Guinée : Asmaou Diallo et le 28 septembre 2009… son fils, sa bataille

L’aîné de ses cinq enfants a été tué le 28 septembre 2009. Depuis, Asmaou Diallo se bat pour que justice soit faite. L’inculpation de Dadis, l’ancien chef de la junte, n’est pour elle qu’un début.

À Conakry, la présidente de l’Avipa est une figure de la lutte contre l’impunité. © YOURI LENQUETTE POUR J.A.

À Conakry, la présidente de l’Avipa est une figure de la lutte contre l’impunité. © YOURI LENQUETTE POUR J.A.

Publié le 21 juillet 2015 Lecture : 3 minutes.

«Mon fils a été tué le 28 septembre 2009. On nous a rendu son corps le 2 octobre. C’était un vendredi. » Lorsqu’elle raconte cette journée, Asmaou Diallo, 55 ans, n’oublie jamais aucun détail. Les images, les dates, les derniers mots adressés à son aîné, son corps difficilement identifiable… D’une voix encore étranglée par le chagrin, elle raconte que des familles ont préféré abandonner leurs proches plutôt que de les toucher tant leurs corps étaient en mauvais état. « D’autres n’ont même pas pu les reconnaître. »

Ali, son fils, avait 33 ans. Professeur d’histoire, il avait décidé de manifester contre la candidature à la présidentielle du chef de la junte militaire, Moussa Dadis Camara, arrivé au pouvoir neuf mois plus tôt. Ce jour-là, accompagné de quelques amis, il se rend au stade du 28-Septembre. Aucun d’entre eux n’est armé. En quelques heures, la situation dégénère, les forces de sécurité tirent sur la foule. Bilan : 157 morts, des dizaines de femmes violées et mutilées, et des centaines de blessés. Parmi les victimes, Ali.

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« Une semaine après l’enterrement, on m’a appelée pour me demander si j’étais prête à me battre pour que les auteurs de ce massacre soient punis. J’ai dit oui. Depuis ce jour, cette lutte est devenue ma vie », raconte-t-elle. Dans la foulée, elle fonde, avec d’autres, l’Association des victimes, parents et amis du 28 septembre (Avipa), qu’elle dirige depuis. Commence alors un long travail d’identification, d’audition et d’aide aux victimes. L’Avipa n’a pas le soutien des autorités, mais reçoit très vite celui de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme et de l’Union européenne.

Soins médicaux, aide psychologique, soutien scolaire aux enfants de victimes… Les besoins sont immenses. « De nombreuses femmes violées ont par exemple été répudiées et ont désormais tous leurs enfants à charge, explique Asmaou Diallo. Nous avons pu former 160 d’entre elles afin qu’elles soient plus autonomes économiquement. Mais il y a tellement de dégâts collatéraux qu’on ne peut pas tout gérer. C’est pour cela que nous nous battons pour qu’il y ait un procès. Il faut que l’on obtienne des réparations pour ces familles. »

Six ans plus tard, Asmaou Diallo se veut optimiste : « Depuis l’arrivée de Cheick Sacko au ministère de la Justice [en janvier 2014], nous soufflons un peu. Des actes concrets ont été posés. » Ces derniers mois, plusieurs officiers de l’armée ont été inculpés, dont Mamadou Toto Camara et Claude Pivi. Début juillet, le dossier a connu une accélération inattendue avec l’inculpation de Dadis Camara pour « complicité d’assassinats, séquestrations, viols, coups et blessures » – l’intéressé, en exil au Burkina, reconnaît « une responsabilité morale », mais rejette tous les chefs d’accusation qui pèsent contre lui. Cette inculpation, Asmaou Diallo s’en réjouit mais ne veut pas s’en contenter. Elle n’est qu’un début. « Nous demandons que tous les membres du Conseil national pour la démocratie et le développement [nom officiel de la junte] soient entendus par la justice et que les inculpés soient mis en congé jusqu’à ce que justice soit faite. Et si la Guinée n’arrive pas à organiser un procès, ce que nous regretterions profondément, la Cour pénale internationale s’en chargera. »

Peu lui importe si, au pays, beaucoup en ont un peu marre de la voir ressasser cet épisode « qu’il faut oublier » parce qu’il « ternit l’image de la Guinée ». « Certains me disent d’abandonner, mais je n’en ai pas le courage », dit-elle. Le 22 avril, lorsqu’elle a été nommée pour le prestigieux prix Martin-Ennals 2015 (l’équivalent du Nobel des droits de l’homme), tout le pays s’est réjoui avec elle. Mais Asmaou Diallo insiste : ce prix, s’il lui est remis le 6 octobre à Genève, « ce sera d’abord la reconnaissance d’un combat collectif ». Et, ajoute-t-elle presque gênée, « un honneur ».

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