Les liaisons dangereuses de Habré : la France arme en se pinçant le nez (1/5)

La liste de ceux qui ont aidé Hissène Habré à imposer son joug aux Tchadiens est longue. Les fantômes de François Mitterrand, Ronald Reagan, Ariel Sharon, Saddam Hussein ou encore Mobutu Sese Seko seront-ils convoqués à la barre ? Premier épisode : la relation avec Paris.

Hissène Habré et François Mitterrand, le 21 octobre 1989, à Paris. © AFP

Hissène Habré et François Mitterrand, le 21 octobre 1989, à Paris. © AFP

Publié le 16 juillet 2015 Lecture : 3 minutes.

Hissène Habré et François Mitterrand, le 21 octobre 1989, à Paris. © AFP
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Hissène Habré : de Mitterrand à Saddam, quand l’étranger soutenait la répression au Tchad

François Mitterrand, Ronald Reagan, Ariel Sharon, Saddam Hussein ou encore Mobutu Sese Seko… La liste des soutiens étrangers de l’ancien président tchadien Hissène Habré, dont le décès a été annoncé ce mardi 24 août, est longue. Retour, en série, sur ces encombrantes alliances.

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Sans Paris, Habré aurait probablement perdu la guerre contre les forces tchado-libyennes de Goukouni Weddeye. Pourtant, François Mitterrand ne l’aimait pas. « Il l’a soutenu comme la corde soutient le pendu », ironise un journaliste français qui a bien connu l’ancien dictateur.

Lorsque les socialistes arrivent au pouvoir en 1981, le contact est coupé avec celui qu’ils considèrent comme l’homme de la droite et des Américains. Mais au sein du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (Sdece), certains désobéissent. Quand Habré fait appel au plus célèbre des mercenaires français, Bob Denard – qui n’agissait jamais sans un « feu orange », un oui tacite des services français -, ils ne s’y opposent pas. Le contact est établi fin 1981.

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Denard envoie trois de ses hommes sur place, qui joueront un rôle important dans la reconquête du pouvoir. Après la prise de N’Djamena par les Forces armées du Nord (FAN) de Habré, il propose au nouveau maître du pays de former sa garde présidentielle. Mais le Tchadien se méfie de « Bob », qu’il sait proche des barbouzes françaises. En 1983, le vieux mercenaire est court-circuité… par les services français (réaction ulcérée de Denard : « Habré se comporte comme une putain ! »). Lorsque Goukouni contre-attaque avec l’aide des Libyens, de nombreux chefs d’État africains, mais aussi Washington, poussent Paris à soutenir Habré au nom de la lutte contre Mouammar Kadhafi.

Le 9 août 1983, la France est obligée de déclencher l’opération Manta et envoie 3 500 soldats français. Elle ne peut alors ignorer les massacres perpétrés dans le Sud.

Les États-Unis leur procurent des armes (la France aussi, en petite quantité), mais refusent d’envoyer des hommes pour former les Tchadiens. Mitterrand finit par trouver un compromis : pas de soldats français sur place, tout juste quelques agents secrets… et des mercenaires. Les socialistes se tournent vers René Dulac, un ancien compagnon de Denard, qui mène alors l’opération Oméga.

En juin 1983, il envoie une trentaine de ses mercenaires au Tchad, qui sont formés au maniement des missiles par des agents de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE, le nouveau nom donné au Sdece) avant de monter au front. Mais la mission est un fiasco. Goukouni reprend Faya et avance sur N’Djamena. Le 9 août 1983, la France est obligée de déclencher l’opération Manta et envoie 3 500 soldats français. Elle ne peut alors ignorer les massacres perpétrés dans le Sud.

Deux ans et demi plus tard, toujours pour contrer l’axe Goukouni-Kadhafi, Paris lance l’opération Épervier et envoie 1 500 hommes. Arrivés le 16 février 1986, ils y resteront jusqu’à la fin du régime Habré (ils y sont toujours, à vrai dire), en pleine répression contre les Hadjeraïs, puis contre les Zaghawas. « Si les massacres que l’on prête à Habré ont eu lieu, les Français ne pouvaient pas ne pas savoir. Ils disposaient sur place de moyens de renseignements importants », estime un Français qui se rendait souvent à N’Djamena à l’époque. Un témoin clé de l’époque a en outre affirmé aux magistrats des Chambres africaines extraordinaires que des agents de la DGSE passaient régulièrement dans les locaux de la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), où l’on torturait sans relâche.

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Cela n’empêche pas Paris de poursuivre ses livraisons d’armes (quoique toujours insuffisantes aux yeux de Habré), de soutenir le régime à bout de bras (l’aide française a quadruplé entre 1981 et 1989) et d’accueillir le dictateur avec les honneurs les 13 et 14 juillet 1987. La France finira par lâcher Habré sur le tard et soutiendra Idriss Déby Itno en lui adjoignant des agents de la DGSE et en laissant faire son offensive éclair en novembre 1990.

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