Analyse économique : la Cemac en panne sèche
La chute du prix du baril a enrayé le moteur de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale. Sa croissance pour 2015 devrait se situer bien en dessous des espérances. Et ses États membres, dans une situation financière préoccupante, mettent un frein à leurs grands projets.
Pour la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), la gueule de bois est bien sévère. Alors qu’en mars la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac) prévoyait encore que sa croissance serait de 4,2 % cette année, elle vient de lui annoncer qu’elle n’atteindrait que 2,8 %. Un véritable coup de massue pour les économies de la région, même si ce chiffre est plus optimiste que celui du FMI, qui table sur une progression de 2,2 % du PIB régional en 2015. Avec cinq producteurs de pétrole (Cameroun, Gabon, Congo, Tchad et Guinée équatoriale) sur ses six États membres (avec la Centrafrique), la Cemac, la communauté régionale la plus dépendante de l’or noir sur le continent (lire ci-contre) subit de plein fouet la chute du prix du baril entamée à la mi-2014. Le 13 juin, le baril de brent s’échangeait à environ 57 dollars (52 euros) à Londres, soit une baisse de plus de 46 % par rapport au début de juillet 2014.
« La situation financière des pays de la zone est très préoccupante », confiait récemment à Jeune Afrique un banquier camerounais. D’autant plus que le cours du pétrole, dont dépendent fortement les recettes budgétaires de ces États, n’est pas près de se redresser d’après le rapport mensuel que vient de publier l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Cet organe de l’OCDE, qui défend les intérêts de pays consommateurs de pétrole, soutient même que le prix du baril pourrait encore baisser et que cette tendance se maintiendrait jusqu’en 2016. En effet, la demande mondiale va ralentir tandis que la production devrait continuer d’augmenter avec le retour sur un marché déjà en surcapacité de l’Iran – qui possède les quatrièmes plus grandes réserves du monde -, après la signature de l’accord sur le nucléaire, mais aussi le démarrage de nouveaux projets dans le golfe du Mexique.
Profond
Mais cette année de baisse du prix du baril a lourdement pesé sur les caisses des États de la Cemac. Premier producteur d’or noir de la zone, la Guinée équatoriale est un cas d’école. Le pays entre en récession avec une contraction anticipée de l’activité de 12 % cette année, alors que sa croissance était d’à peine 0,5 % en 2014. Les difficultés de ce petit émirat d’Afrique centrale sont telles que, pour la première fois depuis la découverte de ses réserves de pétrole en 1997, le pays a dû demander à la Beac les 415 milliards de F CFA (près de 633 millions d’euros) auxquels il a droit cette année au titre des avances statutaires.
Signe que le mal est profond, tous les autres pays ont recouru à ce mécanisme pour un montant de 1 421 milliards de F CFA en mai, contre 442 milliards utilisés un an plus tôt. « Le recours à ces avances montre clairement que les trésoreries de ces États, à l’exception du Cameroun, qui est moins dépendant du pétrole grâce à son économie plus diversifiée, subissent une période de turbulences », analyse notre banquier.
Pour ne rien arranger, la production du brut des pays de la zone ne cesse de baisser. Un déclin que les récentes découvertes au Tchad et au Congo ne parviennent pas à enrayer. En un an, le recul atteindrait 10,8 millions de tonnes (- 18,6 %) en Guinée équatoriale, 11,7 millions au Congo (- 5,9 %) et 10,4 millions (- 5,7 %) au Gabon. En cause, les réticences des entreprises du secteur à investir compte tenu du prix du baril et des coûts d’exploitation élevés.
Coupes
Dans un tel contexte, les coupes se sont multipliées dans les dépenses publiques. Par exemple en janvier et en dépit des investissements déjà réalisés pour les préparatifs, le Tchad a repoussé le moment d’accueillir le sommet des chefs d’État de l’Union africaine. Le pays qui, par ailleurs, doit financer sa lutte contre Boko Haram a, avec une loi de finances rectificative, réduit son enveloppe budgétaire de 194 milliards de F CFA. Le Gabon et le Congo ont eux aussi procédé à des ajustements similaires. Le Cameroun devrait suivre. C’est en Guinée équatoriale que les chiffres sont les plus impressionnants : le pays vient de réduire de près de 1 335 milliards de F CFA le montant initialement arrêté de ses investissements publics. Une chute de 57 % par rapport à l’an dernier.
À la relative sérénité qu’affichaient fin 2014 certains ministres de la zone, qui soutenaient que leurs économies avaient constitué des réserves suffisantes pour faire face à la crise, succède désormais une réelle inquiétude. « Aucun des pays n’a suffisamment épargné pour prévenir les mauvais jours. Le Gabon et le Congo ont certes mis en place des fonds souverains, mais ces structures n’ont pas eu le temps de se constituer une épargne suffisante », note notre banquier.
La crise actuelle survient en effet à un moment où la plupart des États de la zone se sont lancés dans une stratégie de diversification de leurs économies via des projets structurants financés par de gros investissements publics.
Désormais, l’heure est à la gestion des urgences, et seuls les projets dits prioritaires parviennent encore à attirer des investissements publics. La folie bâtisseuse qui s’était emparée de la plupart de ces États au cours des dernières années connaît une nette accalmie. « Les grands projets routiers, immobiliers ou industriels connaissent soit un ralentissement, soit un arrêt total. Et le secteur de la construction est la première victime de cette situation. De nombreuses entreprises ferment à cause des retards de paiement des États », affirme Babacar Ba, associé chargé du pôle stratégie et responsable de la région Afrique centrale au sein du cabinet sénégalais Performances.
D’après lui, « il faut éviter une accumulation de la dette intérieure qui pourrait étrangler le tissu économique naissant dans ces pays et qui dépend encore des commandes de l’État ». Pour poursuivre leurs chantiers, les États les moins endettés ont commencé à solliciter les marchés financiers. C’est le cas par exemple du Gabon, dont le taux d’endettement était de 28 % du PIB début 2015 et qui a mobilisé, via un eurobond, 500 millions de dollars en juin.
Moment idéal
Pour les institutions de Bretton Woods comme pour les cabinets de conseil, cette conjoncture est certes difficile mais représente aussi le moment idéal pour accélérer les réformes nécessaires à une croissance économique soutenue. À commencer par la réduction voire la suppression des subventions aux carburants (les prix étant actuellement bas). Les économies réalisées pourraient ainsi être consacrées aux secteurs productifs. « Il faut aussi rendre cet espace communautaire beaucoup plus propice aux investissements privés nationaux et internationaux. Lorsqu’on parle d’investissements privés, on a souvent tendance à penser tout de suite aux étrangers. Pourtant, ceux qui proviennent d’acteurs locaux et régionaux ont souvent un effet plus direct et plus immédiat sur l’économie nationale », soutient Babacar Ba.
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Le Gabon en marche vers la diversification
En inaugurant en juin le centre métallurgique de Moanda, la première usine de transformation de manganèse du pays, le Gabon franchit une étape supplémentaire dans sa volonté de diversification économique et surtout de création de valeurs ajoutées pour ses exportations.
Alors que la conjoncture actuelle est très difficile et que les finances publiques des pays producteurs de pétrole sont mises à rude épreuve par la chute du cours, ce site qui a représenté un investissement de 152 milliards de F CFA (231,7 millions d’euros) a été entièrement financé par des compagnies privées, dont la Comilog, une filiale du groupe français Eramet.
Tout comme l’entrée en vigueur d’une obligation pour les sociétés forestières de transformer localement le bois produit dans le pays avant toute exportation, ce nouveau projet a pour objectif d’aider le pays à réduire sa dépendance vis-à-vis du pétrole, qui représente encore plus de 70 % de ses recettes budgétaires.
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