Crise grecque : Hollande, victime collatérale ?

La victoire qu’a représentée pour Alexis Tsipras le référendum grec du 5 juillet donne des idées aux leaders de l’extrême gauche française. Mais la candidature d’un Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle de 2017 aurait pour effet d’affaiblir un peu plus le président sortant.

AvecAlexis Tsipras, Angela Merkel, Mario Draghiet Jean-Claude Juncker,à Bruxelles,le 7 juillet. © YVES HERMAN/REUTERS

AvecAlexis Tsipras, Angela Merkel, Mario Draghiet Jean-Claude Juncker,à Bruxelles,le 7 juillet. © YVES HERMAN/REUTERS

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 15 juillet 2015 Lecture : 6 minutes.

En répondant massivement oxi (« non »), le 5 juillet, au plan « argent contre réformes » que leur proposait la Troïka (Union européenne, Banque centrale européenne et FMI), les Grecs, humiliés et appauvris par deux plans de sauvetage, ont tiré une salve contre l’Europe… dont ils entendent bien rester membres envers et contre tout.

Les conséquences de cette canonnade ne sont pas spectaculaires sur le plan économique, les marchés estimant qu’une faillite de la Grèce ne nuirait pas au retour de la croissance sur le Vieux Continent. En revanche, le vent du boulet grec n’a pas fini de se faire sentir sur le plan politique, surtout en France. Logiquement, les extrêmes se sentent confortés par les résultats de ce scrutin. Ils y voient la preuve du bien-fondé de leurs positions contre l’Europe et contre la finance apatride. Marine Le Pen, la présidente du Front national (FN), en profite pour appeler à « une dissolution concertée de l’euro ». Jean-Luc Mélenchon, le patron du Parti de gauche, salue le « courage immense du peuple grec » et confirme qu’il est « possible de dire non aux politiques d’austérité ».

Au Parti socialiste, on voit ressurgir les clivages apparus en 2005 lors du référendum sur le projet de Constitution européenne

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À droite, la majorité des responsables respecte le vote des Grecs, mais parie sur un Grexit (une sortie de la Grèce de la zone euro) si Athènes ne peut ou ne veut engager les réformes demandées en matière de fiscalité, de retraite et de privatisation en échange d’un nouveau programme d’aide et d’une éventuelle réduction de la dette. Alain Juppé, ancien Premier ministre et candidat probable à la primaire des Républicains pour la présidentielle de 2017, se montre d’une fermeté inhabituelle en demandant d’aider la Grèce à « organiser sa sortie sans drame » de la zone euro, dont elle n’est « plus en mesure d’assumer les disciplines ».

Au Parti socialiste, on voit ressurgir les clivages apparus en 2005 lors du référendum sur le projet de Constitution européenne. Tout le monde est d’accord avec Jean-Christophe Cambadélis, le premier secrétaire, pour dire que « la Grèce doit rester dans la zone euro » et qu’« il faut discuter ». En revanche, la gauche du parti, qui avait soutenu le non préconisé par Syriza, le parti de la gauche grecque radicale, somme le président de la République de contraindre l’Allemagne à accepter une réduction de la dette grecque et la fin des programmes d’austérité. L’un des « frondeurs » socialistes, l’ancien ministre Benoît Hamon, appelle François Hollande à « reprendre le leadership » à la chancelière allemande.

Drapeau grec brandi par un manisfestant d'extrême gauche, place de la République,à Paris, le 5 juillet. © STÉPHANE LAGOUTTE/M.Y.O.P.

Drapeau grec brandi par un manisfestant d'extrême gauche, place de la République,à Paris, le 5 juillet. © STÉPHANE LAGOUTTE/M.Y.O.P.

Par tempérament et pour ne pas se couper de son aile gauche, le président français privilégie la recherche d’un compromis. Du coup, la France est le pays de la zone euro le plus compréhensif envers les atermoiements d’Athènes. Hollande répète qu’il veut que « la Grèce reste dans la zone euro », mais, en même temps, sa priorité est plus que jamais de préserver le couple franco-allemand en tant que pilier de l’Europe. Et comme l’Allemagne veut désormais se défaire de la Grèce, il va devoir expliquer à l’opinion française pourquoi il n’a pas tenté d’y mettre son veto. Tout ça ne va sûrement pas contribuer à améliorer son image déjà peu rayonnante. À en croire un sondage Ifop pour Le Figaro, LCI et RTL publié le 8 juillet, 44 % de ses compatriotes font davantage confiance à Angela Merkel qu’à lui-même (24 %) pour « sortir de la crise entre la Grèce et les autres pays européens ».

Reste à savoir si, par mimétisme ou par contagion, le succès d’un parti souverainiste de gauche de type Syriza est possible en France. « Non, répond Gérard Grunberg, du Centre d’études européennes de Sciences-Po (et animateur du site Telos), et pour plusieurs raisons. La première est qu’il n’y a pas eu ici de politique d’austérité aussi dure que celles mises en œuvre dans l’Europe du Sud. La deuxième est que les scandales de corruption n’y ont pas pris le même caractère de gravité. Et la troisième, que les populistes de gauche n’ont pas de leader charismatique comparable à Tsipras. Personnage excessif, Jean-Luc Mélenchon suscite le rejet, et, chez les écologistes, personne n’est parvenu à faire oublier Daniel Cohn-Bendit. »

L’électorat d’extrême gauche est largement passé à l’extrême droite, comme le prouve le fait que 40 % du vote ouvrier se porte aujourd’hui sur le Front national. »

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Conseiller spécial à l’Institut français des relations internationales (Ifri), Dominique Moïsi ajoute une quatrième raison : « L’électorat d’extrême gauche est largement passé à l’extrême droite, comme le prouve le fait que 40 % du vote ouvrier se porte aujourd’hui sur le Front national. » Rappelons que les candidats du Front de gauche ont obtenu 11,10 % des voix à la présidentielle de 2012 et 6,33 % aux européennes de 2014, contre, respectivement, 17,90 % et 24,86 % pour le Front national. C’est ainsi : en France, le souverainisme est, pour l’essentiel, de droite.

Le drame grec va toutefois fournir à Mélenchon un bon prétexte pour être candidat à la prochaine présidentielle, ce qui ne manquera pas d’éparpiller les voix de gauche et risque d’empêcher Hollande de se qualifier pour le second tour. « La crise grecque n’apporte rien de nouveau, analyse Grunberg. On ne sait qui portera le chapeau de la catastrophe grecque, mais, qui que ce soit, la gauche abordera la présidentielle divisée et Hollande sera éliminé au premier tour. »

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Moïsi ne juge pas le jeu aussi fermé. Il ne voit que trois personnages capables de briguer l’Élysée en 2017 avec des chances de succès : Nicolas Sarkozy, Alain Juppé et… François Hollande. « Il faudrait une récession épouvantable, un effondrement de la croissance chinoise ou une catastrophe européenne imputable à la crise grecque, que je ne vois pas advenir dans les deux ans, pour que Marine Le Pen ait la moindre chance de l’emporter », analyse-t-il. Certes, un Grexit risque d’anémier une croissance économique européenne déjà bien médiocre en termes d’emplois et donc de renforcer les populismes, notamment lors des élections régionales de décembre 2015, mais pas au point de pousser les électeurs à leur confier les rênes de la nation.

À vrai dire, de sondage en sondage et de question en question, les Français trahissent un profond désarroi. Ils sont 55 % à vouloir conserver la Grèce dans l’euro (40 % pour les Allemands) et plus d’un tiers à se féliciter du vote grec négatif. En revanche, 62 % sont opposés à ce que la dette grecque soit réduite (73 % pour les Allemands). En l’absence d’explications claires et cohérentes des dirigeants, chacun suit son idéologie ou son intérêt, ignorant la complexité d’un dossier devenu incompréhensible. Et ce n’est pas la poursuite inévitable de la tragédie grecque – accord ou pas lors du sommet de Bruxelles du 12 juillet – qui mettra fin aux doutes des Français.

La bourse ou la vie

Le dialogue de sourds entre les Grecs et les autres Européens tient largement au fait qu’ils ne parlent pas le même langage.

Les premiers parlent politique. S’ils sont contre l’austérité et les « diktats de Bruxelles », c’est parce qu’ils défendent les plus pauvres et qu’ils ont été mandatés par le suffrage universel pour le faire. Pour eux, ce sont les chefs d’État qui doivent donner leur feu vert à un adoucissement des mesures d’économies et à une diminution de leur dette puisque ce sont les États qui la détiennent. Ils jugent les discussions techniques sur la TVA ou l’âge de la retraite très secondaires, voire destinées à étrangler leur pays au nom d’une orthodoxie criminelle.

Les seconds parlent économie. S’ils sont pour que la Grèce s’engage à mettre en œuvre des réformes avant de lui consentir aide et remise de dette, c’est parce qu’ils défendent le porte-monnaie de leurs concitoyens et que ceux-ci sont las des errements de ce pays et n’ont aucune illusion sur sa capacité à rembourser 312 milliards d’euros de dettes. Ils veulent s’assurer que les réformes mettront un terme au remplissage sans fin du tonneau des Danaïdes grec. Ce qui suppose de se préoccuper des techniques comptables censées permettre à la Grèce de sortir du rouge.

Pour en finir avec cette surdité réciproque, il conviendrait que les Grecs reconnaissent que la position des autres gouvernements n’est pas moins légitime que la leur et entreprennent de parler économie et réformes. Et que les Européens mesurent mieux la désespérance du peuple grec et se mettent à parler politique et franc soutien. La bourse ne doit pas être l’ennemi de la vie. Et vice versa.

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