Burkina : Isaac Zida, un homme en sursis
Contesté de toutes parts, le Premier ministre burkinabè vient de sauver son fauteuil in extremis et s’accroche autant qu’il peut. Jusqu’à quand tiendra-t-il ?
La scène en dit long sur la sérénité toute relative d’Isaac Zida. Le 7 juillet, de retour d’un voyage en Côte d’Ivoire, le Premier ministre burkinabè a été accueilli sur la base aérienne militaire de Ouagadougou par des dizaines de membres d’organisations de la société civile. Au lieu de monter dans un convoi comme d’habitude, il a pris la direction de la primature à pied, entouré d’une petite foule de partisans. Puis, à l’issue de cette parade en forme de démonstration de force, il a annoncé publiquement qu’il « tiendrait ferme » et ne quitterait pas son poste.
Car, depuis le 29 juin, celui qui a longtemps été considéré comme l’homme fort de la transition est dans la tourmente. Ce jour-là, trois officiers supérieurs du régiment de sécurité présidentielle (RSP), accusés d’avoir voulu l’appréhender la veille à son retour d’un voyage à Taïwan, sont interpellés par les gendarmes. Ils sont relâchés au bout de quelques heures, mais cette nouvelle crise – la troisième en moins de sept mois – qui met Zida aux prises avec des gradés de son ancien régiment vire à l’affaire d’État.
Dénonçant un complot du Premier ministre visant à semer le trouble pour se maintenir au pouvoir, les tauliers du RSP réclament ouvertement sa démission, ainsi que celle des autres militaires du gouvernement, au président Michel Kafando. Une partie des officiers supérieurs des autres corps de l’armée se joignent à eux. Ils reprochent aussi à Zida une série de décisions, dont la récente réforme du code militaire permettant « à titre exceptionnel » la promotion d’un lieutenant-colonel (lui, par exemple…) au rang de général.
Une nouvelle fois contraint de jouer les médiateurs, Michel Kafando a multiplié les consultations pour trouver une sortie de crise. D’après plusieurs sources, l’éventualité d’un limogeage du Premier ministre a été étudiée de près au palais de Kosyam. « À un moment, nous avons eu l’impression que la décision était prise », confie un haut gradé. Mais le clan présidentiel choisit finalement d’épargner Zida : à seulement trois mois des élections présidentielle et législatives, son départ ouvrirait une période d’incertitude pour le régime de transition. Après avoir mis sur pied un « cadre de concertation des sages » pour tenter d’apaiser la situation, le chef de l’État a confirmé le 16 juillet qu’il maintenait le Premier ministre à son poste mais qu’il récupérait son portefeuille de la Défense.
Il y a eu beaucoup d’erreurs et de tâtonnements sur certains dossiers majeurs »
De plus en plus isolé, constamment sous la menace des fidèles de Blaise Compaoré qui ont juré sa perte, Isaac Zida n’a jamais, depuis qu’il est aux commandes de la transition, semblé dans une situation aussi délicate. Répétant en boucle que l’objectif principal reste l’organisation des élections du 11 octobre, son entourage fait le dos rond. « Il n’a jamais montré qu’il baissait les bras », glisse l’un de ses proches, sans pour autant cacher ses inquiétudes quant à son avenir à la tête du gouvernement. En interne, des critiques commencent aussi à émerger. « Il y a eu beaucoup d’erreurs et de tâtonnements sur certains dossiers majeurs, lâche un de ses conseillers. La crise au sein du RSP n’a pas été résolue et la modification du code électoral n’a pas été suffisamment discutée. »
Cette loi – qui rend les partisans de Compaoré inéligibles – est une épine de plus dans le pied d’Isaac Zida. Saisie par sept partis de l’ancienne majorité, la Cour de justice de la Cedeao l’a invalidée, jugeant qu’elle constituait « une violation du droit de libre participation aux élections », et a sommé le gouvernement burkinabè de la clarifier. Un nouveau coup dur pour le Premier ministre, dont la trajectoire au cœur du régime de transition s’apparente de plus en plus à un long chemin de croix.
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