Malgré les menaces, les Égyptiens veulent rester optimistes
La place Tahrir est relookée, la capitale s’affaire, le pays revient sur le devant de la scène internationale. Les Égyptiens sont optimistes, mais s’inquiètent de la menace terroriste et de l’instabilité régionale.
Égypte : le grand retour
Deux ans après l’arrivée au pouvoir d’Abdel Fattah al-Sissi, voyage à l’intérieur d’un pays qui se cherche un avenir.
La place Tahrir, visage aux millions de pixels humains de la révolution égyptienne, est transfigurée. Un grand mât dressé en son centre fait flotter haut les couleurs de l’Égypte, comme pour rappeler à tous la sacralité de la nation. Le petit monument aux martyrs de la révolution qui se dressait là, saccagé par de jeunes militants quelques heures après son inauguration officielle en novembre 2013, a été rasé. La pelouse centrale, qui avait vu converger entre 2011 et 2013 des marées humaines, est désormais plantée de buis et de palmiers nains, ornée de bordures et de balustrades en béton sur lesquelles viennent s’asseoir familles et groupes de jeunes quand tombe le soir.
Autour, les façades des immeubles ont été fraîchement repeintes et le vaste parking dont la construction avait crevé la place d’un trou béant pendant des années est achevé, libérant la perspective sur le Musée égyptien du Caire. Depuis fin juin, la station de métro Sadate (fermée en août 2013) revoit transiter ses dizaines de milliers de passagers quotidiens. Côté Nil, entre le Ritz-Carlton refait à neuf et le siège monumental (en cours de destruction) du Parti national démocratique de Hosni Moubarak, le raïs déchu, une quinzaine de blindés masqués par des voiles se tiennent prêts à investir la place en cas de remous.
« Ce n’est pas une restauration, c’est une rénovation ! » plaisante un chauffeur de taxi nubien qui, comme la plupart des Égyptiens, compte deux révolutions : celle du 25 janvier 2011, qui a mis fin aux trente années de règne de Moubarak, et celle du 30 juin 2013, qui a chassé les Frères musulmans du pouvoir et ouvert les portes de la présidence à Sissi.
Une nouvelle page
« Aujourd’hui, le pouvoir comme la majorité de la population veulent fermer la parenthèse de la révolution – non en rejetant ses acquis, mais en contestant l’agitation, les violences et les manifestations qu’elle a entraînées, qui ont déstabilisé le pays et eu un impact sur l’économie, commente un diplomate en poste au Caire. Il ne s’agit pas de revenir au système précédent, mais de créer quelque chose de nouveau, de remobiliser le pays, de lui rendre sa fierté, sa grandeur, son rôle sur la scène internationale. Cela passe en ce moment par une remise en ordre, peut-être parfois un peu sévère. »
L’élection d’Abdel Fattah al-Sissi en mai 2014 veut être une nouvelle page de la glorieuse histoire égyptienne, qui s’illustre très concrètement cette année : Conférence pour le développement économique du pays à Charm el-Cheikh en mars, inauguration du nouveau canal de Suez prévue en août, cure de jouvence en cours des quartiers médiévaux et coloniaux du Caire et nouvelle capitale en projet…
L’Egypte fait aussi son retour en force sur une scène internationale d’où ses troubles domestiques l’avaient éclipsée : intervention musclée en février dans l’est libyen, accueil en juin du sommet de la Tripartite, à l’issue duquel a été signé l’accord de libre-échange entre 26 pays du continent, regain d’intérêt pour l’Afrique, rétablissement des relations avec Israël, accueil de conférences sur la Syrie, etc.
Le général Sissi apparaît comme le seul capable d’empêcher l’effondrement du pays.
Menaces de déstabilisation
Stetson texan vissé sur le crâne, le taximan nubien de Tahrir ne tarit pas d’éloges sur son « très, très, très, très bon président, le sauveur qu’attendait l’Égypte ». Un optimisme à ce point exacerbé qu’il trahit une certaine anxiété : « Grâce à lui, inch Allah, nous ne connaîtrons pas le sort de nos voisins libyens, yéménites, irakiens et syriens. L’armée égyptienne est forte, elle nous protège du chaos. »
Le 1er juillet, deux jours après l’assassinat du procureur général du Caire dans un attentat, ses troupes ont pourtant subi dans le nord du Sinaï une attaque jihadiste. La plus meurtrière depuis que, en août 2013, le groupe Ansar Beït al-Maqdis (devenu fin 2014 la « province du Sinaï » de l’État islamique) a juré de venger l’éviction du président islamiste Mohamed Morsi et la répression de ses partisans. Bien coordonnée et menée avec des armes sophistiquées, l’attaque a fait au moins 21 morts dans les rangs de l’armée et 241 parmi les jihadistes, selon le bilan officiel.
Magistrats, policiers, militaires… Les symboles et représentants de l’autorité de l’État sont quasi quotidiennement visés par les terroristes, que le régime dénonce comme étant liés ou appartenant aux Frères musulmans, impitoyablement pourchassés depuis août 2013. En juin, la condamnation à mort de Mohamed Morsi a été confirmée, comme celles de nombreux dirigeants de la confrérie. Le 1er juillet, neuf Frères étaient tués au cours d’un raid de la police dans un appartement du Caire. « C’est l’état de guerre », déclarait ce jour-là le Premier ministre, Ibrahim Mahlab.
Au Centre d’études politiques et stratégiques d’Al-Ahram, l’un des plus importants think tanks égyptiens, Saïd Okasha, s’il refuse de voir en Sissi un héros, reconnaît qu’il est l’homme – et le seul – de la situation. « Nombre de médias occidentaux, qui ne parlent que des violations des droits de l’homme et des libertés, ne considèrent pas la réalité de notre situation, déplore l’analyste. Les terroristes sont partout, la guerre fait rage à toutes nos portes, les partis politiques sont très affaiblis et des intérêts étrangers comme des éléments de l’ancien régime cherchent à déstabiliser l’État. Le peuple est terrifié par ces perspectives, et le général Sissi apparaît comme le seul capable d’empêcher l’effondrement du pays. »
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