Hamed Bakayoko : « La Côte d’Ivoire n’est plus un pays en crise »
Réconciliation nationale, désarmement, terrorisme… Sur tous les dossiers sensibles, le ministre de l’Intérieur défend son bilan. Son prochain défi : organiser une élection présidentielle irréprochable.
Côte d’Ivoire : 2011-2015, le vrai bilan
Cinq ans après le scrutin de 2010, les Ivoiriens s’apprêtent à retourner aux urnes pour élire leur président. Le point sur les réalisations d’Alassane Ouattara, qui brigue un nouveau mandat… et sur les défis qui attendent un pays en voie d’apaisement.
Nommé ministre de l’Intérieur en juin 2011, Hamed Bakayoko est, à 50 ans, une pièce maîtresse du système Ouattara. C’est lui qui a reçu le 22 juin les leaders de la Coalition nationale pour le changement (CNC). Dialogue avec l’opposition, réforme de la Commission électorale indépendante (CEI), réinsertion des ex-combattants, fronde des militaires, enlèvements d’enfants, affaire des primes impayées de la Coupe d’Afrique des nations… Rares sont les dossiers sensibles sur lesquels le ministre ne s’est pas penché ces derniers mois. Et le premier flic de Côte d’Ivoire peut se prévaloir d’un indice de sécurité en nette amélioration : selon l’ONU, celui-ci est passé de 3,8 en 2012 à 1,3 fin 2014.
Jeune Afrique : La Côte d’Ivoire est-elle prête pour une nouvelle échéance électorale ?
Hamed Bakayoko : Parfaitement. Tous les indicateurs sont au vert. Même si quelques contradictions persistent, le dialogue politique est aujourd’hui réel. Soutenu par un effort économique important, l’environnement est propice à l’organisation de ces élections, qui marqueront un tournant pour la Côte d’Ivoire.
Charles Konan Banny ? Il est dans son rôle de nouvel opposant… »
L’objectif du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix [RHDP] est-il de permettre la réélection d’Alassane Ouattara dès le premier tour ?
Tout à fait. Le président a entamé un travail très important. La Côte d’Ivoire est en chantier, mais le pays se redresse. Il faut maintenant consolider tout cela. Cette réélection, avec la stabilité que représente le RHDP, doit donner plus de confiance aux investisseurs.
La CNC se présente contre lui. Comment percevez-vous sa création ?
Elle participe à la dynamique démocratique. Il n’y a aucun problème pour que ses membres s’expriment et agissent. Mais toutes leurs activités doivent se faire dans un cadre réglementaire sans perturber l’ordre public. La CNC est entièrement composée de cadres. Ils savent donc comment fonctionne l’État. Lorsqu’on veut organiser une manifestation, il y a un protocole à respecter.
Mais des jeunes du Rassemblement des républicains [RDR, au pouvoir] n’ont-ils pas manifesté sans autorisation le 20 juin ?
C’est faux. Toutes les manifestations, même un concert, sont soumises à l’autorisation des maires.
Dans nos colonnes, Charles Konan Banny a accusé le régime de bafouer les libertés publiques…
Il est dans son rôle de nouvel opposant…
Pourquoi Hubert Oulaye, Sébastien Dano Djédjé et Justin Koua, tous cadres du Front populaire ivoirien [FPI, opposition], ont-ils été arrêtés début mai ?
Les faits qui leur sont reprochés n’ont rien à voir avec leurs activités politiques. Oulaye est accusé de complicité dans l’assassinat des Casques bleus de l’ONU en 2012. Justin Koua est poursuivi pour troubles à l’ordre public et pour avoir tenu des propos insurrectionnels. Il ne faut pas confondre faire de la politique librement et porter atteinte aux institutions. Les hommes politiques ne doivent pas franchir les limites. Nous avons déjà payé trop cher leurs erreurs.
La CNC a fait des recommandations, notamment sur la CEI. Allez-vous en tenir compte ?
Chaque parti peut avoir ses revendications, mais l’État et le gouvernement font ce qu’ils peuvent. La CEI a fait l’objet d’un long processus de discussion avec tous les partis. À quatre mois de l’élection, on ne peut pas la remettre en cause sans mettre en danger tout le processus. Or il est primordial que la Côte d’Ivoire soit capable d’organiser ce scrutin aux dates prévues.
Pourquoi avoir reconduit Youssouf Bakayoko à la tête de la CEI alors qu’il n’est pas soutenu par une partie de l’opinion publique ?
Il a été élu par la commission. Il a prouvé qu’il était un homme d’expérience et intègre. S’il n’avait pas eu le courage de donner les vrais résultats, je pense que ce pays aurait vécu une crise plus grave.
Après celle du 10 juin, une deuxième attaque a eu lieu à la frontière avec le Mali, le 27 juin. La Côte d’Ivoire pourrait-elle être menacée par le terrorisme ?
Nous sommes très vigilants. Il y a une vraie menace sous-régionale que nous prenons au sérieux. Il faut anticiper. Nos forces sont montées en puissance dans la zone et nous travaillons beaucoup avec les pays amis afin de mettre en place une bonne synergie entre nos services de renseignements.
Est-ce vrai que certaines mosquées wahhabites ont été mises sous surveillance ?
Je ne confirme pas cette information, mais nous sommes particulièrement prudents. L’islam pratiqué en Côte d’Ivoire est très modéré. Selon moi, il n’y a pas de risque d’une montée extrémiste à l’intérieur du pays.
La situation se normalise dans des conditions que je trouve très satisfaisantes »
Pourquoi le désarmement a-t-il mieux fonctionné en Côte d’Ivoire que dans d’autres pays aux dynamiques identiques ?
Il y a d’abord un engagement important du président de la République, qui a lui-même présidé chaque semaine le Conseil national de sécurité. Des moyens conséquents ont été mis à disposition de l’Autorité pour le désarmement, la démobilisation et la réinsertion [ADDR]. Il reste bien sûr un résidu d’ex-combattants qui doit encore être pris en charge mais il était très important que le programme de l’ADDR prenne fin pour montrer que la Côte d’Ivoire n’est plus un pays postcrise.
Les milliers d’anciens combattants armés qui restent introuvables ne représentent-ils pas une menace ?
Il n’y a pas d’ex-combattants armés mais un groupe de jeunes qui espéraient avoir une place dans la garde républicaine. Nous leur avons fait comprendre que le président s’y était opposé. Tous les sites qu’ils occupaient à Abidjan ont été libérés. D’ailleurs, il n’y avait pas tant d’armes que ça. Dans une cité universitaire où 200 jeunes étaient regroupés, seules quatre armes ont été retrouvées et déposées par la suite. La situation se normalise dans des conditions que je trouve très satisfaisantes.
Les experts de l’ONU estiment pourtant que le nombre d’armes en circulation est inquiétant…
C’est un rapport qui date d’un an. Depuis, la situation a évolué. Il est vrai que çà et là les experts ont signalé des armes mais elles ont été récupérées. L’état-major est engagé dans une opération de marquage pour savoir exactement à qui elles sont attribuées.
Si la sécurité est en nette amélioration, la criminalité urbaine demeure, comme le montre le phénomène des Microbes…
Les Microbes sont avant tout des enfants traumatisés par la guerre. Nous avons créé des centres de resocialisation où ils sont traités. Le retour de la Banque africaine de développement est la preuve que la sécurité en Côte d’Ivoire s’est fortement améliorée, et nous entendons la consolider.
La Direction de la surveillance du territoire permet de lutter contre l’insécurité. Au sein de l’opposition, certains dénoncent des cas de torture. Que leur répondez-vous ?
Je n’ai pas connaissance de cas de torture en Côte d’Ivoire. Ceux qui l’affirment ont-ils des preuves ? Nous avons en tout cas donné des instructions fermes à nos collaborateurs pour qu’ils travaillent au maintien de l’ordre dans le respect le plus strict de la loi et des standards internationaux.
Êtes-vous partisan d’une réunification du RDR et du PDCI ?
Tout ce qui rassemble renforce. C’est un gage de stabilité pour demain. Toutes les ambitions personnelles doivent s’incliner devant le rassemblement des houphouétistes.
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