise comme celle qui secoue le FPI », estime un cadre du parti présidentiel, favorable à une évolution bipartite en Côte d’Ivoire. Avant de conclure : « Nos pays n’ont pas besoin de querelles politiques. Il est illusoire d’avoir des débats idéologiques, car nous n’avons pas d’autre choix que d’appliquer la politique du FMI. » La politique est morte, vive la realpolitik ?

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